Mardi matin, réunion du groupe écologiste, comme tous les mardis. On balaie la semaine législative. Chez nous, on aime beaucoup parler. Il faut s’y faire. Au moins, ce matin, ce ne sera pas long. Nous sommes invités à déjeuner chez Benoît Hamon.
En attendant le vote
Moi, je n’irai pas, parce que je reçois un ami universitaire étranger de passage à Paris. Je l’ai connu en Hongrie lors d’un séjour de recherche à Budapest. Il me raconte ses soucis avec le nouveau régime de droite. Le taux de suicide élevé dans ce pays, devenu le premier en la matière en Europe, parce que les gens n’attendent pas grand chose de l’avenir. Un pays qui vit rivé à son passé, avec le souvenir douloureux du Traité du Trianon qui lui a fait perdre son alma mater, le cœur de ses territoires, aujourd’hui en Roumanie. Mon collègue, lui, n’a plus envie de retourner en Hongrie.
Après un enregistrement sur AFP Télé sur le droit de vote des étrangers, je cours à un débat organisé par le groupe écologiste du Sénat sur l’obsolescence programmée des appareils électriques et électroniques. Cette « obsolescence programmée » consiste en un ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit. Les enjeux économiques, environnementaux et sociaux sont immenses. Je ne reste pourtant pas jusqu’à la fin du débat. Je file dans mon bureau exigu pour suivre par écran interposé les explications de vote qui précèdent le scrutin, à l’Assemblée nationale, sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe.
Tout le monde s’est installé dans l’hémicycle de l’Assemblée. Il y a foule, contrairement à d’autres occasions moins solennelles. Les hommes dominent dans les rangées, comme d’habitude. Nous sommes si peu nombreuses, aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat. Quand on regarde les choses sur écran, on les voit mieux. Mais aujourd’hui n’est pas le jour pour s’occuper de parité. On le fera une autre fois.
Le rendez-vous avec l’Histoire
Le premier orateur est Bernard Roman du Parti socialiste. Il évoque la loi de Simone Weil sur l’IVG en 1974, celle de Badinter pour abolir la peine de mort. De grands moments où l’Assemblée nationale a rencontré l’Histoire. Liberté, égalité, fraternité, vivre-ensemble. Des mots qui fusent en abondance. Heureusement, parfois, ils revêtent leur sens premier et sortent des frontons des mairies pour nous rendre visite, bien vivants. Je suis touchée, tout en me demandant si ce député si lyrique parle avec conviction ou remplit son rôle d’élu. Quoi qu’il en soit, il porte bien la solennité à la Jaurès et un petit moment il nous ramène au socialisme d’antan. Il parle même de fierté, joli mot qu’on avait aussi fini par oublier.
Ca chahute dans l’hémicycle. Le président rappelle à l’ordre comme un maître d’école. On passe au député UMP Hervé Mariton, qui lui bascule dans le registre négatif avec le mot « déni » lancé à la cantonade. Cette loi serait un déni de démocratie, un déni affectif, un déni moral… et il continue. Les vieilles lunes reviennent et la vieille France conservatrice ressuscite sous nos yeux, avec son attachement rigide au mariage, à la filiation, à l’adoption. Mariton réclame le référendum pour restaurer l’unité du pays. Comme si le vote du parlement ne servait à rien, ne valait rien. Il lance un « Vous vous méfiez du peuple ! » Immédiatement passent devant mes yeux les images de ces foules portées par Frigide Barjot et ses acolytes, refusant le mariage pour tous et demandant une union au rabais pour les homos, l’union civile. Puis, sans tabou, il dit: « Vous allumez la mèche de l’homophobie ! » On a du mal à croire qu’elle était éteinte. Le député centriste Jean-Christophe Fromantin embraie, avec le même catastrophisme. Ce mariage pour tous minerait le fondement de la société. Encore un peu, voilà l’apocalypse !
De la fraîcheur, enfin, et de l’enthousiasme, avec le député écologiste Noël Mamère qui avait dès 2004 célébré dans sa commune, à Bègles, un mariage gay. Lequel lui avait valu 4000 lettres d’insultes. Tout de même. Il se souvient encore du slogan crié devant sa mairie : « les pédés au camp de concentration ! » Finalement, rien n’a trop changé. L’homophobie suit son petit bonhomme de chemin, emballée dans du papier aux couleurs de la famille. Mamère rappelle toutes ces lois qui ont failli mettre le feu à la cohésion nationale. Finalement, ce sont les modernes qui ont gagné. Le courage paie parfois. Il parle avec conviction de sa fierté. Encore.
Et le député PRG Alain Tourret enchaîne lui aussi. Sur la fierté, décidément. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit tant de fierté dans les hémicycles ! Profitons-en puisque c’est de saison. Tourret est sûr que personne ne reviendra sur ce texte et demande aux présents si on est jamais revenu sur l’IVG. Il nous réconforte, ce Monsieur, parce qu’on craint le pire, tout de même, avec les masses excitées de la rue. Il fait même un peu d’humour en s’en prenant à une droite « réfrigérée »… Allusion, sans aucun doute, à notre pasionaria Frigide Barjot, en route, déjà, vers les élections municipales.
Marie-Georges Buffet du Front de Gauche interpelle la Garde des Sceaux pour qu’elle ne tarde pas à promulguer le décret d’application de la loi. Elle finit avec un joli « Marions-les cet été ».
Nos députés sont assez agités. Tout d’un coup des perturbateurs venus de l’extérieur sèment la zizanie, là-haut dans les tribunes. On entend le ton théâtral, quasiment moliéresque, du président Bartolone qui lance aux huissiers un « Sortez les ennemis de la démocratie !« . C’est vraiment drôle.
Après 136 heures et quarante-six minutes de débats, la loi est adoptée avec 331 voix pour et 225 contre. On peut crier victoire, mais pas encore trop haut.
Que la fête commence!
Les alentours de la Mairie du 4e arrondissement réunissent une foule joyeuse et bigarrée. Des larmes coulent sur certains visages. Les pancartes sont sympathiques. L’ambiance est bon enfant. Les politiciens sur le podium, dont certains qui ne se sont pas spécialement battus pour cette loi, tentent d’arracher in extremis quelques lambeaux de gloire éphémère. Les élections municipales sont proches, et à Paris les voix des gays et des lesbiennes comptent.
La foule est émue, elle laisse faire. Applaudit sans compter. Des « merci ! » fusent de partout. On se fait prendre en photo avec les élu(e)s qui ont porté ce projet de loi à bout de bras. La Ministre de la Famille est ovationnée. Le nom de Taubira est scandé. On commence à sabrer le champagne. La nuit sera gaie, c’est sûr. Les bars et les cafés du Marais sont pleins. Ceux et celles qui ont tant attendu ce beau moment d’égalité ont envie de faire la fête.
Demain sera un autre jour. Dans quelques années, le mariage gay et lesbien se sera banalisé. Nous serons devenus les anciens combattants de la cause. Peut-être le sommes-nous déjà. En tout cas, nous commençons à avoir le baby-blues. Nous avons vécu intensément pendant des mois, maintenant est venu le moment du repos du guerrier.
Les plus « sérieux », comme nous, finissent la soirée avec la Ministre Dominique Bertinotti dans un restaurant du Marais. Avec un peu de champagne tout de même.
Pour accéder à l’article, cliquer ici.