Réponse à la réponse : Esther Benbassa, Eva Joly (députée européenne) et Noël Mamère (député de la Gironde) réagissent ici à trois universitaires – Sylvain Crépon, Stéphane François, et Nicolas Lebourg –, qui avaient eux-mêmes critiqué sur Rue89 le « Manifeste pour une écologie de la diversité » que ces trois personnalités d’Europe Ecologie avaient publié dans Libération le 27 janvier.
Ils leur reprochaient d’user de concepts dangereux en faisant le parallèle entre diversité sociale et écologique. La réponse des auteurs.
Alors que M. Sarkozy, après avoir lié immigration et insécurité, poursuit sur sa lancée vers l’extrême droite en parlant de l’échec du multiculturalisme (concept n’ayant pourtant pas de sens en France) et en appelant de ses vœux un débat sur la laïcité qui ne vise en réalité qu’à stigmatiser un peu plus encore nos compatriotes musulmans, c’est à un bien curieux procès que nous avons droit depuis quelques semaines, suite à la publication dans Libération, le 27 janvier, de notre tribune « Manifeste pour une écologie de la diversité ».
Pour les uns, nous mettons en cause le concept même de laïcité. Pour les autres, nous emboîtons le pas de Nicolas Sarkozy quand ce dernier prétendait instaurer une « laïcité positive » et louait les qualités du prêtre en opposition à celles de l’instituteur.
Pour les derniers, enfin, ce sont les valeurs humanistes elles-mêmes que nous mettons à mal ; à tel point que nous sommes suspectés de mettre nos pas dans ceux de l’extrême droite que nous combattons…
Contre l’instrumentalisation de la laïcité
La laïcité est une valeur fondamentale de notre pacte social. Aucun autre pays n’est d’ailleurs aussi attaché à cette notion que les Français peuvent l’être.
Mais c’est précisément pour cette raison que nous refusons de la laisser déformer par l’extrême droite et par la droite au pouvoir et que nous voulons attirer l’attention sur une dérive des plus dangereuses, qui veut voir en elle non pas un outil de notre vivre ensemble mais au contraire une arme de destruction massive tournée contre une partie de nos concitoyens.
Si la laïcité est une vertu, son instrumentalisation et le laïcisme poussé à l’extrême ne le sont en aucune façon ; et entendre Mme Le Pen l’invoquer pour justifier la haine historique de son parti à l’égard de ce qui est aujourd’hui la deuxième religion de France est obscène, tout comme il est obscène de voir les responsables de la majorité et le président de la République lui emboîter le pas dans une visée purement électoraliste.
Entre nature et culture : le faux procès
Quant à nous accuser, ainsi que trois universitaires le font dans une tribune publiée par Rue89, de nous tromper de combat et même de mettre nos pas dans ceux de l’extrême droite suite à une comparaison qui ne leur plaisait pas… l’attaque est tellement curieuse qu’elle mériterait de n’être pas relevée. Voici les phrases qui nous valent tous les soupçons :
« Nous pouvons pourtant encore sauver et la laïcité et la République, à condition qu’elles soient revisitées, qu’elles cessent d’appuyer un nationalisme exclusiviste et stérile, et servent au contraire à créer les conditions d’une sociodiversité féconde. Lorsque le nombre d’espèces diminue dans la nature, les maladies infectieuses, elles, se multiplient.
Et pour les endiguer, des efforts doivent être déployés afin de préserver les écosystèmes naturels et leur variété. Qu’on nous pardonne le rapprochement, mais une société monoethnique (il n’en existe heureusement pas beaucoup) est une société condamnée. »
Sur la foi de ce parallèle entre nature et culture, nous voilà assignés à comparaître pour ethnodifférentialisme et fixisme culturel. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Dans leur explication de texte, les auteurs de cet article n’ont pas pris la peine par exemple de déterminer si ce coupable parallèle était à visée argumentative ou explicative.
Il s’agissait bien évidemment d’illustrer une idée, et non de la démontrer, contrairement à ce qui nous est reproché. Et cette première erreur en annonce d’autres. Ce rapprochement est ainsi tour à tour et au choix sous leur plume : un « argument », une « logique », « un parallèle », un « schéma formel », un « symbole » « une image ».
Alors de quoi parle-t-on ? Difficile de comprendre ce que les auteurs veulent vraiment dire quand autant de concepts, si différents les uns des autres, sont mobilisés pour commenter un seul et même élément…
L’extrême droite s’appuie de tout temps sur de prétendues lois naturelles pour justifier sa haine de l’autre et sa quête d’exclusion. Nous relevons simplement que la diversité est une condition sine qua non de toute forme de vie. L’extrême droite prétend qu’il n’y a pas d’« identité » qui ne soit génétique, et immuable, y compris au niveau des peuples.
Pour une laïcité ouverte et raisonnée
Nous relevons au contraire « qu’aujourd’hui plus encore qu’hier, il est difficile de concevoir des identités uniques et figées. Toutes sont et seront composites, évolutives, paradoxales, personne n’étant en mesure de les définir de force, sauf au risque de reproduire les modèles totalitaires ».
L’extrême droite prétend qu’on est français et doit l’être de génération en génération, sans possibilité de le devenir : deux d’entre nous sont nées à l’étranger et sont devenues françaises, et connaissent parfaitement bien ce qu’être « immigré » peut signifier… Il n’est pas certain que ceux qui prétendent que nous nous trompons de combat ne s’égarent pas eux-mêmes.
Ni « positive », comme quand Nicolas Sarkozy s’attaquait à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ni instrumentalisée, la laïcité a toujours été ouverte et raisonnée et symbole de tolérance ; elle doit le rester. Elle ne doit pas servir aujourd’hui à ceux dont la France rêvée serait une France barricadée sur elle-même, et ne souffrant aucune diversité.