PPL n° 336 :
tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste
– Discussion générale –
Mardi 2 février 2016
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le rapporteur,
Mes ChèrEs collègues,
Dressons l’inventaire des différentes lois de lutte contre le terrorisme les plus récentes: celle de décembre 2012, puis celle de novembre 2014, celle relative au renseignement et celle sur la surveillance des communications électroniques internationales, toutes les deux votées en 2015, et celle relative à l’état d’urgence toujours en 2015. Et puis jeudi dernier, celle relative à la sécurité dans les transports.
Aujourd’hui c’est le tour de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste portée par Philippe Bas et plusieurs de ses collègues. Déposée à peine plus d’un mois après les attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre, c’est donc au tour de la droite sénatoriale de se lancer dans la compétition législative en matière de lutte contre le terrorisme.
Pense-t-on sérieusement que le terrorisme est soluble dans la surenchère législative?
Aucune de ces lois n’a empêché et ne risque d’empêcher durablement le terrorisme, ni d’endiguer la guerre civile que les assassins liés à Daesh cherchent à faire éclater en France.
A Versailles, le Président de la République a qualifié les actes terroristes du 13 novembre « d’actes de guerre ».
Depuis quand riposte-t-on à la guerre – à supposer qu’on fasse « la guerre » à des voyous meurtriers – avec des lois qui à chaque fois se révèlent passablement inefficaces, à considérer les effroyables actes terroristes qui ont plongé notre pays dans la tragédie en 2015 ?
Ces lois sont à même, dans le meilleur des cas, de couvrir les politiques, qui, en cas de récidive, pourront dire qu’ils ont quand même beaucoup fait, et de donner à nos concitoyens l’impression illusoire qu’ils sont à l’abri. Tout cela me semble relever de la méthode Coué tant le phénomène terroriste est terriblement complexe.
Hélas, notre Premier Ministre pense que comprendre, c’est déjà excuser. Ce qui revient en réalité simplement à faire injure à la pensée. Devrons-nous donc devenir aussi obscurantistes que nos ennemis les terroristes ?
Le texte que nous allons examiner aujourd’hui, inspiré par une demande du Procureur François Molins lors de son audition par le Comité de suivi de l’état d’urgence (j’y étais), donne l’occasion à la droite de montrer à ses électeurs, à l’approche des prochaines échéances électorales, qu’elle ne reste pas les bras croisés. Par ailleurs, son vote par la gauche servirait-il de monnaie d’échange pour que la droite vote la révision constitutionnelle? Donnant donnant…
Les réponses répressives et sécuritaires se suivent, dénotant notre impuissance, à nous les politiques, à changer de cap. Lorsqu’on refuse de comprendre, on se cache derrière des lois. Elles n’effrayeront pas les terroristes. Elles feront plutôt le bonheur du FN s’il arrive jamais au pouvoir. Nous lui préparons ainsi le terrain. Et dans le même temps lentement nous sacrifions aux terroristes nos libertés publiques et individuelles.
Aujourd’hui vouloir s’attaquer aux causes profondes de ce terrorisme qui nous touche en plein cœur suffit à vous faire traiter de dangereux naïf, peu soucieux de la sécurité de ses concitoyens. Les historiens de mon espèce ne sont pas impressionnés par ces vaines attaques, ils ont la longue mémoire tirée de l’histoire de ce genre de suivisme.
Et non, mes chèrEs collègues, ni mon groupe ni moi-même n’excusons rien… Mais la lecture de cette PPL éveille chez nous la crainte des dérives que certaines de ses dispositions sont susceptibles d’engendrer tant elles sont attentatoires aux libertés individuelles.
L’article 2, par exemple, qui permet de réaliser une perquisition sans l’accord et en l’absence de l’occupant, nous paraît, malgré l’introduction du juge des libertés et de la détention, pour le moins problématique.
Ou encore l’article 12, qui crée un nouveau délit de séjour intentionnel sur un théâtre étranger d’opérations terroristes. Certes, il est question des jeunes qui partent grossir les rangs de Daech, mais nous devons prendre de la hauteur et nous souvenir que les lois ne s’appliquent pas seulement dans certaines circonstances. Une jeune femme rejoignant les Peshmergas pour défendre les femmes Yezidis doit-elle risquer cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ? Je vous le demande.
Nous avons déposé quelques amendements, visant à supprimer les dispositions les plus problématiques, de leur sort dépendra le vote du groupe écologiste.
Je vous remercie.