Mardi 10 juillet, il est un peu plus de 20 heures. A l’Assemblée nationale, le débat d’orientation des finances publiques, prélude au débat budgétaire de la semaine prochaine, vient de débuter. Eva Sas monte à la tribune. Pour cette députée écologiste de l’Essonne, c’est un baptême du feu. Depuis le 17 juin, les écologistes sont assez nombreux pour disposer pour la première fois de leur histoire d’un groupe à l’Assemblée, synonyme de temps de parole et de visibilité accrue.
La voix est un peu fébrile, mais le message est ferme. Dans un hémicycle quasi vide, les écologistes commencent à faire entendre leur petite musique budgétaire. « Nous partageons monsieur le ministre, votre souci de remettre la France sur une trajectoire de réduction des déficits publics, dit Sas, économiste de métier. Nous partageons vos premières options en matière fiscale et votre souci de l’efficacité de la dépense publique. »
Mais la députée annonce aussi que son groupe va proposer, dès la semaine prochaine, « des économies sur toutes les dépenses fiscales et budgétaires qui (…) subventionnent au contraire la dépendance énergétique ». A commencer par la taxation du kérosène sur les vols intérieurs, dont les compagnies aériennes sont exonérées. Elle pose aussi la question qui fâche, allusion à la volonté du gouvernement de réduire massivement le déficit public : « un ajustement budgétaire trop brutal » ne risque-t-il pas de provoquer un « effondrement social » ?
Son discours terminé, Eva Sas retourne dans l’hémicycle, sous les applaudissements et les félicitations des six autres députés écologistes présents. Un peu plus tard, ils ouvriront même à la buvette de l’Assemblée une bouteille de champagne pour fêter ça.
Que peuvent les écologistes dans la nouvelle majorité ? Leur position est paradoxale. Avec 17 députés, élus grâce à l’accord électoral avec le PS – un groupe strictement paritaire, c’est le seul à l’Assemblée nationale –, ils n’ont jamais été aussi nombreux. Ils ont deux ministres, en la personne de Cécile Duflot (élue députée, elle a cédé sa place à sa suppléante socialiste) et Pascal Canfin. Mais le PS dispose seul de la majorité absolue et n’a pas besoin d’eux pour gouverner. Sans compter que le maigre score d’Eva Joly à la présidentielle (2,3 %) reste dans tous les esprits. Le leur, et celui des socialistes.
Une parlementaire socialiste résume assez bien leur inconfort : « On s’est engagés à ce qu’ils aient un groupe, engagement tenu. A eux de tenir les leurs, en étant une force politique, une composante de la gauche mais dans un partenariat loyal. Vu l’état des forces, la reconnaissance ne viendra pas de leur capacité de nuisance à l’Assemblée nationale. Elle viendra de la qualité de leur travail parlementaire. Il faut qu’ils trouvent leur place pour qu’“écolos” ne rime pas avec “godillots” ! »
François de Rugy, le coprésident du groupe (élu depuis 2007, ce député de Loire-Atlantique partage cette fonction avec une nouvelle élue, Barbara Pompili), dit la même chose : « On sera présents sur tous les débats au cours de la mandature. Les écologistes doivent conquérir une crédibilité politique nationale qu’ils n’ont pas encore. Et la prochaine fois, nous aurons un groupe encore plus important parce que l’accord avec le PS sera plus important. »
Dans son intervention à la suite du discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault, le 3 juillet, Rugy a revendiqué « l’indépendance d’esprit, la liberté de conscience et de vote » des écologistes. Il a apporté un soutien clair au gouvernement, tout en posant ses conditions : école, transition énergétique, énergies renouvelables, logement, fiscalité plus juste… « Nous serons des partenaires fiables, positifs, loyaux, mais nous serons également des partenaires exigeants, parce que les Français sont exigeants, et parce que la situation économique et sociale l’impose. »
Les débuts n’ont pas été faciles. Sitôt installés, les écologistes, alliés au PS pendant la campagne des législatives – 60 circonscriptions leur avaient été réservées, même s’il y a eu beaucoup de dissidences –, ont fait l’expérience des tentations hégémoniques du PS. Trois jours à peine après le second tour, le ministre des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, semblait déjà leur mettre la corde au cou, réclamant d’eux « la liberté d’expression mais pas la liberté de vote ». « Un gros faux pas », commente François de Rugy.
Peu après, Nicole Bricq était débarquée du ministère de l’écologie après l’affaire des forages en Guyane, et à la suite de l’intervention des groupes pétroliers.
Puis le PS a refusé de leur attribuer des postes prévus par l’accord de gouvernement. Alors qu’ils étaient assurés d’obtenir la présidence de la commission du développement durable, une partie du groupe socialiste s’est rebellée. La présidence de la commission du développement durable a été confiée à un député PS, de sensibilité écologiste mais aussi chasseur, l’élu de l’Indre Jean-Paul Chanteguet. « Un retournement de crêpe », dit de Rugy, à quelques heures seulement de l’élection du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone.
Fest noz
Pris de court, le groupe écologiste s’est alors réuni en urgence. Intenses débats. Certains n’étaient pas persuadés de la nécessité de faire un coup d’éclat. Mais la majorité a tout de même voté l’abstention. « Nous ne voulons pas être cornérisés dans la majorité. Il est hors de question que le PS pense qu’il va gouverner tout seul », dit ce jour-là Barbara Pompili aux journalistes. La révolte leur vaut alors des paroles peu amènes, à la limite du mépris. Comme cette sortie de Bruno Le Roux, le chef de file des socialistes : « Ils sont idiots ! Ils ne seront peut-être jamais réélus. Ils avaient l’occasion de voter, peut-être pour la seule fois de leur vie, pour un président de l’Assemblée nationale socialiste et ils ne l’ont même pas fait… »
Finalement, la rébellion a payé. Les “Ecolos”, nom officiel de leur groupe, ont obtenu la présidence de la commission des affaires européennes (pour Danielle Auroi, “tombeuse” de Louis-Giscard d’Estaing dans le fief auvergnat de VGE), la vice-présidence de l’Assemblée attribuée à Denis Baupin, deux vice-présidences (Eva Sas aux finances, François-Michel Lambert au développement durable). Joli lot de consolation. Sauf qu’en protestant si vivement, puis en remballant illico leurs critiques, les élus EELV ont pu donner le sentiment qu’ils étaient d’abord intéressés par les postes. « Nous étions dans une série d’enchaînements négatifs, fait valoir François de Rugy. Nous voulions montrer que nous ne sommes pas au garde-à-vous. Après, cette protestation a-t-elle été comprise? Ce n’est pas sûr… »
Le coup d’éclat a laissé des traces. A peine une semaine après avoir été désigné porte-parole, le maire de Bègles, Noël Mamère, a rendu son tablier, fâché de la rapidité avec laquelle le groupe a tu ses critiques envers le PS, sitôt la question des postes réglée. Depuis, le plus expérimenté des députés écologistes boude et joue en solo. « Souvent Noël varie… », dit un de ses collègues.
Les écologistes ont au moins un atout, sans doute plus médiatique que politique : ils détonnent. « On est la seule nouveauté de cette législature », dit fièrement François de Rugy. Parmi les dix-sept, presque tous, à part Noël Mamère et Rugy, sont des députés novices. « La première semaine a été un peu troublante, raconte Eva Sas, toute première écologiste élue députée dans l’Essonne. En plus on n’est pas complètement adaptés au système, on est décalés. »
Par rapport aux autres, le groupe est en effet plus chamarré : une viticultrice, militante de longue date de la Confédération paysanne (Brigitte Allain), un anti-gaz de schiste (François-Michel Lambert), un ancien élu communiste (Christophe Cavard), Ou encore un militant de la cause bretonne, Paul Molac. « Il chante dans les fest noz. La première fois qu’il s’est acheté un costume, c’était pour la campagne des législatives », s’amuse Eva Sas. Elue du Calvados, Isabelle Attard, chercheuse en archéologie environnementale qui dirige le musée du Débarquement d’Utah Beach, après avoir dirigé celui de la Tapisserie de Bayeux, se définit comme un « objet politique non identifié : je ne suis pas une politicienne, je n’ai jamais été assistante parlementaire ni médecin ou avocat, le profil type des députés classiques ». « Un tiers de ce groupe n’a jamais été élu du tout, rappelle Denis Baupin, qui vient de démissionner de son poste de maire-adjoint de Paris. Beaucoup sont issus d’une pratique écologiste locale. C’est un groupe très neuf, totalement atypique dans une Assemblée ou certains sont élus depuis des décennies. »
