PJL n° 521 :
relatif au renseignement
– Discussion générale –
Mardi 23 juin 2015
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le rapporteur,
Mes ChèrEs collègues,
Contrairement à d’autres textes d’importance qui tardent à être débattus, il n’aura fallu que quelques mois, depuis son dépôt en mars 2015, pour que ce projet de loi soit examiné par les deux chambres.
Aurions-nous confondu, Monsieur le Ministre, vitesse et précipitation ? Je le crains.
67 sénateurs, dont les 10 membres du groupe écologiste, se sont opposés à ce texte.
Comment peut-on encore adopter aujourd’hui des lois rappelant celles de George W. Bush, qui plus est après les scandales que nous avons connus et les révélations d’Edward Snowden? Qu’avons-nous fait pour mériter ce traitement antidémocratique, que nous laisserons en héritage aux exécutifs à venir, qui pourraient se révéler moins scrupuleux que celui d’aujourd’hui?
Pourquoi cette surdité aux arguments fondés de ceux qui s’opposent à ce PJL? Cette cécité face aux dangers qu’il présente?
Avez-vous cédé au lobby des services de renseignement qui n’ont pas jusqu’ici démontré leur grande dextérité à déjouer les attentats dont notre pays a été la cible? Est-ce avec les métadonnées qu’ils y parviendront, quand on sait qu’ils n’ont pas pu suivre des délinquants en processus de radicalisation religieuse malgré les informations transmises par des responsables des lieux de détention où ils s’étaient trouvés incarcérés?
Ce PJL s’ajoute à l’empilement existant de législations antiterroristes produites ces dernières années, lesquelles ont un peu trop laissé la bride sur le cou à nos services. Certes, il fallait un texte pour mettre fin aux dérives, aux pratiques non encadrées, voire illégales. Mais pas un texte comme celui dont nous débattons à nouveau, et qui met cette fois légalement en péril nos libertés.
Personne ici ne peut être taxé de laxisme ou d’inconséquence face au terrorisme. Mais il faut, j’en suis certaine, lui opposer une résistance efficace et consciente sans jamais brader nos libertés, première cible, justement, des obscurantistes qui nous visent.
Je voudrais partager avec vous, mes chèrEs collègues, les propos d’Edward Snowden, lanceur d’alerte s’il en est, qui résonnent aujourd’hui d’une manière bien singulière : « le fait de dire qu’on se fiche de la vie privée parce qu’on n’a rien à cacher revient à dire qu’on se fiche de la liberté d’expression parce qu’on n’a rien à dire. »
Le champ d’application de la loi devait, pour être acceptable, être davantage limité et définir de manière précise et restrictive les motifs d’intérêt public justifiant la mise en œuvre des activités de renseignement.
A la lecture du texte de la commission mixte paritaire, qui reprend dans son ensemble la rédaction élaborée par notre Haute Assemblée, force est de constater qu’on en est loin.
Au nom de la sécurité, et même s’il s’agit de lutte contre le terrorisme, on ne peut pas placer entre les mains de l’administration les pouvoirs normalement dévolus aux juges.
Pour prévenir d’éventuelles conséquences fâcheuses, les pouvoirs de la Commission Nationale des Contrôles de Techniques de Renseignement (CNCTR) auraient dû être renforcés. Nous avions d’ailleurs préconisé qu’elle puisse, lorsqu’on lui demande l’autorisation de mettre en œuvre une mesure, vérifier, sans délai et sans restriction, que celle-ci est parfaitement légale, proportionnée et subsidiaire.
Non seulement ce n’est pas le cas dans le texte qui nous est soumis aujourd’hui, mais une disposition a été ajoutée, à l’initiative du rapporteur de l’Assemblée nationale, autorisant le Premier ministre à avoir recours aux techniques de renseignement sans avis préalable de la CNCTR lorsque leur mise en œuvre ne concerne ni un Français, ni un résident habituel en France.
Le Conseil constitutionnel aurait probablement eu à examiner cette disposition contraire au principe d’égalité devant la loi et nous nous réjouissons de la volonté du gouvernement de la supprimer.
En revanche, il y a une autre disposition que le gouvernement souhaite supprimer qui nous paraît très inquiétante.
En effet, l’amendement n°7 à l’article 3 bis, reviendrait tout simplement, s’il était adopté, à vider de sa substance le mécanisme de protection des lanceurs d’alerte déjà précaire prévu par le texte.
Ceci ne doit pas être considéré légèrement mes chèrEs collègues. L’adoption d’une telle disposition rendrait le texte encore un peu plus attentatoire aux libertés individuelles.
Finalement, ce texte n’est de nature ni à assurer la sécurité de nos concitoyens, ni à garantir leurs libertés individuelles (respect de la vie privée, inviolabilité du domicile ou des correspondances, liberté de conscience, d’opinion, de manifestation, d’expression…)
C’est donc une fois de plus, en conscience, que nous voterons contre ce texte.
Je vous remercie.