Au sortir de l’élection présidentielle française, la problématique de « la fracture territoriale » réapparaît dans le débat public. Les discours majoritaires sur la représentation de l’hexagone opposent systématiquement les métropoles aux « territoires oubliés » de la République. Ainsi, le découpage géographique s’impose comme la norme pour penser les mesures à prendre en fonction de ces « zones » arbitrairement délimitées. Pour autant, peut-on pertinemment appréhender des espaces dans leur homogénéité ? Au-delà d’une vision binaire et figée, comment penser l’interdépendance ville-campagne ? Retour sur l’impératif de faire société dans une France clivée.
Un monde en docs – Daniel Behar, géographe… par publicsenat
Le fait que les électeurs ruraux aient voté Front National alors qu’Emmanuel Macron est arrivé en tête en Île-de-France a fait apparaître pour de nombreux observateurs une France coupée en deux. En effet, l’assimilation des habitants ruraux à des territoires dits « oubliés » est une grille d’explication largement répandue pour répondre à l’ascension du vote Front National à la dernière présidentielle. Tout se passe comme si naissait dans ces territoires un sentiment généralisé de désaffiliation et de relégation qui nourrirait la colère et pousserait au vote FN. Mais pour Daniel Behar, « il n’y a pas de vote rural ni de vote urbain ». Selon le géographe, « il faut relativiser ce déterminisme géographique ». Cette géographisation abusive pousse souvent à dire que le vote en faveur de Marine Le Pen est celui des plus démunis, habitant de surcroît dans des zones où sévit le chômage. Daniel Behar précise qu’il faut dissocier « la valeur absolue de la valeur relative. Si on prend le poids des pauvres au sens statistique, c’est-à-dire inférieur à 2/3 du revenu médian des Français, dans les communes rurales, il est très important. Mais en valeur absolue, les 2/3 de ces personnes les plus pauvres sont dans les grandes villes. Donc, on ne peut pas assimiler ruralité et pauvreté », précise-t-il.
Le rural : un junk space ?
Autrement dit, amalgamer tous les territoires ruraux participe à une forme de déterminisme territorial et à la fabrique d’un sentiment victimaire qui fait le lit du FN. Et pourtant. Même si Anne Nivat, journaliste qui retrace sa rencontre avec le monde rural dans l’ouvrage Dans quelle France on vit, prétend que le rejet naît d’un sentiment plus que de statistiques fondées, le cœur des dynamiques se trouve bel et bien dans les villes.
Aujourd’hui, il est indéniable qu’une distinction s’opère entre la France compétitive des métropoles et la France des champs, moins dynamique. Comment lutter contre l’ « apartheid territorial » et réintégrer ces « tiers espaces » dans un archipel d’aires efficientes ? Cette corrélation était d’ailleurs plus probante autrefois comme le rappelle Daniel Behar :
« l’Histoire de la France s’est politiquement et institutionnellement constituée à partir du rural. Justement parce que nous sommes très centralisés, nous avons fabriqué un contrepoids qu’est la commune […]. [Le duo] ville-campagne était organiquement solidaire, c’est-à-dire que la ville faisait vivre les services pour les ruraux et inversement, les ruraux alimentaient les villes. Aujourd’hui, ce lien s’est défait parce qu’on est dans une espèce de zapping territorial. Par exemple, nous allons chez Ikea dans la métropole, les ruraux travaillent et consomment en ville etc. Donc, je pense que c’est un des défis de la puissance publique que de refaire du bien commun local ».
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Pour aller plus loin :
- Dans quelle France on vit d’Anne NIVAT, éd. Fayard, 2017
- Anatomie sociale de la France. Ce que les big data disent de nous, Hervé LE BRAS, éd. Robert Laffont, 2016
- La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires de Christophe GUILLUY, Flammarion, 2014
- Nouvelles relégations territoriales d’Esther BENBASSA , Jean-Christophe ATTIAS, éd. CNRS, 2017