Vu du Sénat: la nouvelle écologie arrive aujourd’hui! Faisons du neuf avec du vieux… (Le Huffington Post, 17 octobre 2015)

POLITIQUE – Après des semaines de commedia dell’arte, quelques têtes d’affiche de l’écologie, ayant quitté la maison mère (EELV), lancent leur nouvelle petite fédération, l’UDE. L’UDE, qu’il m’arrive souvent de confondre avec l’UDI, par l’effet d’un lapsus difficilement contrôlable. Et de fait, le jour où la droite sera revenue au pouvoir, ce ne sera peut-être même plus un lapsus? Tout est possible, non?

Quoi qu’il en soit de l’avenir, voici notre présent: l’UDE, assemblage de fortune, sorte de petite créature frankensteinienne de la politique politicarde, qui doit déjà compter moult présidents, coprésidents et vice-présidents, mais à part ça assez peu de monde, déclare donc sa naissance aujourd’hui. Qui en seront les heureux membres?

Ecologistes !
Ecologistes !, d’abord, qui entend faire de l’écologie « réformiste », centriste, PS-compatible (pour le moment), et qui sait? peut-être compatible demain avec une droite pas trop dure… Micro-parti fondé par François de Rugy et Jean-Vincent Placé, qui, accusant EELV de « dérive gauchiste », l’ont quitté en faisant beaucoup plus de bruit que de mal.

Le premier, député, à qui nul ne conteste sa compétence et une certaine constance, voyant que François Rebsamen, notre ministre du Travail, s’exfiltrait du gouvernement pour récupérer sa mairie de Dijon (maire, un poste plus sûr que ministre par les temps qui courent), espérait peut-être être appelé à de hautes fonctions, à la faveur d’un remaniement, quand EELV s’opposait à toute participation d’un de ses membres à l’exécutif en place. Il a sauté sur l’occasion, sans savoir qu’il sautait dans le vide.

Jean-Vincent Placé, sénateur et fin tacticien, pensait probablement agir plus tard, après les élections régionales. Il s’est vu contraint de quitter EELV en toute précipitation, histoire quand même de ne pas se laisser doubler par le malin de l’Assemblée. Et s’est spectaculairement pris les pieds dans le tapis.

Les gros poissons démissionnaires d’EELV craignaient surtout que, s’ils ne se rangeaient pas dès maintenant aux côtés du Parti socialiste, leurs chances d’être réélus ne soient fortement compromises. Mieux valait faire allégeance dès maintenant, sans même négocier le moindre accord programmatique. D’autant plus si Cécile Duflot devait se présenter à la présidentielle, la chose, perçue comme un casus belli au PS, pouvant rendre bien difficiles les négociations en vue de l’attribution de places éligibles aux députés et aux sénateurs écologistes sortants. Ou encore si EELV lui-même refusait finalement, purement et simplement, de faire alliance avec le PS lors de ces prochains scrutins.

Le ver était dans le fruit

Le motif avoué de cette agitation? La crainte qu’EELV ne valide des listes d’union avec le Front de gauche aux régionales, et fasse ainsi le jeu du FN en divisant la gauche. En réalité, depuis leur fracassant départ, des listes de ce genre, il n’y en a eu guère que deux…

Le ver était dans le fruit, en fait, depuis un an, depuis mars 2014. Alors que tant de grandEs éluEs écologistes convoitaient qui, un ministère, qui ne fût-ce qu’un secrétariat d’Etat, Cécile Duflot et Pascal Canfin, déjà ministres, eux, avaient déclaré ne plus vouloir en être, fracassant d’une simple déclaration toutes ces belles ambitions.

Ministres, pas ministres, était-ce pourtant vraiment le problème? La grogne enflait à l’intérieur du parti. La politique du gouvernement en décevait plus d’un. Et la nomination de Manuel Valls comme Premier ministre ne semblait rien annoncer de bon. Duflot et Canfin n’avaient fait que suivre leur base et anticiper ce qui allait venir. Placé, de Rugy et consorts ne furent dans cette affaire que des victimes collatérales.

