Intervention en séance lors de la discussion générale sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France. (16 février 2016)

Texte n° 339

Projet de loi relatif au droit des étrangers en France

(Procédure accélérée)

Discussion générale

Mardi 16 février 2016, 6 minutes

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

 

Nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner, en nouvelle lecture, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, qui probablement sera rejeté en l’état.

En effet, son rapporteur, Monsieur Buffet, proposera au Sénat, au nom de notre commission des lois, de décider qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération.

Argument principal de cette motion, le fait que, je cite, « en nouvelle lecture, le texte adopté par l’Assemblée nationale n’ait pris en compte aucune des préoccupations majeures exprimées par le Sénat à travers plusieurs amendements d’importance ».

Rappelons ici que le Sénat, à l’initiative de la droite, avait considérablement durci le texte, allant même jusqu’à en changer le titre et passer de « Projet de loi relatif au droit des étrangers en France » à « Projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration ».

Tout est dit dans ce titre dont le texte a trait à des droits d’individus, d’hommes, de femmes, d’enfants immigrés, auquel la droite sénatoriale répond par « maîtrise de l’immigration ».

La focalisation sur ce thème, nous l’avons retrouvée tout au long des débats au sein de notre Haute Assemblée, qui a fini par adopter nombre de dispositions pour le moins problématiques : limitation de l’octroi du nouveau titre de séjour pluriannuel aux titulaires d’un CDI, aux entrepreneurs ou aux personnes exerçant une profession libérale et aux étudiants inscrits en master, restriction des conditions d’accès à l’aide médicale d’État, restriction des conditions du regroupement familial, conditionnement du droit au séjour pour raisons médicales à l’absence totale de traitement dans le pays d’origine…

Même s’il faut bien admettre que le texte adopté par l’Assemblée Nationale, comme le projet de loi initial d’ailleurs, était très loin de satisfaire nos attentes, son vote tel quel sera un moindre mal.

Nous avions toutefois, au groupe écologiste, des propositions à défendre pour l’améliorer, surtout  qu’il comporte encore des dispositions que nous ne pouvons cautionner.

Exemple le plus emblématique : les articles 8 et 25 qui y figurent encore, imposant à une longue liste d’administrations ou d’entreprises publiques et privées de fournir toute information que les agents de la Préfecture jugeront utile pour le contrôle « de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ou au contrôle de l’authenticité des pièces » des personnes titulaires d’une carte de séjour, sous peine d’une amende de 7 500 euros.

Ces dispositions ont été dénoncées par nombre de professionnels et d’institutions. Notamment par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui dénonce « une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale garanti à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme » et par le Défenseur des droits, pour qui en fait il s’agit de « la disposition la plus contestable du texte ».

Autre exemple d’importance, l’article 19 qui, en encadrant la rétention des mineurs, permet la légalisation de cette pratique indigne de notre pays.

Faut-il rappeler, mes chèrEs collègues, que l’enfermement d’enfants en centre de rétention a déjà été plusieurs fois considéré par la Cour européenne des droits de l’homme comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. Malgré cela, en 2014, 5 692 enfants ont été enfermés, 110 en métropole et 5 582 à Mayotte.

Mais de ces dispositions, pas plus que de celles concernant les étrangers malades ou les conjoints de Français, nous n’aurons probablement pas l’occasion d’en débattre davantage.

Je le regrette, ce sont des sujets importants qui méritent un débat démocratique.

Mais j’avoue également que je suis un peu soulagée de ne pas avoir à revivre les débats auxquels nous avons assisté en première lecture et qui ont été surtout l’occasion de postures parfois relativement violentes.

Nous l’avons constaté ces derniers mois surtout, lorsqu’on parle d’immigration, il est difficile pour certains de raison garder et de résister aux discours chargés d’amalgames avec une tendance à la diabolisation de l’étranger. Les raisons électoralistes n’échappent pas à grand monde.

Au moins, aujourd’hui ces discours nous seront-ils  épargnés.

Je vous remercie.