par Olivia Elkaïm,
Nicolas Sarkozy est revenu dans l’arène le week-end dernier. Mais pourquoi donc, en France, le personnel politique se renouvelle-t-il si peu ?
Son retour était annoncé depuis des mois. Nicolas Sarkozy sera candidat à la présidence de son parti, lors de l’élection du 29 novembre. Et il se comporte déjà en candidat à la primaire UMP pour la présidence de la République en 2017. Dans ses déclarations, sur Facebook, au Journal du Dimanche et au JT de France 2, il y avait une impression de déjà-vu. L’homme aurait appris de son expérience ; il se sentirait obligé de revenir, compte tenu de l’état du pays. Il a joué la carte de l’homme providentiel.
Mais quid de son bilan ? Quid d’un programme ? L’ex-locataire de l’Élysée n’a pour l’instant exposé aucun projet, à part celui de changer le nom de l’UMP et d’en faire un grand parti de rassemblement, au-delà des clivages. « En Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis, quand le chef d’un parti échoue, le parti change de chef, raille Hervé Mariton, député et candidat à la présidence de l’UMP, lui aussi. Nous, on ne change pas de chef, mais de structure ! Notre faiblesse idéologique est compensée par un attachement à la personne. »
Des apparatchiks indétrônables
Le cas Sarkozy illustre un mal qui traverse la classe politique française : son incapacité à se renouveler. De fait, peu de nouvelles têtes émergent. Le système politique et les modes de scrutin entretiennent des carrières de notables. La persistance du cumul des mandats n’arrange rien (la loi sur le non-cumul ne devrait s’appliquer qu’en 2017). Certains élus semblent indétrônables, même quand ils ont été condamnés par la justice, comme c’est le député UMP Patrick Balkany, élu de 1988 à 1997, et depuis 2002… « Que sait-on encore faire au bout de quatre, cinq mandats ? On finit par être exsangue, sans idée et obligé de son propre parti ! », s’inquiète Esther Benbassa, sénatrice EELV.
« La professionnalisation de la vie politique existait déjà sous la IIIe République, souligne Gaëtan Gorce, sénateur PS. Mais elle s’est accentuée. Certains élus sont d’abord intéressés par leur situation matérielle avant de participer aux débats idéologiques de fond. » PS et UMP sont ainsi remplis d’apparatchiks qui gagnent leur vie grâce à la politique. Les Verts échappent encore un peu à ce travers : ils continuent de faire appel à des candidats issus de la société civile et ne sont pas tout à fait usés par la pratique politique. « Il y a encore une fraîcheur du pouvoir », assure Esther Benbassa. « Dans notre pays, les idées, les programmes ont finalement peu d’importance », commente Christian Delporte, historien et auteur de Come back ! ou l’art de revenir en politique (Flammarion). « Les Français se passionnent pour le combat singulier entre les hommes. Ce n’est pas un hasard si la présidentielle est l’élection phare. »
Pour émerger, un élu doit avoir sa place dans une écurie présidentielle ou être présidentiable lui-même. « Le système politico-médiatique est très réducteur et ne favorise pas l’émergence de nouvelles personnes », regrette Jean-Pierre Lecoq, délégué fédéral de l’UMP à Paris. Il est vrai que notre classe politique se renouvelle moins vite qu’ailleurs. « Chez nous, toute défaite n’est jamais définitive ! Un politique qui échoue n’est jamais mort », confirme Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques à l’université de Versailles-Saint-Quentin. Il a fallu trois présidentielles pour que Mitterrand et Chirac, tous deux anciens ministres, finissent par s’imposer. Giscard n’a eu de cesse, après sa défaite de 1981, de tenter des retours.
Des parcours identiques
Pour la présidentielle de 2017, Alain Juppé s’est déjà porté candidat à la primaire de l’UMP, tout comme François Fillon. L’un et l’autre ne sont pas de jeunes pousses. Évoque-t-on un éventuel retour de Martine Aubry ? L’ex-première secrétaire du PS est dans le paysage depuis 35 ans. « Les jeunes générations ont du mal à s’imposer, car elles ne sont pas forcément rassurantes pour nos concitoyens », croit savoir Gaëtan Gorce. Manque de cohérence et de continuité dans les idées, prévalence du coup médiatique… Leur engagement n’est pas forcément jugé « durable ». L’expérience rassure, au risque d’un non-renouvellement problématique. Ces dernières années, à droite, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez, Bruno Le Maire ou Nathalie Kosciusko-Morizet ont réussi à « exister » sur le devant de la scène. Mais leurs velléités de conquête sont désormais écrasées par le retour du chef Sarkozy.
« De toutes façons, ces quadras n’ont jamais souffert, ils n’ont pas eu à labourer le terrain, ce sont des héritiers ! » jalouse un élu UMP qui pointe là un problème majeur : celui de la formation du personnel politique. Les filières de recrutement ne sont plus très variées. À quelques exceptions près, les élus du PS et de l’UMP ont les mêmes parcours. Soit ils enchaînent école de commerce, Sciences Po et Éna, avant d’intégrer un cabinet ministériel, comme c’est le cas de François Hollande et de son entourage. Soit ils émergent par le biais des syndicats étudiants et du parti, en étant collaborateurs d’élus avant de se faire élire eux-mêmes…
Une crise de la représentativité
« Ils ont fait Sciences Po, passé un concours de l’administration (…) et finalement trouvé un poste d’attaché parlementaire ou un job dans une collectivité et, pour les plus chanceux ou les plus habiles, dans un “cabinet” », a récemment critiqué Michèle Delaunay, ex-ministre PS, sur son blog. Son billet, intitulé « Le tunnel, ou comment faire carrière sans mettre un pied dans la vraie vie », a été fort commenté. L’élue de Bordeaux, ancienne cardiologue, dénonce ce qui mine notre démocratie : une crise aiguë de la représentativité.
« Le décalage démographique et sociologique entre les élus et ceux qui les élisent est de plus en plus patent », renchérit Laurent Bouvet. Le Parlement ? Il est constitué en majorité d’hommes blancs d’environ 55 ans, issus d’une classe moyenne supérieure, souvent fonctionnaires en disponibilité… On y trouve juste un quart de femmes, une minorité d’ouvriers, d’agriculteurs et de salariés.
Pour l’instant, seuls la gauche radicale, les Verts et de rares socialistes en appellent à une VIe République pour diluer les pouvoirs et inverser cette tendance problématique pour notre démocratie.
Pour (re)lire l’article sur La Vie, cliquez ici!
Pour consulter la version papier, cliquez ci-dessous: