« La « new jungle » de Calais, où vivent des milliers d’exilés dans un état d’insalubrité extrême, est une honte nationale. Mediapart se propose de chroniquer au jour le jour l’évolution de la situation sur place. Dernière mise à jour: vendredi 13 novembre.
Aux yeux du monde entier, la lande de Calais où se retrouvent plusieurs milliers de migrants – jusqu’à 6 000 – en attendant de rejoindre la Grande-Bretagne est devenue une indignité française. Les personnes manquent de tout : d’un toit pour se mettre à l’abri des intempéries, de points d’eau, de soins. Comment les autorités publiques ont-elles pu laisser se dégrader la situation au point d’être condamnées par la justice pour avoir « porté une atteinte grave et manifestement illégale » au droit de la population du camp « à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants » ?
Alors que l’Europe est confrontée à l’exode le plus massif depuis la Seconde Guerre mondiale, la France se transforme en pays de transit. Les migrants n’envisagent a prioripas de s’y installer. Mais parce que le gouvernement fait office de garde-barrière pour l’Angleterre, les exilés s’entassent – et dépérissent – à la frontière.
- 13 novembre 2015. La « jungle » en proie aux flammes
Un incendie s’est déclenché peu après minuit dans la « jungle ». Quelque 2500 m2 de tentes et de cabanons ont brûlé. Aucun blessé ni mort n’est à déplorer, selon les informations de la préfecture du Pas-de-Calais, qui assure que le feu est maîtrisé. « Des moyens importants sont sur place. L’incendie n’est pas lié aux événements de Paris car c’est un feu d’origine électrique », a indiqué Régis Elbez, sous-préfet de permanence de la préfecture. Un correspondant de l’AFP présent sur place a observé le bouclage du périmètre et que le feu avait touché le sud-est du camp de la lande, où vivent en tout près de 4 500 migrants dans des conditions insalubres. On pouvait entendre le bruit de petites bouteilles de gaz exploser et une dizaine de camions de pompier étaient stationnées, a-t-il constaté. Le fort vent soufflant dans la nuit de samedi à dimanche dans la région a pu attiser les flammes lors du départ du feu. La situation entre les migrants et les riverains était calme, a également indiqué le correspondant de l’AFP.
- 13 novembre 2015. Le ministère de l’intérieur fait appel de la décision du tribunal administratif
Le conseil d’État a fait savoir vendredi 13 novembre que l’État venait de faire appel de sa condamnation judiciaire à réaliser des aménagements sanitaires dans la « jungle ». Le recours devrait être examiné jeudi prochain. Selon une copie de l’appel, le ministère se justifie en affirmant qu’il « satisfait à ses obligations légales en matière d’hébergement d’urgence » et qu’il « n’a pas commis de carence dans l’exercice de ses pouvoirs de police ».
À la suite d’une requête de Médecins du monde et du Secours catholique, le tribunal administratif de Lille avait ordonné au préfet du Pas-de-Calais et à la municipalité de Calais d’installer divers équipements de base (des points d’eau supplémentaires, des latrines adaptées au terrain, un dispositif de collecte des ordures et des bennes en plus) ; il leur était également demandé de nettoyer le site, de créer un ou plusieurs accès pour permettre le passage des services d’urgence et le cas échéant le déplacement des conteneurs poubelle. Ces mesures devaient être réalisées dans un délai de huit jours à compter du jugement sous peine d’une astreinte de 100 euros par jour de retard.
- 13 novembre 2015. L’État vise No Border
À la recherche de responsables après les nuits de heurts ayant eu lieu entre dimanche 8 et mercredi 11 novembre entre migrants et forces de l’ordre, le gouvernement vise le réseau No Border dont les activistes militent pour l’ouverture des frontières. SelonEurope 1, un jeune homme de vingt ans, soupçonné d’avoir participé aux violences, a été interpellé jeudi 12 novembre et placé en garde à vue. Alors que ces militants interviennent régulièrement aux côtés des réfugiés, le ministère de l’intérieur, par la voix de son porte-parole Pierre-Henri Brandet, les accuse d’être «des personnes irresponsables qui instrumentalisent la misère».
