Plutôt que de déplacer le problème au gré des évacuations par la police, il faut ouvrir d’urgence des structures de réponse au crack prenant en charge les consommateurs dans la logique de réduction des risques, souligne, dans une tribune au « Monde », un collectif de plus de 80 élus locaux et parlementaires de gauche et écologistes, de Paris et d’Ile-de-France.
Tribune. La situation dans le quartier de la place de la Bataille-de-Stalingrad, à Paris, dans le parc voisin des jardins d’Eole, et plus largement dans le Nord-Est parisien, s’est fortement dégradée ces derniers mois. Cette situation est un drame pour nos quartiers. Les nuisances et l’insécurité qui marquent le quotidien des habitantes et des habitants, tout comme la détresse psychique, sociale et physique dans laquelle se trouvent les usagers de drogues, hommes ou femmes, ne peuvent plus perdurer.
Les actions de la police et de la justice menées depuis plus d’un demi-siècle à l’égard du crack ne parviennent pas à endiguer un trafic qui se renouvelle en permanence à un rythme effréné, condamnant les interventions de terrain à un échec sanitaire et social, notamment dans les quartiers du Nord-Est parisien qui voient exploser le nombre de consommateurs et consommatrices de crack en grande précarité.
Au gré des évacuations, la police les disperse et les déplace, que ce soit en Seine-Saint-Denis ou dans le Nord-Est parisien : du quartier Rosa Parks aux jardins d’Eole, de la porte de la Chapelle à Stalingrad, etc. Se mettant en danger et plaçant, chaque fois, tout un quartier sous tension, les membres de cette population, toujours plus nombreuse et précarisée, errent dans les rues.
Rattraper le retard de la France
Pourtant, il y a des solutions. Cette situation dramatique et indigne ne pourra en effet s’améliorer qu’à la double condition que la lutte contre le trafic et le démantèlement des réseaux, préalable indispensable à l’apaisement de l’espace public, s’intensifient et qu’en parallèle des mesures pérennes et ambitieuses soient mises en œuvre pour accompagner sur le plan sanitaire et social les consommateurs et consommatrices de crack.
Auprès de ces hommes et de ces femmes qui consomment leurs produits par injection ou par inhalation, d’autres pays ont déjà agi, avec succès, et ont réussi à contenir, voire endiguer les scènes ouvertes de deal et de consommation de drogues. Nous ne pouvons plus nous satisfaire d’une législation française qui, limitant à des dispositifs dérogatoires et expérimentaux des espaces de consommation médicalement assistée, empêche toute action sérieuse auprès de ces grands usagers de rue, trop éloignés du soin pour souhaiter même sortir de la dépendance.
Ce faisant, elle prive de facto et durablement de l’espace public les autres citoyennes et citoyens. Il faut donc rattraper le terrible retard qu’a pris la France et commencer par le traitement rapide, mais de long terme, des quartiers les plus touchés, notamment ceux du Nord-Est parisien et des villes de proximité.
Suivre l’exemple de la Suisse, l’Allemagne ou encore la Belgique
Pour apaiser les tensions, la première étape est d’accompagner les personnes en situation de dépendance au crack : extension des horaires d’ouverture des structures de prise en charge existantes, renforcement des maraudes médico-sociales, augmentation des places d’hébergement pérenne, suivi psychiatrique de celles et ceux qui présentent des troubles, création de structures de soins comprenant des espaces de consommation et de repos.
En plus d’être efficaces, ces mesures sont pour l’heure les seules à présenter des effets significatifs auprès de ce public très dépendant. L’expérience longue de près de quarante ans de pays voisins comme la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne ou encore la Belgique nous enseigne d’ailleurs que la création d’espaces de consommation dédiés est bénéfique à la fois pour apaiser les tensions dans nos quartiers et faire entrer les personnes qui les fréquentent dans un parcours de soins.
