par Esther BENBASSA, Directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études, sénatrice verte (Val-de-Marne)

Le 18 octobre, la Chambre des communes britannique se prononçait en faveur d’une reconnaissance de l’Etat palestinien. La Suède a franchi le pas. L’Espagne vient de suivre. Ils sont désormais 134 pays à l’avoir fait, dont les pays européens de l’ancien pacte de Varsovie.

Au nom du groupe écologiste du Sénat, j’ai déposé, le 23 octobre, une proposition de résolution pour la reconnaissance de l’Etat palestinien. Dans la foulée, le 28, le groupe communiste républicain et citoyen (CRC) déposait un texte similaire, et l’inscrivait dans son espace réservé du 11 décembre, pour discussion et vote en Hémicycle. Les députés PS de l’Assemblée nationale se sont décidés à nous emboîter le pas, et on annonce un vote sur leur future proposition de résolution dès le 28 novembre. Et il n’est pas impossible que les sénateurs socialistes se lancent et tentent d’inscrire leur propre texte dans leur niche du 11 décembre. Si le texte des députés a toutes les chances d’être voté à l’Assemblée, où ils disposent encore d’une majorité, les choses risquent d’être moins simples au Sénat, où la droite est majoritaire. Nous aurions pu conduire une action collective, qui aurait donné plus de chances à une adoption transpartisane du texte – y compris avec des sénateurs de droite et du centre. C’était, au groupe écologiste, notre idée de départ. Mais la surdité du ministre des Affaires étrangères, ajoutée à la frilosité des personnalités clés d’autres sensibilités politiques n’inclinaient pas à l’optimisme. Alors qu’un vent de soutien à une reconnaissance de l’Etat palestinien souffle en Europe depuis l’opération «Bordure protectrice», et que l’on peut s’attendre à ce que d’autres Etats de l’UE suivent l’exemple de la Suède, le sujet reste tabou chez beaucoup de nos politiques.

Convictions pro-israéliennes des uns, calculs électoralistes des autres, sentiment de culpabilité persistant hérité des années noires, peur d’être taxé d’antisémitisme, les raisons de ne pas bouger sont variées. Sans compter que la communication des Palestiniens en France est des plus silencieuses. Et qu’elle n’est pas de nature à rivaliser avec celle, très active et très réactive, des Israéliens, alors même que les attentats palestiniens perpétrés ces derniers jours ne jouent pas non plus en leur faveur.

N’est-il pourtant pas temps de tourner cette page-là ? L’ambassadeur d’Israël a fait la tournée des popotes parlementaires pour dissuader les élus de s’engager dans cette voie. Le vote symbolique que nous souhaitons n’en est pas moins nécessaire.

C’est une urgence d’abord pour les Palestiniens et pour Mahmoud Abbas, qui proposera une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un retrait israélien complet, dans les deux ans, des Territoires palestiniens occupés depuis 1967. On peut supposer que les Etats-Unis exerceront leur droit de veto. Aux Européens, de faire entendre une autre voix. Et ce quand le «processus de paix» est au point mort et qu’Israël préfère maintenir le statu quo et poursuit les constructions dans les implantations.

Les marges de manœuvre diplomatique sont certes étroites. Tout vote symbolique en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinien aux côtés de l’Etat israélien – dont toutes les parties doivent reconnaître le droit à l’existence et le droit à la sécurité – est néanmoins un pas en avant, et permet de neutraliser l’influence du Hamas, dans un contexte politique moyen-oriental des plus préoccupants. Les Etats européens ont intérêt à pousser dans ce sens et à passer enfin des mots, des subventions, aux actes. De tels votes en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinien pourraient amener Israël à sortir de son isolement, à entamer de vrais pourparlers avec des Palestiniens désormais considérés comme des égaux de plein droit.

Par ailleurs, de tels votes pourraient bien avoir des retombées positives ici, dans les pays de l’UE, et spécialement en France. On se souvient des manifestations de cet été, des violences et des dérapages dont certaines ont été l’occasion. La reconnaissance par la France de l’Etat de Palestine serait perçue non comme la victoire d’un camp contre l’autre, mais comme un rééquilibrage indispensable. Elle couperait l’herbe sous le pied de ces petites minorités promptes à accuser «les juifs» de je ne sais quels complots.

L’identification aux Palestiniens a ses effets délétères. La lutte pour l’indépendance de la Palestine est le dernier combat anticolonialiste dans notre pays. Elle mobilise une large partie de la gauche, laquelle ne saurait être soupçonnée d’antisémitisme. Reste que nul ne peut ignorer les sérieuses dérives antisémites qui ont accompagné – et pollué – le mouvement de protestation contre l’opération Bordure protectrice. On ne saurait s’en étonner en cette période de précarité accrue où certains cherchent des boucs émissaires.

Dans ce contexte, il est fort regrettable que la gauche parlementaire avance en ordre dispersé. Il est à espérer que, même dans la division, l’issue de nos scrutins, au Sénat et à l’Assemblée, soit positive. Ce serait un pas en avant, la réaffirmation d’un simple principe d’équité et de justice, l’expression d’un soutien de poids aux Palestiniens et à la future et souhaitée coexistence pacifique de deux Etats indépendants. Mais aussi un signal en faveur d’un renouveau de notre savoir vivre ensemble, ici.

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