Par Franck Johannès
La réforme pénale a été adoptée, jeudi 26 juin à 21 heures, par le Sénat dans une grande sérénité, qui tranche avec la haine glaciale qui suintait des débats à l’Assemblée nationale. Mais les textes des deux chambres sont si éloignés, et celui du Sénat si radical, que la tâche de la commission mixte paritaire, qui doit harmoniser les deux textes à partir du 8 juillet, va être difficile. Le moment a d’ailleurs été un peu pénible pour Christiane Taubira, systématiquement mise en minorité et qui a dû, à plusieurs reprises et en tordant le nez, se prononcer en faveur des amendements de la droite, contre la majorité de gauche.
La garde des sceaux s’est défendue jusqu’au bout et a eu l’élégance de saluer « la hauteur et la qualité des propos » des sénateurs, de droite comme de gauche. Le Sénat a ainsi supprimé les tribunaux correctionnels pour mineurs, mais renoncé in extremis à abolir la rétention de sûreté, qui ne concerne que les crimes dans un texte consacré aux délits.
Les 348 sénateurs ont cependant plutôt regardé le foot que repensé le code pénal. Ils n’étaient qu’une petite dizaine à voter : les deux sénateurs centristes ont voté contre, le groupe UMP aussi, mais il n’était représenté que par Jean-René Lecerf (Nord), plutôt favorable au texte, et qui s’est poliment abstenu. « Nous sommes fiers de ce texte, vraiment de gauche, a dit Esther Benbassa (écologiste), nous avions besoin d’un peu d’audace. »
Jean-Pierre Michel, rapporteur PS et fin juriste, s’est battu pied à pied, appuyé par le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, qui a assisté à l’intégralité du débat. Le rapporteur, agacé au fil des heures par la longueur des interventions de la ministre, n’a abandonné qu’avec regret l’abolition de la rétention de sûreté, une mesure très dérogatoire dans le droit français que le gouvernement a promis de supprimer ultérieurement.
LES PEINES PLANCHER SUPPRIMÉES
Les peines plancher, comme à l’Assemblée, ont ainsi été supprimées, comme la révocation automatique des sursis pour les récidivistes déjà plus lourdement condamnés. La contrainte pénale – la peine de probation – a été adoptée, mais dans des termes assez éloignés de ceux de l’Assemblée, qui entendait l’appliquer à tous les délits dont les peines encourues sont punies d’un maximum de cinq ans, avant de l’étendre à tous les délits en 2017.
Le Sénat, contre l’avis du gouvernement, s’est opposé à cette extension automatique, mais a voté une contrainte pénale obligatoire, détachée de la prison, pour une poignée de délits, la filouterie, les dégradations, l’usage simple de stupéfiants, le délit de fuite ou les délits routiers sans blessures ou d’homicides involontaires, c’est-à-dire les petits délits qui ne portent pas atteinte à la personne.
TAUBIRA, BRECHT ET « LA DOUCE VIOLENCE DE LA RAISON »
Le vol simple a été retiré de la liste, lorsque Jean-René Lecerf a fait remarquer que le délit pouvait certes concerner « le vol d’un tube de rouge à lèvres, mais aussi celui d’un fourgon blindé ». Christiane Taubira a fait remarquer que d’autres délits auraient pu entrer dans la liste, comme l’abandon de famille, et le Sénat a reconnu qu’il faudrait affiner la liste lors de l’évaluation de la loi, dans deux ans. Des dizaines de modifications techniques ont été adoptées, qui devraient sérieusement peser sur les pratiques judiciaires.
Comme la présence d’un avocat pendant les « retenues » d’un suspect par la police ; la possibilité d’un placement à l’extérieur comme mesure probatoire pour les longues peines ; la surveillance judiciaire par la police, imaginée par l’Assemblée pour les sortants de prison, a été notablement limitée. Pour le Sénat, la suppression du tribunal correctionnel n’est pas négociable, mais les deux parties entendent trouver un accord. Parce que « ce pays est celui de la raison », s’est enflammée Christiane Taubira. Histoire de placer une belle citation de Bertolt Brecht, sur « la douce violence de la raison ».
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