Du moins est-ce là ce que j’en sais. Et je ne sais sûrement pas tout.

Des élus par la grâce de leur seul mérite

D’ailleurs, non, ce n’est pas tout. Et même moi, issue de la société civile, je le sais.
Il y a aussi la maladie génétique du politique, de quelque bord qu’il soit, écologiste ou pas, de droite, de gauche ou d’ailleurs : l’égocentrisme. Un égocentrisme tel qu’il peut faire oublier aux élus que si leur parti ne les avait pas investis, ils n’auraient seulement pas pu faire campagne pour devenir ce qu’ils sont, justement: des élus. Une fois élus, certains s’imaginent ne devoir leur bonne fortune qu’à leur immense mérite.

À partir de ce moment-là, rien ne peut plus mettre de frein à leur désir de conquête. S’ils sont députés, sénateurs, pourquoi ne seraient-ils pas demain ministres ? Et même s’il faut, pour atteindre ce noble but et lever tout obstacle, donner quelques coups de pied au vivier dont vous êtes sorti… On habillera la manœuvre de sublimes intentions, même si l’on sait que personne n’y croit.

Plus habile que moi, tu meurs !

Et l’on n’hésitera pas à prêter main forte à une manœuvre qui vient de plus haut. De l’Élysée en fait, qui n’a en cette affaire qu’un objectif: affaiblir EELV, pour barrer la route de la présidentielle à Cécile Duflot. Comme si cela devait suffire à François Hollande pour se maintenir au second tour.

Allons, soyons optimistes. Un second mandat de François Hollande vaut bien de sacrifier quelques places aux régionales (pas trop tout de même) au(x) nouveau(x) parti(s) de F. de Rugy et de J.-V. Place (Ecologistes ! et UDE). Une façon de les remercier du même coup du désordre qu’ils ont semé à l’intérieur d’EELV (qui en a pourtant connu d’autres et qui, cette fois-ci comme les autres, s’en remettra).

Cumuls

Faisant d’une pierre deux coups, les semeurs de désordre remercieront à leur tour de cette façon les « débauchés » au compte-gouttes des dernières semaines. Ils l’auront, leur siège régional. Enfin, peut-être. Et juste les plus gros et les plus malins. Les petits, eux, seront les perdants du jeu, débauchés juste pour gonfler (un peu) la troupe. Mais eux aussi s’en remettront, non?

Parce que figurez-vous que, si j’en crois la rumeur, certains « petits » élus n’auraient quitté EELV que parce qu’en les plaçant mal sur ses listes, EELV les aurait injustement privés de tout espoir de cumul. La professionnalisation de la politique, c’est ça aussi.

En politique comme ailleurs, les gagne-petit sont plus nombreux que les autres. Quand un élu cherche à changer la vie de ses concitoyens, deux pensent d’abord à mieux gagner la leur. On ne saurait d’ailleurs le leur reprocher: tant qu’il n’y aura pas de statut de l’élu, la précarité sera la règle, et il est normal que certains cherchent à se prémunir contre elle.

Nous en sommes donc là, et le peuple nous en veut pour cela. Il croit que nous ne sommes pas là pour lui. C’est parfois vrai. Fort heureusement pas toujours. Reste que vie politique, j’entends celle de certains petits marquis et des grands, ne semble souvent être rien d’autre que ça: manœuvres, petites et grandes, privilèges, petits et grands.

L’UDE, large spectre

Dans la fédération qui naît ce jour, il y aura aussi Jean-Luc Bennahmias. L’errant de la politique. Où ne l’a-t-on pas vu, cet homme ? Chez les Verts, au Modem… Le voici qui rejoint l’UDE avec le (tout dernier) parti qu’il a fondé, le Front démocrate. Parti, le mot est peut-être un peu fort. Qui en a entendu parler ? Combien de membres compte-t-il?

La faiblesse relative de ce second partenaire devait être compensée par le renfort d’un troisième: Génération Écologie. Mais ça ne se fera pas. Génération Écologie, qui boude, va rester dans son coin.