Nous devons nous inspirer de ces structures afin de les adapter aux spécificités des scènes de crack du Nord-Est parisien (consommation de jour et de nuit, essentiellement par inhalation). Ainsi, il est urgent d’ouvrir dans les meilleurs délais plusieurs structures polyvalentes pour accompagner les personnes consommatrices de crack (de même que celles consommant d’autres produits par injection ou dépendantes de polyconsommation), en planifiant la constitution d’un véritable réseau métropolitain de réponse au crack, dans les quartiers concernés et au-delà.
Plus de moyens et des hébergements
Nous demandons que les Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues (Caarud) puissent disposer systématiquement d’un espace de consommation attenant pour éviter que les prises de drogues se fassent dans la rue et pour que le soin commence dès la consommation.
Ces établissements doivent bien sûr voir leurs horaires élargis et l’État doit mettre les moyens financiers et humains nécessaires à ces missions. La revalorisation du statut et des salaires des personnels du secteur médico-social et un recrutement conséquent font partie des tâches prioritaires.
Enfin, plutôt que de déplacer et de chasser, hébergeons ! Tous les arrondissements parisiens et les villes de la métropole du Grand Paris ainsi que de l’Île-de-France doivent prendre en charge une part de l’hébergement sanitaire et social pérenne, pour que, peu à peu, les usagers, hommes ou femmes, cessent d’errer et de consommer dans les rues, réduisent et espacent leurs prises de produits, grâce à une première prise en charge adaptée.
Paris doit suivre l’exemple de Lille, Marseille, Starsbourg
A Paris, il est impératif d’avoir un plus grand nombre de lieux intégrés ouverts de jour comme de nuit comprenant des espaces de repos, de soins et de consommation, étant donné la densité et le nombre des personnes concernées, pour que la situation s’améliore. Cette insuffisance de structures se constate dans d’autres grandes villes françaises.
Lille et Marseille envisagent de prendre le pas rapidement, quand Strasbourg n’a pas attendu et a déjà ouvert des lieux d’hébergement d’urgence pour éviter l’errance de nuit. Ces lieux intégrés doivent entrer dans le droit commun et pouvoir se développer sans attendre que les situations se dégradent davantage.
Il est temps d’agir ensemble, élus locaux, parlementaires et citoyens, pour que l’Etat nous permette d’accéder à cette politique pragmatique et humaine. De toute urgence.
Parmi les premiers signataires : David Belliard, adjoint à la maire de Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie, Groupe écologiste de Paris ; Esther Benbassa, sénatrice de Paris, Groupe écologiste du Sénat ; Anne-Claire Boux, adjointe à la maire de Paris en charge de la politique de la ville, Groupe écologiste de Paris ; Alexandra Cordebard, maire du 10e arrondissement, groupe Paris en commun ; François Dagnaud, maire du 19e arrondissement, groupe Paris en commun ; Rémi Féraud, président du groupe Paris en commun, sénateur de Paris ; Léa Filoche, adjointe de la maire de Paris en charge des solidarités, de la lutte contre les inégalités et contre l’exclusion, groupe Génération. s de Paris ; Emmanuel Grégoire,premier adjoint à la maire de Paris, groupe Paris en commun ; Fatoumata Koné, présidente du Groupe écologiste de Paris ; Pierre Laurent, sénateur de Paris, Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste du Sénat ; Eric Lejoindre, maire du 18e arrondissement, groupe Paris en commun ; Nathalie Maquoi, présidente du groupe Génération. s Paris ; Danièle Obono, députée des 18e et 19earrondissements de Paris, La France insoumise ; Carine Petit, maire du 14e arrondissement, groupe Génération. s Paris ; Éric Pliez, maire du 20e arrondissement, groupe Paris en commun ; Sylvain Raifaud,coprésident du groupe Alternative écologiste, sociale et citoyenne à la Métropole du Grand Paris, Groupe écologiste de Paris ; Anne de Rugy,coprésidente du groupe Alternative écologiste, sociale et citoyenne à la Métropole du Grand Paris, Groupe écologiste de Bagnolet (Seine-Saint-Denis) ; Anne Souyris, adjointe à la maire de Paris en charge de la santé, Groupe écologiste de Paris.
Lien de la tribune : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/28/a-paris-il-est-urgent-d-agir-contre-la-situation-dramatique-et-indigne-liee-au-crack_6086044_3232.html