L’association Accord 68 met en oeuvre ce dispositif judiciaire.
Son intervention pluridisciplinaire vise d’abord à agir sur le processus d’embrigadement sectaire.
«L A contrainte de la décision de justice et l’adhésion nécessaire de l’individu sont la force de ce dispositif », résume Jean-François Thony, procureur général près la cour d’appel de Colmar, à l’initiative du « programme de prise en charge de personnes soumises à des dérives radicales », lancé en octobre 2015 au tribunal de grande instance (TGI) de Mulhouse. « Je souhaitais une réponse concrète à ce phénomène qui se développait en Alsace, une des cinq régions les plus touchées par les signalements de personnes radicalisées ou en voie de radicalisation », explique-t-il.
Deux récents rapports (*) du Sénat ont salué le caractère exemplaire de ce dispositif inédit. Fin février, la mission d’information confiée aux sénatrices Esther Benbassa (EELV) et Catherine Troendlé (LR), tout en dénonçant le « fiasco complet » des dispositifs de « déradicalisation », soulignait « l’expérience réussie » de cette initiative. « Nous soutenons ce programme en y apportant en particulier nos ressources pour aider à la réinsertion des personnes », indique Paul Quin, adjoint au maire de Mulhouse chargé de la sécurité et de la tranquillité publique.
APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE
« C’est une démarche judiciaire individualisée », décrit Dominique Alzeari, procureur de la République près le TGI de Mulhouse. Concrètement, le programme s’adresse à des personnes sans historique de dérive radicale en lien avec une entreprise terroriste et n’ayant donc pas le niveau d’une radicalisation violente.
Les individus concernés ont commis une ou plusieurs infractions – apologie du terrorisme ou provocation publique à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale, par exemple, à l’occasion desquelles des « signaux préoccupants » de radicalisation ont été repérés.
S’ensuit alors une prise en charge de plusieurs mois dans le cadre d’une mesure alternative aux poursuites pénales, d’un sursis avec mise à l’épreuve en cas de condamnation, ou d’une mesure d’assistance éducative, prononcée par un juge des enfants s’il s’agit de mineurs. « Le programme est cousu main », indique Mélodie Jamet, assistante spécialisée en matière de lutte contre la radicalisation près du TGI de Mulhouse. Sa mise en oeuvre a été confiée à l’association mulhousienne Accord 68.
Une équipe pluridisciplinaire composée du coordinateur du programme, de deux psychologues, deux éducateurs spécialisés et d’une pédopsychiatre, intervient prioritairement sur le processus d’embrigadement sectaire dans lequel est entrée la personne radicalisée. « Nous n’avons pas la prétention de « déradicaliser ». L’intervention consiste à lutter contre le lavage de cerveau en travaillant sur les croyances et non sur l’aspect religieux de la radicalisation », décrit Dominique Alzeari. Concrètement, la prise en charge débute par une évaluation de la situation de la personne. « Cette première phase est très importante », précise Isabelle Depommier, directrice d’Accord 68. Objectifs : analyser le vécu de la personne, cerner ses ressources et ses faiblesses, et identifier les facteurs de la radicalisation. Ces professionnels vont ensuite agir pour remettre en question l’emprise mentale et déconstruire les certitudes de l’individu radicalisé. « Il n’a plus d’esprit critique et de libre arbitre. Il est important qu’il prenne conscience de l’emprise et qu’il souhaite s’en sortir. Nous l’aidons à construire de nouveaux repères et à se protéger contre une nouvelle emprise », explique la directrice. « Nous proposons un accompagnement au changement », complète Virginie Meister, psychologue à Accord 68.
L’approche au fort accent psychologique reste globale. Accord 68 travaille ainsi en réseau avec la protection judiciaire de la jeunesse, le service pénitentiaire d’insertion et de probation, l’hôpital et la ville.
IMPLICATION DES MAGISTRATS
Après vingt mois de mise en oeuvre, ce programme a fait ses preuves grâce notamment à l’implication progressive des magistrats du siège. A vocation régionale, il a été étendu au ressort du TGI de Colmar. « Après leur prise en charge, certaines personnes sont restées en contact avec le coordinateur. Signe de l’efficience de notre action », précise Dominique Alzeari.