Le spectre devait être large, n’est-ce pas? À l’arrivée, il s’est un peu rétréci. Un douillet entre-soi, certes. Mais un nid de grands et de petits ambitieux, qui pourrait bien ne pas tarder à exploser sous le poids des égos.

Pendant ce temps-là, Jean-Christophe Cambadélis -sous les auspices de qui la création de l’UDE était tout de même placée!- nous fait son petit référendum. Pour une gauche unie. Il n’est pas au courant, Cambadélis, que le projet de son patron, François Hollande, c’est bien d’abord de diviser. De semer la zizanie chez les écologistes. Et au final d’atomiser la gauche elle-même. Il y a comme un petit manque de communication, là. Quelqu’un peut le prévenir, Cambadélis?

Guerre de tranchées

Mais revenons à nos héros du jour, ces fondateurs de la nouvelle écologie. L’ancienne était de gauche, celle-là sera plus souple. Pendant ce temps-là, au Parlement, c’est la guerre de tranchées.

Si François de Rugy a su contourner l’écueil, et il faut lui rendre hommage sur ce point, en quittant la présidence du groupe écologiste de l’Assemblée, tel n’est pas le cas de Jean-Vincent Placé. Lui persiste à vouloir rester à la tête de son groupe au Sénat, alors que la majorité des membres dudit groupe sont encore des adhérents d’EELV, qu’il a quitté, lui, pour former son propre parti.

Même s’il a été un bon président pendant quatre ans, J.-V. Placé n’est plus tout à fait légitime, me semble-t-il, pour occuper cette fonction (à laquelle, faut-il le préciser, je ne suis nullement candidate). Et nous, sénateurs et sénatrices écologistes, par-delà même nos petits conflits de tendances, accablés de travail comme nous le sommes, n’aspirons qu’à une chose: travailler tranquillement, justement. Il nous faudra apparemment attendre encore un peu.

Il n’est pas impossible qu’un consensus se dégage lors de notre réunion de groupe du 20 octobre. Encore faudra-t-il que ce consensus tienne compte d’une motion votée par le Conseil fédéral d’EELV, au terme de laquelle des sénateurs EELV ne sauraient rester membres d’un groupe présidé par un dirigeant d’un parti concurrent…

Mascarades ?

Mascarades, me direz-vous? Peut-être. Reste que ces mascarades, s’ajoutant à la politique du gouvernement telle qu’elle est menée aujourd’hui, ne contribuent qu’à une chose, la division de la gauche (et le référendum en cours n’y changera rien), et qu’elles ne convaincront certainement pas les absentéistes de retrouver le chemin des urnes.

Nous avions voté pour la gauche. Pour une gauche diverse, oui, mais unie, et de gauche… Nous nous retrouvons avec un social-libéralisme mal dans ses pompes, cultivant la querelle de clochers comme un art. Nous en payons les frais. Nos écologistes transfuges oscillent comme nos gouvernants: ils ne savent plus qui ils sont, ni où ils sont, cherchent leur salut électoral dans des voies tout aussi scabreuses, et s’accommodent de compromis peu dignes de ce que nous attendions d’eux.

Cette micro-vague de départs, un peu déstabilisante, n’est pas tragique. Reste qu’après la COP21 et les élections régionales, EELV devrait en tirer quelques leçons. Parce que quoi qu’on en pense, et quoi que j’aie dit dans cette tribune même, chaque militantE qui s’en va reste une question posée au parti qu’il/elle a quitté. Rien ne servirait de se replier sur soi-même. Et de se consoler à bon compte, en se disant que les partants n’étaient que des méchants.

Une fois le deuil fait, et pour que cette petite tempête se mue en victoire, il faudra bien une remise à plat. Pour continuer le combat, avec un programme clair et fièrement assumé, qui rendra aux yeux de tous à l’écologie politique ses lettres de noblesse, et à nos électeurs et aux Français cette confiance en nous que nous méritons assurément.

Un vœu pieux? Soit. Un vœu sincère en tout cas.

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