Reste désormais à se faire entendre. Conscients que le rapport des force leur est défavorable, les écologistes entendent « créer des majorités d’idées pour être une force de proposition », théorise Baupin. D’abord sur les sujets environnementaux ou l’énergie. « 40 % des socialistes ont voté à la primaire pour une candidate qui proposait une sortie plus rapide du nucléaire, sans compter les voix des partisans de Ségolène Royal, calcule Baupin. On n’imposera pas la sortie du nucléaire au gouvernement, mais sur l’exigence en matière de sûreté nucléaire, la réduction de la part du nucléaire, on aura des alliés au sein du PS, même s’il y a aussi beaucoup de pronucléaires dans ses rangs. »
Les écologistes entendent aussi peser sur d’autres sujets. « Je vais me spécialiser à l’Assemblée nationale dans la culture et l’éducation, explique Isabelle Attard. J’entends travailler sur la transmission des savoirs, la réussite scolaire, alors qu’aujourd’hui trop de gamins sont “bousillés”. Certaines politiques en la matière n’ont pas été évaluées. Je veux aussi me battre sur le sujet des violences psychologiques faites aux femmes. »
Ils devraient aussi faire entendre leur voix sur l’immigration. « Pour l’instant, Manuel Valls ne s’illustre pas par une volonté de refonte de la politique migratoire, et garde le même objectif d’expulsions, déplore Sergio Coronado, porte-parole d’Eva Joly à la présidentielle, nouveau député des Français de l’étranger (Amérique latine et Caraïbes). Cette façon de traiter la question migratoire sur un mode sécuritaire sera aussi un élément de clivage et de désaccord avec les socialistes. »
« Institutionnellement renforcés, politiquement affaiblis »
Mais à court terme, le principal défi sera d’être audible dans le débat sur la rigueur. « Au premier abord, cette logique de l’austérité ne nous est idéologiquement pas favorable, dit Eva Sas. Mais nous avons une carte à jouer. Dans l’accord de gouvernement signé avec le PS, dans le programme de François Hollande, il y a par exemple un grand plan d’isolation thermique des bâtiments, il devra être respecté. Par ailleurs, nous avons fait un travail d’analyse du budget qui prouve que de nombreuses dépenses de l’Etat sont contraires à la transition énergétique, pour un coût de 33 milliards d’euros ! Chaque fois que nous avons percé électoralement, c’est lorsque nous avons développé une écologie de proposition. »
Eva Sas confirme aussi que son groupe demandera que le gouvernement renonce au projet de l’aéroport nantais Notre-Dame-des-Landes, cher au premier ministre Jean-Marc Ayrault mais dénoncé par les associations (photo ci-dessous). « Je n’ai pas de doute sur l’issue du vote, mais on le proposera. » « Une vision sobre de l’économie, cela ne nous écorche pas, continue Baupin. On n’est pas contre les économies, on est même contre les gaspillages. » Christian Cavard, l’ancien élu communiste du Gard très récemment passé aux Verts, se veut à l’Assemblée l’avocat d’une « économie relocalisée » et de la « croissance sélective » qui prône plus de services publics et d’économie sociale.
Il n’en reste pas moins que les marges de manœuvre seront limitées. « On est dans une sorte de nouvelle gauche plurielle. Nous sommes là pour mettre du vert à côté du rose », admet François-Michel Lambert, élu dans les Bouches-du-Rhône à la faveur d’une triangulaire contre un des leaders de la Droite populaire, Richard Maillé. « On est très responsables vis-à-vis de l’accord avec le PS et de la majorité, ajoute Eva Sas. On ne sera pas les trublions qui viendront en rajouter ni provoquer, même si nous serons vigilants. »
« Nous sommes élus dans le cadre d’un accord qui a entraîné la participation au gouvernement, nous aurons donc une attitude plus constructive que protestataire », confirme Baupin. « Nous ne sommes pas déjà en train de chercher des points de clash, et d’ailleurs nous ne pensons pas a priori que cette mandature se finira au clash avec le PS, dit François de Rugy. Par ailleurs, nous sommes conscients que la culture politique de François Hollande n’est pas la plus écolo du PS. Dans la primaire socialiste, Hollande a même acquis sa légitimité politique en se démarquant en partie de l’accord EELV-PS », qu’il a en effet quelque peu édulcoré dans son programme, sur le nucléaire notamment.