- 12 novembre 2015. Camp en dur: les travaux commencent
Dans la « jungle », les travaux ont débuté jeudi 12 novembre. La création d’un camp en dur a été annoncée le 31 août lors de la visite du premier ministre Manuel Valls à Calais. Les autorités ont prévu d’installer 125 containers, isolés et chauffés, d’ici à la mi-décembre. Chaque container pouvant accueillir 12 personnes, 1 625 exilés – sur près de 6 000 – pourraient être ainsi mis à l’abri. Le financement de ces hébergements temporaires, dont le coût est estimé à 18 millions d’euros, est pris en charge par l’État et l’Union européenne. Il revient à l’association La Vie active, déjà gestionnaire du centre d’accueil de jour Jules-Ferry, d’embaucher du personnel (une cinquantaine de personnes) pour assurer le fonctionnement du nouveau camp. En attendant que ce dernier soit prêt, les migrants se voient proposer de rejoindre une « zone tampon » constituée de 50 tentes pouvant loger 10 personnes chacune.
L’État a été rappelé à l’ordre le 2 novembre par le tribunal administratif qui l’a sommé de réaliser divers aménagements dans la lande. Le ministère de l’intérieur fait savoir que des sanitaires ont été installés, permettant à 600 personnes de prendre des douches. Parallèlement, environ 2 000 repas sont servis chaque jour à Jules-Ferry.
Après avoir atteint 6 000 début d’octobre, le nombre de migrants regroupés dans la« jungle » est revenu à environ 4 500, selon les derniers chiffres fournis par la place Beauvau le 9 novembre. Ce recul s’explique par le fait que plusieurs centaines de migrants ont été envoyés, ces dernières semaines, dans des centres de rétention partout en France, tandis que d’autres – 1 083 au total selon la préfecture du Pas-de-Calais – ont été répartis dans des centres d’hébergement, également sur l’ensemble du territoire.
- 12 novembre 2015. Exilés en rétention : Cazeneuve interpellé par Benbassa
Alertée par la presse et les associations sur le sort de migrants en transit à Calais envoyés par centaines dans des centres de rétention administrative (CRA) partout en France, la sénatrice EELV Esther Benbassa a fait usage de son droit d’entrer dans les lieux de privation de liberté pour vérifier ces dires par elle-même. Mardi 10 novembre, elle s’est rendue sans prévenir les autorités (comme le droit l’y autorise) au CRA de Vincennes pour y rencontrer des personnes retenues. Lors des questions au gouvernement, au Sénat, jeudi 12 novembre, elle a interpellé le ministre de l’intérieur sur ce sujet. Elle a dénoncé des « exfiltrations » à des fins électorales pour « désengorger Calais ». Depuis fin octobre, pas moins de 100 personnes venues de la « jungle » ont été enfermées à Vincennes. Elle affirme avoir rencontré, derrière les barreaux, « des gens perdus, exténués, humiliés, n’ayant rien à faire là ». Elle note que les arrivées depuis Calais se succèdent, les uns, relâchés, cédant la place aux autres, et fustige, dans le sillage des associations de défense des droits des étrangers présentes en rétention, dont l’Assfam, une « manipulation » juridique « attentatoire à la dignité des personnes »dans la mesure où la majorité des personnes passées par Calais sont inexpulsables car elles viennent de pays dévastés par la guerre ou la répression (lire nos articles ici et là). Pour faire entendre leur voix, sept réfugiés ont entamé une grève de la faim, fait-elle savoir.
Interrogée à la sortie du CRA par Mediapart, l’élue a observé le ressentiment des exilés à l’égard de la France. « Si je réussis un jour à passer en Angleterre, et je réussirai, je ne reviendrai plus jamais en France, même en vacances, jamais je n’y dépenserai un penny », lui a dit l’un d’entre eux. Étant donné l’accueil qui leur est réservé, aucun ne souhaite demander l’asile sur place. Leur « révolte » est également liée au fait qu’ils ne comprennent pas pourquoi certains sont libérés et d’autres pas. « Ils sont dans un désespoir total et un rejet, une haine de la France », ajoute la sénatrice, qui évoque le cas de personnes dont les empreintes digitales ont été prises en Allemagne et que les autorités françaises envisagent de renvoyer dans ce pays, en application des accords de Dublin III.
À la tribune, Bernard Cazeneuve est apparu courroucé par l’intervention d’Esther Benbassa, lui reprochant de « noircir le tableau » et de n’avoir pas parlé des « 1 000 »exilés ayant bénéficié « depuis dix jours » d’une mise à l’abri dans des centres d’hébergement, répartis – comme les CRA – sur l’ensemble du territoire. Fustigeant la« très grande irresponsabilité » de son interlocutrice, il s’est gardé de répondre à sa question, alors qu’au moins 600 exilés de Calais auraient été privés de liberté ces derniers jours. […] »
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