« Karim : « Je milite pour l’écologie car elle défend les minorités » » (Têtu, 20 octobre 2016)

Depuis quatre ans, Karim Hammour est militant écologiste. Il a trouvé dans Europe Ecologie Les Verts un « positionnement très novateur dans [sa] réflexion en tant que jeune gay ».

Notre-Dames-des-Landes, traité CETA, légalisation du cannabis… Telles sont pour moi, néophyte de l’écologie, les points saillants d’EELV. C’est donc en pensant avoir bien préparé mon sujet que je pars à la rencontre de Karim Hammour. Et tombe de haut.

Je me suis rendu compte que ce qui me plaisait dans l’écologie, c’est l’approche sociale : la défense des minorités, qu’elles soient sexuelles, ethniques ou de toute sorte. Et pas tant l’environnement en tant que tel. Ce que les gens ont tendance à appeler l’écologie.

Touchée. Car je me reconnais dans « ces gens » qui pensent qu’écolo rime avec label vert et vie ascétique. Karim, volubile, m’expose le contraire avec la précision d’un laser :

Les gens nous disent « Vous ne vous intéressez qu’à l’environnement ». Mais c’est pas ça. Moi si je m’intéresse à la disparition d’une plante, c’est pas pour la plante, mais c’est parce que c’est une chance en moins de connaître un vaccin par exemple.

Pour moi, l’écologie c’est l’intelligente imbrication entre les problématiques environnementales et sociales. Dont les questions d’identité de genre et d’identité sexuelle. Car l’approche écologique est basée sur la pluralité, la tolérance, et sur une harmonie entre ces diversités. Il ne s’agit pas de dire « La nature c’est ça ou c’est ça ». Mais « La nature c’est ça, aussi ça, et ça, et aussi ça… » J’y ai trouvé un positionnement très novateur dans ma réflexion en tant que gay.

Pourtant, à première vue, difficile de ne pas hérisser le poil et d’entendre les réminiscences de la Manif pour tous quand on parle de l’ordre naturel des choses… Karim boit une gorgée de thé et nous fournit une toute autre grille de lecture :

L’homosexualité telle qu’elle est vécue et appréhendée par nos sociétés questionne toujours ce qu’est l’Homme et ce qu’est la nature de l’Homme. Est-ce que c’est inné ou acquis ? Je pense que n’importe quelle personne LGBT se pose cette question : « Est-ce que je suis conforme à la nature ou pas ? » Or les études montrent que la nature ce n’est pas un homme et une femme, toutes les espèces animales connaissent des rapports homosexuels hors période de rute. Il y a tout un tas de préconçus à déconstruire.

Conjuguer rainbow flag et drapeau vert

Du haut de ses 27 ans, Karim Hammour est secrétaire d’Europe-Ecologie Les Verts Paris-Centre. Il s’occupe donc bénévolement des quatre premiers arrondissements de la capitale. S’il admet qu’il a toujours « eu une sensibilité écolo non révélée, qui n’était pas pensée comme telle », il a néanmoins « toujours eu un pied dans le militantisme actif ». Et c’est peu dire ! A seulement 19 ans il fait le tour des médias pour promouvoir le livre de Franck Chaumont – alors co-fondateur du collectif « Ni pute ni soumise » – Homo-ghetto sur les gays et lesbiennes vivant en cité, puis est sollicité pour une réunion de travail avec Valérie Pécresse contre l’homophobie à l’université. Il porte ensuite la parole du CAELIF qui regroupe 16 associations étudiantes LGBT de grandes écoles et sert même de caution morale à l’entrée du collectif au sein de l’Inter-LGBT.

C’est finalement en traînant en queue de cortège à la Marche des fiertés parisienne en 2012 qu’il tombe sur une troupe qui défile à pied et à vélo – parce que les chars, c’est pas très écolo – sous l’ondulation de drapeaux verts. Il rejoint aussitôt la commission LGBT d’Europe Ecologie Les Verts et adhère officiellement au Parti l’année suivante lorsqu’il constate le recul des partis progressistes aux élections et la montée du Front national.

J’aime les endroits où il y a de la réflexion, de la matière et du débat. Et l’écologie c’est une logique qui sous-tend nos actions et notre réflexion. Je trouve ça novateur sur le plan politique car on a tendance à être dans la simplification, dans le binaire et le schématique. Dès l’instant où on apporte de la complexité, et de la différence, ça nécessite de la pédagogie, de l’explication, et du temps aussi. Et en ce sens, il m’a semblé que les écolos étaient très avant-gardistes sur les questions LGBT.

Il y a « beaucoup, beaucoup » de gays chez les écolos

Selon lui, l’imbrication entre la dimension LGBT et l’écologique est évidente, et tient de la minorisation qui ressort à la fois dans la nature du Parti, la sociologie de ses adhérents et leurs actions. « On vient tous avec ce qui fait qu’on est minoritaire dans notre parcours, notre histoire. Quand quelqu’un relève de la minorité, il y aura toujours un écolo à côté pour le défendre » explique Karim, « C’est vraiment dans l’ADN des écolos. »

Ce n’est peut-être donc pas pour rien s’il y a « beaucoup, beaucoup » de gays au sein du Parti, me confirme-t-il. A tel point qu’on serait tenté de se demander « Est-ce que ça chope à la Chocolaterie [le QG d’Europe-Ecologie Les Verts, ndlr] ? » Mais à Karim de rester sérieux :

A la choco’ c’est surtout une ambiance de travail, même si on y fait des rencontres. Mais on organise aussi des « apéros nus », c’est-à-dire naturistes. Et là je ne me prononcerais pas sur les issues.

