Homosexuels torturés en Tchétchénie : à Paris, les manifestants réclament “l’action des candidats” (« Les Inrocks », 21 avril 2017)

par Juliette Redivo
Contre les tortures et les meurtres des homosexuels en Tchétchénie, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées place de la République, jeudi soir à Paris. S’ils demandent un cessez-le-feu aux présidents Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine, les manifestants ont avant tout appelé les 11 candidats à la présidentielle à réagir, alors qu’ils sont en pleine “omerta”.

La photo de la tête de Vladimir Poutine, maquillé en drag queen devant un drapeau LGBTI, est brandie face à la statut de Marianne. “Stop homophobie !” indique la pancarte plastifiée du jeune manifestant, qu’il tient en l’air devant le symbole de la République française comme pour défier le président russe. “De toute façon, Poutine c’est un PD !”, lit-on avec ironie sur la feuille d’un autre manifestant. Il est assis par terre, en silence, aux pieds du monument de la place de la République. Comme eux, ils sont plusieurs centaines à s’être rassemblés ce jeudi, dès 19 heures, pour dénoncer la vague de répression lancée contre les homosexuels tchétchènes, par le gouvernement du président Ramzan Kadyrov. “Que ce soit à Paris, en France et dans le monde, on doit tous se mobiliser pour dire que c’est inadmissible”, explique une manifestante. Sur le monument de la place de la République, un drapeau géant LGBTI flotte dans l’air.

Un drapeau géant LGBTI a été installé tout autour de la statut de Marianne (Photo Juliette Redivo)

Munis de quelques pancartes et de plusieurs drapeaux multicolores, ils sont venus “condamner le drame et apporter leur soutien” à la communauté gay en Tchétchénie. Depuis novembre dernier, toutes les personnes soupçonnées d’être homosexuelles sont arrêtées, torturées et parfois tuées. Selon le journal indépendant russe Novaïa Gazeta, qui a révélé cette information fin mars, une centaine de personnes seraient actuellement torturées dans des “prisons secrètes”. Au moins trois d’entre elles auraient été tuées par les hommes du président tchétchène, qui serait à l’origine de cette chasse à l’homme d’après le journal. S’il a démenti toute implication dans ces arrestations, des manifestations continuent de s’organiser à travers le monde.

Elina, membre de l’association MAG Jeunes LGBTI (Photo Juliette Redivo)

“C’est comme des camps de concentration !”

“J’ai eu les larmes aux yeux en apprenant la nouvelle, avoue la jeune Elina, venue avec MAG Jeunes LGBTI, l’association à l’origine du rassemblement. Je suis bisexuelle donc ça m’a touché personnellement. Je me dis que quelque part, des gens veulent ma mort”, précise-t-elle. Tanguy et Anthony ont eu la même réaction : “On a l’impression de se retrouver en eux. On est tous les deux gay, on a connu des discriminations et j’ai beaucoup été persécuté par ma famille. On est là pour dire aux victimes que même s’ils ont voulu nous rabaisser, il ne faut pas rester silencieux : on est là, on existe !”, clame Tanguy. En Tchétchénie, qui est une enclave de la Fédération de Russie, l’homosexualité est considérée comme un tabou. Dans certaines familles, cela est même “passible de la peine de mort”. Beaucoup de Tchétchènes sont donc en fuite depuis le début de la traque.

Dans le groupe, rassemblé devant le monument de la place de la République, beaucoup sont issus de la communauté LGBTI. On compte une dizaine d’associations (InterLGBT, Contact, Le Refuge etc.) et seulement quelques hétéros, regrettent certaines personnes : “Il y en a peu, mais il faut bien que les gens comprennent que ça touche tout le monde, qu’on soit hétéro ou homo !”, proteste Marie, accompagnée de son copain, après la minute de silence respectée en hommage aux victimes.

“Les politiques doivent se bouger !”

A quatre jours du premier tour de l’élection présidentielle, les organisateurs ont voulu marquer le coup. Microphone en main, Omar, l’un des organisateurs, lance les hostilités : “Les candidats à la présidentielle doivent prendre une position concrète, c’est inconcevable de rester muet face à ce qui est une entrave aux Droits de l’Homme !” Nicolas, bénévole depuis 4 ans à l’association Contact, est du même avis : “Il y a une omerta de la part des politiques, ils ne veulent pas se mouiller car l’élection présidentielle arrive.” Si certains ont condamné ce drame, aucun n’a fait pression sur le gouvernement de Ramzan Kadyrov ou de Vladimir Poutine, qui entretiennent des liens étroits, pour faire cesser la traque.

Omar, de l’association MAG Jeunes LGBTI, à l’origine du rassemblement (Photo Juliette Redivo)

Seules quelques personnalités locales étaient présentes ce soir, comme Patrick Bloche, député PS de Paris, Esther Benbassa, sénatrice EE-LV du Val-de-Marne ou Jean-Luc Romero, conseiller régional apparenté PS d’Ile-de-France. Mais pas plus. “Il y a une indifférence glacée de la part des politiques !”, dénonce ce dernier. Pour Patrick Bloche : “Il faut interpeller Vladimir Poutine compte tenu du rôle qu’a dû jouer la Russie dans ce drame, pour que les Droits de l’Homme puissent perdurer à Paris, en France et dans le monde”. Les manifestants ont ainsi lancé une pétition en ligne pour demander à l’ONU, à l’Unesco et aux 11 candidats à la présidentielle d’agir.

“Les résultats de dimanche seront mauvais pour nous”

Face à ce silence, beaucoup craignent une régression dans la défense de leurs propres droits. “Le Pen, Fillon, vous allez faire quoi pour garantir nos droits ?” scande une dame en retrait. “On voit bien la montée du populisme en France et en Europe, évidemment qu’on a peur pour nous ! Il faut faire réagir l’opinion publique maintenant, surtout à quelques jours des élections ! Les LGBTI doivent être des citoyens comme les autres”, souhaite une autre femme, qui ne se sent pas rassurée face au verdict de dimanche.

Après une minute d’applaudissement pour les victimes, le groupe se disperse petit à petit. Ceux qui restent n’ont qu’un sujet à la bouche : les résultats de dimanche, pour le premier tour de la présidentielle, qui risque d’être “très mauvais pour la communauté gay”, craint un militant.

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