Rien ne va plus. Le gouvernement envoie l’un après l’autre ses projets de loi au Sénat, qui plus est en procédure accélérée, ce qui laisse peu de temps aux législateurs pour faire leur travail correctement. Nous croulons ainsi sous ces projets, exposés à une frénésie peu habituelle, comme si tous les ministres se croyaient obligés de faire le leur, histoire de bien montrer qu’ils (ou elles) contribuent activement à réformer le pays! Leurs conseillers nous appellent, insistants, sollicitant un vote favorable, à peu près à n’importe quelle heure. Leurs SMS se font souvent pressants. Et nous voilà emportés dans un tourbillon fou.
A trop légiférer, on tue la loi
Seule une jolie bande dessinée saurait rendre justice à notre ballet d’hyperactifs harassés de la majorité, travaillant nuit et jour pour arriver au bout… pendant que sénateurs UMP, centristes et RDSE scellent des alliances diaboliques, brisant la fragile majorité de la Haute Assemblée, et faisant capoter les beaux projets de l’exécutif!
C’est ainsi que le projet de loi visant à réformer le Conseil supérieur de la magistrature, porté par Christiane Taubira, laquelle entendait instaurer l’indépendance quasi totale des magistrats par rapport à l’exécutif, est tombé en un clin d’œil. Un amendement vite fait bien fait par ses adversaires de droite, du centre et RDSE a suffi à le faire passer à l’as.
Le projet de loi sur la transparence de la vie politique a subi le même sort. Préparé sous le coup de l’émotion suscitée par l’affaire Cahuzac, et pas mal bâclé, il a été -vite fait bien fait- renvoyé en commission. Nous avons donc tout recommencé à zéro, après avoir pourtant beaucoup travaillé aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat…
Je vais finir par croire que les législateurs ne sont pas friands d’une justice totalement indépendante et ne souhaitent pas la totale transparence. Ça n’est pourtant pas si simple.
Laver plus blanc que blanc
L’exécutif souhaitait montrer au peuple, après les mensonges de M. Cahuzac et le scandale de la révélation de ses « économies » cachées, qu’il ne baissait pas les bras. Mais au contraire levait le poing ! Pour dire: « plus jamais! », et encadrer les mœurs financières, si l’on peut dire, des ministres et des parlementaires.
On a voulu laver plus blanc que blanc. A tel point que certaines dispositions de ce projet de loi peuvent sembler bafouer certaines libertés individuelles. On nous fait entrer dans l’ère du tout transparent. Nous sommes propres, nous n’avons rien à cacher, nous allons donc tout montrer! Mais qui insiste trop sur la transparence risque d’y perdre son âme et quelques droits élémentaires.
Certes, les politiques ont le devoir d’être irréprochables. Le sont-ils toujours en matière financière? Je n’en sais rien dans le détail. Mais je présume qu’en général ils le sont. Qu’importe! Il fallait désormais tout déclarer et tout publier. Jusque dans le Journal officiel! Ses avoirs, ceux de ses proches, les revenus, les principaux et les annexes, tout, mais tout, absolument tout! On connaît la suite: ce projet de loi a assez peu de chances de passer au Sénat.
Une Haute autorité contrôlant le patrimoine des élus et leurs revenus, ainsi que leur évolution, est chose éminemment souhaitable. Mais la traque névrotique de la transparence pourrait bien avoir quelques effets pervers. Surtout dans un pays comme le nôtre, où toute (bonne) fortune fait, à tort ou à raison, peser trop souvent sur son bénéficiaire le soupçon du larcin. Ou pour le dire autrement: ce que tu as et que je n’ai pas, tu l’as forcément volé…
On veut restaurer l’image des élus. Et l’on va peut-être, armé des intentions les plus louables, provoquer l’inverse. Je doute fort, en tout cas, que le grand déballage auquel certains entendent procéder ajoute la moindre plus-value d’optimisme à une France plongée dans un marasme psychologique de nature chronique.
Oui à la transparence, donc. Mais à une transparence qui ne sacrifie pas allègrement la liberté individuelle. Et qui ne serve pas seulement à nous faire collectivement expier la faute d’un Cahuzac et de quelques-uns de ses semblables, qui se croient au-dessus des lois et prennent en conséquence des risques inconsidérés sans redouter le verdict de la justice.
Oui à la transparence, donc. Mais à une transparence préparée avec soin, sereinement, sans précipitation, et dans une atmosphère parlementaire moins chaotique.
Morale, quand tu nous tiens…
Toujours sous le coup de l’émotion provoquée par les errements du sieur Cahuzac, un autre projet de loi -concernant la fraude fiscale cette fois- vient de nous tomber dessus.
Il est vrai que la fraude et l’évasion fiscales sont de véritables fléaux. L’ingéniosité de ceux qui s’y livrent est sans limites. Les pertes pour les Etats sont colossales, et en ces temps de crise le manque à gagner est hélas supporté par les citoyens et citoyennes aux revenus modestes et rapidement repérables. Les chiffres de l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux ont de quoi faire tourner la tête. En France, son montant approche les 60 milliards d’euros par an. Et il est évidemment urgent de combattre efficacement ces maux, avec les autres pays de l’Union européenne, en élaborant une législation qui tienne la route.
Certaines dispositions du projet de loi qui nous est soumis, comme la garde à vue de quatre jours pour les délinquants fiscaux et « les techniques spéciales d’enquête » que sont les interceptions de communications téléphoniques, l’infiltration, la surveillance, etc., risquent pourtant de mettre à mal la protection de certains de nos droits fondamentaux. Ce risque ne doit pas être a priori minimisé. Même sous l’effet d’une émotion légitime. Ce projet de loi, pour cette raison et pour quelques autres, pourrait bien, lui aussi, rencontrer pas mal d’opposition au Sénat.
Et si, à la répression à outrance, nous préférions une dissuasion efficace? Pourquoi cette course effrénée à la moralisation quand les Français, dans leur sagesse, et dans leur grande majorité, préfèrent assurément la modération aux bouffées de radicalité purificatrice qui saisissent certains? Tout faire pour rendre la France propre… Cette illusion pourrait bien se retourner contre l’exécutif. Personne ne doute de ses bonnes intentions. Mais à trop en faire, on est en train de nous faire perdre le nord, et surtout la patience, à nous parlementaires.
L’aspiration au blanchissage forcé des âmes et des mœurs qui se cache derrière certains des projets de lois qui s’amassent sur nos bureaux a sa face sombre. Il ne faudrait tout de même pas perdre de vue l’horizon qui doit être le nôtre: cette loi mesurée qui permet aux sociétés de vivre à la fois dans la justice et dans une certaine harmonie.
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