Un nouveau front a été ouvert par Manuel Valls dans cette guerre tous azimuts dans laquelle l’exécutif s’est lancée – au nom de la lutte contre le terrorisme et des petites tactiques électorales. Ce nouveau front? La laïcité. Ça faisait longtemps, aussi… Inlassablement triturée, tirée à hue et à dia, la laïcité a depuis belle lurette été sacrifiée sur l’autel du soi-disant rassemblement de la nation. Pourquoi ne s’en tient-on pas au texte de la loi de 1905, et à l’esprit qui l’anime, qui donnent de la laïcité une définition ouverte, tolérante, respectueuse de tous les cultes à la seule condition qu’ils n’empiètent pas sur les prérogatives de l’Etat, neutre par vocation? Notre premier Ministre n’en a évidemment cure.
L’important, c’est de taper, et de taper fort !
Haro sur l’Observatoire de la laïcité présidé par Jean-Louis Bianco, et sur Jean-Louis Bianco lui-même! Pourquoi? Parce qu’il est le signataire d’une pétition parue le 15 novembre dernier, deux jours après les attentats. M. Valls n’a-t-il donc pas vu que l’avocat Jean-Pierre Mignard, un proche de François Hollande, me semble-t-il, la présidente de la CNCDH, Christine Lazerges, le Grand Rabbin de France, un membre dirigeant du CRIF, et quelques autres dignitaires ont eux aussi signé ce texte?
Le problème? Quelques noms portés, selon notre Premier ministre, par certains des « représentants les plus virulents de l’islam politique ». Que quelques-uns d’entre eux aient des idées politiques en effet quelque peu tranchantes ne modifie ni le sens, ni la portée du texte signé, tant est grande la diversité de celles et de ceux qui s’y sont retrouvés.
Qu’importait! Il fallait que Jean-Louis Bianco fût devenu un furieux islamiste pour s’être joint à cette clique! Lundi, lors de sa conférence chez les amis du CRIF, dont le statut et les positions ne peuvent certes pas être tenues pour non-communautaires, M. Valls s’en est donc pris à cet Observatoire, mis en place par la gauche, à son président, et à la laïcité prônée par ce dernier, décidément trop accommodante à ses yeux.
Un « ami des Juifs » bien indésirable
Le lieu choisi pour lancer ces invectives était le pire que l’on pût imaginer. Tout était réuni pour conforter les antisémites de tous poils dans leurs petites idées complotistes. Était-ce le Premier ministre de la France qui s’exprimait? Ou M. Valls n’était-il que le porte-voix de la « communauté » dont il était l’hôte?
L’impair était d’autant plus grave que nul ne se souvenait que le même M. Valls eût jugé bon de faire preuve du même laïcisme agressif pour « recadrer », comme on dit, les députés Habib et Goasguen arrivés à l’Assemblée nationale kippa sur la tête pour prétendument se solidariser avec le professeur d’école juive attaqué à coups de machette pour la seule raison qu’il était juif. Là, pour le coup, la loi de 1905 et son esprit semblaient bien avoir été violés, non? Par ailleurs, la solidarité, légitime, ne doit-elle pas s’afficher avec les femmes à fichu comme avec les hommes à kippa lorsqu’ils sont agressés?
Calculs et manœuvres
La querelle entre laïcistes agressifs et laïcs sereins n’est pas nouvelle. Des laïcistes socialistes, Manuel Valls en tête, ont trouvé leur pasionaria féministe en Caroline Fourest (je l’ai souvent vue arpenter la cour du Sénat sous la Présidence Bel), et leur petit maître à penser en Mohamed Sifaoui. L’un comme l’autre surfant sur la vague, parce que la laïcité radicale, figurez-vous, est un petit business! Jetez-y vous donc, vous pourriez bientôt devenir un homme ou une femme d’influence écouté(e).
Avant le vote sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité pour les binationaux, Manuel Valls a probablement voulu envoyer un signe positif au RDSE, dont quelques membres siègent à l’Observatoire de la laïcité, et qui présente une proposition de loi dans les jours qui viennent au Sénat pour l’inscription de la laïcité… dans la Constitution ! Comme si la loi de 1905 ne suffisait pas. La Constitution est décidément en passe de devenir un vrai fourre-tout.
La laïcité, l’idée de ceux qui n’en ont plus
Ces divisions remontent à Aristide Briand. Mais depuis quelques années, il faut bien reconnaître que des politiciens à court d’idées montent à ce créneau pour faire avancer leurs pions. Connaissant leur inculture en histoire des religions, j’observe cette agitation un peu vaine, mais aussi dangereuse, avec les yeux de l’Usbek de Montesquieu.
Conçue et pratiquée comme le souhaitent un Jean-Louis Bianco et les laïcs non hystériques, la laïcité est vectrice d’inclusion. Elle est une voie pouvant mener à une pratique religieuse sereine et à une société plus apaisée. Reconnaissons, chez certains, la réalité d’un retour à la religion. L’essentiel est de respecter ce retour tout en en endiguant les possibles dérives. Inutile pour cela de s’ériger en nouveaux croisés laïcs!
Apologie de l’ignorance
Après l’épouvantail de la déchéance des binationaux, avions-nous besoin de ce nouveau regain de passion laïque, quand on sait que pour beaucoup de ses tenants les plus dogmatiques la laïcité n’est que le moyen d’exprimer une islamophobie qui ne dit pas son nom? Si M. Valls faisait faire quelques petits tours incognito dans les quartiers à ses conseillers, il pourrait mesurer la rancœur et la rancune qui montent contre l’exécutif. Mais vouloir comprendre, pour M. Valls, c’est excuser, bien sûr. Et mieux vaut rester ignare et juger de tout avec autorité en toute méconnaissance de cause. Il n’y a guère que Mme Badinter, nouvelle sainte laïque, qui trouve grâce à ses yeux…
À quoi sommes-nous donc arrivés? À un exécutif qui déteste ceux qui pensent, sociologues, historiens, savants de toute espèce. S’il ne les avait pas sacrifiés au profit de pseudo experts qui ne lui disent que ce qu’il veut entendre, il aurait sans doute mieux compris les tenants et les aboutissants du phénomène terroriste très complexe auquel il lui faut faire face. Déchéance, laïcisme primaire, est-ce vraiment pour nous noyer dans les inepties de ce gouvernement et de ses petits affairistes réactionnaires que nous avons voté en 2012?
Penser et donner à penser
Aujourd’hui, notre rôle, de citoyens et d’élus, est de penser et de donner à penser, d’expliquer et de ne pas tomber dans des querelles absurdes qui nous détournent de l’essentiel. L’état d’urgence, la déchéance, les petits calculs électoralistes, le lavage de cerveaux, la course sans fin à une popularité qui sans fin s’érode… Méritions-nous vraiment cela? L' »état de guerre » avec lequel on cherche juste à nous faire peur est un moment de suspension du présent et une hypothèque sur l’avenir. Nul besoin d’y ajouter, comme une cerise sur le gâteau, cette nouvelle guerre d’opérette de la laïcité.
Pour (re)lire la tribune sur le Huffington Post, cliquez ici !