Député des Français de l’étranger et membre de l’aile gauche d’EELV, Sergio Coronado ne se fait déjà plus beaucoup d’illusions. « Nous sommes institutionnellement renforcés mais politiquement et socialement affaiblis. Il n’y a de groupe à l’Assemblée que par la grâce de l’accord, et une partie du groupe l’a fortement intégré. Par ailleurs, les thématiques liées à la crise font que l’écologie n’est pas à la fête. L’accord signé avec le PS, qui était nécessaire, a en réalité acté plus de désaccords que d’avancées. Enfin, ce gouvernement est très porté sur le culte de la croissance et le rétablissement des finances publiques. » Coronado rappelle qu’EELV a perdu beaucoup d’adhérents depuis le pic électoral des européennes de 2009. « Sans tomber dans la flagellation, notre image est assez dégradée. » La solution ? « Il faudra faire preuve de solidarité car nous serons comptables de ce bilan. Et dire quand nous ne sommes pas d’accord. »
Au risque de devenir, comme le craint Daniel Cohn-Bendit, un avatar écolo du parti radical de gauche, souvent considéré comme un parti de notables et d’élus en perte de vitesse ? « On va démontrer que c’est faux, répond Rugy. Le PRG est le lointain descendant d’une vieille tradition politique en voie d’extinction, même si elle a quelques manifestations encore vivaces dans certaines régions. Nous sommes l’exact inverse : une tradition politique émergente, avec un corpus d’idées beaucoup plus riche. »
Les députés rappellent qu’avec l’accord PS-EELV, ils ont aussi obtenu une part de proportionnelle, que François Hollande s’est engagé à mettre en œuvre. « Cela renforcera notre autonomie », dit Eva Sas. « Le PS et le PRG sont devenus des partis d’élus. Au PCF, les élus ne comprennent pas les militants, et inversement, dit Christophe Cavard. Le pari d’EELV, c’est d’être à la fois un parti de militants et d’élus. Je crois à la combinaison des réseaux militants sur le terrain et des relais institutionnels. »
Paradoxalement, c’est au Sénat que les écologistes pourraient avoir la plus grande liberté de ton. Même si leur chef de file, Jean-Vincent Placé, se positionne pour l’heure comme un « soutien loyal et fidèle au pouvoir et au gouvernement », ce fin négociateur se prépare déjà à faire monter les enchères. D’autant qu’à la différence de l’Assemblée nationale, le PS n’y dispose que d’une majorité très relative, et qu’aucun texte ne peut passer sans l’accord des douze élus écologistes. « Nous sommes un parti charnière », revendique la sénatrice EELV, Esther Benbassa, élue en septembre 2011, et qui s’est depuis illustrée en portant la loi sur le droit de vote des étrangers, adoptée de justesse dans la Haute-Assemblée en décembre.
La sénatrice veut profiter des mois et années à venir pour « ouvrir l’écologie politique » aux questions de société. Elle a déposé une proposition de loi sur la fin des contrôles d’identité au faciès, promesse de François Hollande. Mardi 10 juillet, elle réunissait une quarantaine d’experts et de chercheurs au Palais du Luxembourg sur le sujet. Manuel Valls, qui ne cache pas ses réticences, n’a même pas envoyé un représentant.
Elle va prochainement déposer une proposition de loi pour ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. « Sur ces sujets comme sur d’autres, nous ne serons pas les bibelots de la majorité, assure Benbassa. Ces dernières années, notre société a été abreuvée de thèmes comme le halal, le foulard, le discours de Grenoble, etc. La gauche débarque dans ce contexte. La victoire de la gauche ne signifie pas, loin de là, qu’elle a imposé ses idées. Nous ne pouvons pas baisser les bras, sinon le prochain gouvernement sera issu de la droite décomplexée ou même du Front national. »
Pour les écologistes de l’Assemblée comme du Sénat, le pire des risques, serait, poursuit-elle, de « devenir un allié mou. Sans voix parce qu’il ne peut plus rien dire. Et sans jambes parce qu’il ne peut plus partir. »