D’ailleurs, le poppers, les capotes… Est-ce bon pour l’environnement ? Est-ce qu’on peut coucher écolo ?

Alors il existe du gel anal bio, qui est très bien ! Pour ce qui est des capotes, il nous arrive de faire des distributions de préservatifs estampillés Europe-Ecologie Les Verts… et tout le monde pense qu’elles sont bios !

Les Verts en première ligne pour la communauté

Sur ces questions, Karim se félicite plutôt qu’EELV « arrive à insuffler un rapport de force assez intéressant grâce à nos élus, qu’ils soient à la mairie de Paris, au Sénat ou à l’Assemblée ». Il revient sur plusieurs actions politiques menées par les écolos : le député Sergio Coronado a déposé énormément d’amendements sur les questions de PMA, la sénatrice Esther Benbassa a porté la question du changement de sexe devant le Sénat, la commission LGBT d’EELV a sous-tendu le projet de camp naturiste à Paris.

Ce que j’aime dans l’écologie, c’est qu’on a un vrai modèle de société à proposer qui permet à chacun de trouver sa place. Qu’on redécouvre des possibles et qu’on a des champs de manœuvre. Par exemple, promouvoir le Pass Navigo à tarif unique, c’était une vraie révolution. On est aussi très attaché à la parité parce que toutes ces règles « très techniques » participent à la visibilité et à l’intériorisation de certaines normes sociales. Et je me rends compte que l’écologie est vraiment une réponse à tout un tas de questions qui sont aujourd’hui cruciales en terme d’égalité, de santé, de justice et de justice sociale.

C’est d’ailleurs non sans une pointe de fierté qu’il m’indique que les députés écolo sont non seulement les plus présents à l’Assemblée, mais aussi ceux dont les amendements sont le plus adoptés. « ça montre qu’on est des ultra-bosseurs et qu’on a vocation à arracher des victoires » analyse Karim. Un adage qui se confirme chez lui. Entre son double-master en études européennes et relations internationales, les conférences, les café-débats et les cours du soirs, il lui faut quatre feuilles A4 bariolées au surligneur pour faire tenir son emploi du temps hebdomadaire.

« J’entend souvent dire qu’on est des idéalistes »

Plus on discute, plus j’ai l’impression qu’écologiste signifie sur-homme. Et ça ne s’améliore pas lorsqu’il interrompt son explication sur « Les trois vexations de l’Homme » pour pointer un passant du doigt : « Ce monsieur qui passe, c’est un bénéficiaire des Resto du Cœur. Je le vois quand je coordonne la distribution le samedi à République ».

Et à se demander si les adhérents sont tous aussi engagés. D’après les chiffres, ils sont en tout cas piochés parmi les plus diplômés.

Mais alors, le parti n’est-il pas un peu déraciné d’une partie de la population ?

– Pas dans les idées, mais dans le vécu je dois reconnaître que oui. On a autant de succès à Paris parce qu’on est face à des gens qui n’ont pas de fin de mois difficile, qui ont a mangé autant qu’ils veulent, qui ont suffisamment accès aux loisirs et qui peuvent se demander « Quelle est la place du citoyen que je suis ? », « Quelle doit être mon action ? » C’est vrai que quand on est préoccupé par le fait de trouver un travail, nourrir ses enfants, boucler ses fins de mois, l’écologie n’est plus le premier vecteur par lequel on gère sa vie. Et le prochain café-débat que je vais organiser ce sera « Comment on fait de l’écologie populaire et accessible » pour sortir de cette image d’écologie « élitiste », de bobos blancs qui habitent à Paris et qui consomment bio.

A cette première faille de l’idylle écolo s’ajoute enfin celle de Karim qui comme tout un chacun a ses contradictions, bien qu’elles soient minimes. Car oui, monsieur avoue avoir déjà craqué sur du Nutella lorsqu’il était en vacances et posséder un iPhone « mais dès qu’il tombe en panne, j’achète un Fair Phone ! » Car il se considère avant tout comme un écologiste « en devenir » qui « aspire à tirer vers le bien ». D’ailleurs, avec sa passion pour le voyage, il est très concerné par l’idée de réduire son empreinte carbone.

Ouf ! On aurait presque pu croire que Karim était un robot. D’ailleurs il doit filer, il a cours de langue arabe à 18 heures. Déjà deux heures que nous échangeons sur l’écologie et me voilà quasi convertie. Il m’achève en conclusion :

J’entend souvent dire qu’on est des idéalistes, utopistes. Mais pour moi l’utopie c’est croire qu’on va pouvoir continuer avec notre modèle actuel, sans rien changer. L’écologie c’est un rapport à l’anticipation. On répète que le prix de l’inaction sera beaucoup plus dur quand on n’aura plus le choix. Mais ça, ça se construit ensemble, et dans le dialogue. Et ça nécessite de se tenir par la main. Seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin.

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