« La sénatrice EELV du Val-de-Marne, Esther Benbassa, et le secrétaire national du Parti de Gauche, Alexis Corbière, expliquent leurs divergences sur le sujet. Interview croisée.
Alors, pour ou contre les statistiques ethniques ? Dimanche dernier, c’est du côté du parti Les Républicains qu’a été relance ce vieux débat, quand François Fillon a appelé dans le « Journal du Dimanche » à faire « sauter le tabou des statistiques ethniques ». Hervé Mariton est monté au créneau dans la foulée pour dénoncer « quelque chose de transgressif« , soupçonnant François Fillon de vouloir « booster » sa campagne (pour les primaires de 2016).
La question divise donc à droite. Elle divise aussi à gauche. Sénatrice EELV du Val-de-Marne, Esther Benbassa a rédigé avec Jean-René Lecerf (ex-UMP) un rapport dans lequel elle défend les statistiques ethniques afin de lutter contre les discriminations. Ce n’est pas l’avis d’Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de Gauche qui rejette cette analyse au nom du principe républicain de l’égalité des citoyens. Interview croisée.
La droite a remis sur le tapis la question des statistiques ethniques, un sujet tabou qui dépasse les clivages gauche-droite et vieux serpent de mer. Pourquoi ?
Esther Benbassa – Oui c’est un vieux serpent de mer ! Et on ne lâchera pas. Contrairement à François Fillon qui veut stigmatiser ceux qui s’intégreraient moins bien que d’autres, nous voulons pouvoir mesurer les obstacles et les discriminations auxquels sont confrontés les personnes qui sont nées françaises : elles n’arrivent pas à obtenir ce que les Français d’origine obtiennent. Cela reste tabou parce qu’on n’a pas expliqué aux gens ce que sont vraiment les statistiques ethniques. Dans le rapport que nous avons remis au Sénat, avec Jean-René Lecerf, nous proposons un outil qui permet de trouver des solutions pour remettre en marche l’ascenseur social. Soyons clair, on sera obligé de passer par la discrimination positive, comme on l’a fait pour les femmes avec la loi sur la parité.
Alexis Corbière – La proposition de François Fillon s’inscrit dans une rhétorique hostile à certains immigrés. Mais les statistiques ethniques sont aussi portées par des gens qui veulent lutter contre les inégalités. Je les distingue de la droite et l’extrême droite. Nos concitoyens issus de l’immigration africaine ou des départements d’Outre-mer sont frappés par des inégalités et même la cible d’une discrimination spécifique. En quoi les statistiques ethniques apporteraient une solution ? La « discrimination positive », idée qui généralement en découle, dans une société de chômage de masse, broierait toute idée d’action collective des citoyens en les invitant exclusivement à revendiquer leur place dans le pourcentage d’emplois statistiquement consenti.
Opposant ou partisans mettent en avant l’exemple des Etats-Unis. Comment l’expliquez-vous ?
Esther Benbassa – Je ne dis pas que les Etats-Unis soient le meilleur exemple mais, là-bas, pour commencer, on ne parle pas de discrimination positive mais de « positive action ». La façon de concevoir l’intégration des gens nés de parents étrangers ne pose pas les mêmes problèmes que nous : ils sont compris qu’il s’agit d’un apport important, aussi bien du point de vue économique que culturel. C’est grâce à la discrimination positive qu’ils ont pu créer une classe moyenne noire.
Alexis Corbière – Les récentes violences mortelles qu’on subit des citoyens noirs dans les villes de Ferguson, New York ou Cleveland témoignent que cette société est un contre-exemple. Aux Etats-Unis aujourd’hui, les statistiques ethniques sont fragmentées en 14 sous-catégories. Le découpage racial du recensement américain n’a cessé d’évoluer selon les pouvoirs et les intérêts des groupes en présence. Pour quel résultat ? […]
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