« Nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout de quelque chose », a déclaré le Premier ministre Manuel Valls, samedi 14 juin, en appelant les socialistes à serrer les rangs autour de son gouvernement sous peine de voir la gauche mourir et la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen arriver au second tour de la présidentielle de 2017. Je dirai qu’il s’agit là, à première vue, d’une saine réaction. Suffira-t-il pourtant de serrer les rangs pour ressusciter la gauche? Et quelle gauche? Ceci étant, oui, nous sommes bel et bien arrivés au bout de quelque chose.
Sénescence des partis
Pour commencer, les partis intéressent peu de jeunes, et la politique pas davantage. Preuve en est qu’ils constituent une part importante des abstentionnistes. Racine de ce désintérêt : les partis ont vieilli, ils se trouvent entre les mains d’apparatchiks souvent peu inventifs, fatigués par ce qu’ils font, mais qui n’ont guère d’autres moyens de subvenir à leurs besoins que de continuer dans ce métier, qu’ils avaient probablement exercé autrefois avec enthousiasme. Champions du cumul, beaucoup brillent par leur absentéisme dans les instances où ils siègent, et par ce petit coup de barre classique qui, dans les réunions, leur fait piquer de petits sommes.
La vieillesse est peut-être liée à l’âge. Mais elle est avant tout ce moment de la vie où on n’a plus de projets d’avenir. Nous en sommes un peu là. De guerres internes en chicanes futiles, les partis se déchirent. Leurs « ténors » s’épuisent en postures qui, au fond, n’intéressent nullement le quidam, et encore moins les jeunes. Les décisions prises, les projets élaborés sont à la hauteur – si l’on peut dire – d’un assoupissement général, que troublent, à grand peine, quelques « frondeurs », ici ou là.
Frondeurs et caciques
La plupart ne seront pas réélus. Ou rentreront dans le rang, quand viendra le temps de la distribution des places. Le PS a les siens, rebelles ou demi-rebelles, émergeant, désormais, au Parlement. Chacun mesure comme il peut son poids dans le parti. Qu’il y ait des convaincus, je n’en doute pas un instant. Car il en faut, de la conviction, pour faire marcher une fronde qui a tout de même besoin d’énergie pour durer un moment, avant que le couperet du parti ne tombe.
Je ne dirai certes pas que c’est beaucoup mieux au sein d’autres segments de la gauche. Quant à la droite, la lutte pour le pouvoir y aveugle des apparatchiks se positionnant – déjà ! – en vue de la prochaine présidentielle. Il n’aura pas fallu moins de trois vénérables caciques pour tenir la barre d’une UMP essoufflée, devant faire face à un FN qui, lui, fait tourner sa machine à plein, n’a pas encore été usé par l’exercice du pouvoir, et n’a jamais eu à affronter la complexité du réel économique, social et sociétal à gérer. Mais je laisse la droite s’occuper de ses affaires. Moi, c’est la gauche qui m’inquiète.
Les politiques planent-ils ?
En deux ans, l’exécutif, qui ne s’est pas toujours distingué par son professionnalisme, a mené grosso modo une politique de centre droit, sans grande imagination, couacs en série en prime. On se demande à quoi servent ces rapports qu’il commande en cascades, que peu de monde lit, et qui, en tout cas, n’empêchent pas les bourdes.
La pléthore des commissions ad hoc et autres groupes de travail régulièrement constitués n’a pas davantage les effets qu’on pourrait en attendre. Le monde politique reste étrangement sourd aux évolutions sociétales comme aux souffrances du peuple en cette période difficile. Parfois, au Sénat, je me demande pourquoi on auditionne toujours les mêmes. Et pas des femmes et des hommes comme tout le monde, qui ne seraient pas forcément les membres d’associations reconnues, ou pire, de lobbies. Des écrans nous séparent des vraies gens. On aime, hélas, tout ce qui est organisé et ce qui ne dépasse pas.
Vestiges d’Ancien Régime
Seraient-ce les derniers vestiges de l’Ancien Régime ? La crise, il me semble que nous la regardons parfois comme la « grande princesse » évoquée par Rousseau, qui suggérait aux paysans manquant de pain… de manger de la brioche. Nous gardons trop souvent, nous, politiques, un peu ce côté aristo » qui ne se mêle pas aux gens simples. A ceci près qu’aujourd’hui, les « gens simples » sont bien intégrés dans le jeu démocratique et qu’ils ne veulent plus de politiciens coupés de leur réalité. Leur désamour est en grande partie liée à cette indifférence dissimulée de trop d’élus (ou de nommés) à leur endroit.
Ce n’est pas par hasard qu’on appelle l’Elysée « le Château ». Oui, la Ve République est empreinte de cette inclination royale que le peuple n’accepte plus. Ce qu’il souhaite, le peuple ? Des politiciens dynamiques, ancrés dans le réel, inventifs, proches de leur quotidien. En fait des responsables politiques next door boy, ou next door girl. Nous en sommes loin. Parce que c’est compliqué, et dangereux. Plus on sera proche, plus il faudra avoir des idées concrètes, des projets viables, des solutions immédiates à proposer. La science politique apprise dans les livres d’hier n’est pas en mesure de répondre à ce besoin d’aujourd’hui de démocratie directe.
Misère des politiciens
Les institutions, les politiciens sont perçus comme lointains. Ils le doivent à leur langage, à leurs postures, à quelques idées creuses. Nous ne sommes même pas capables d’expliquer aux gens en quoi le FN est un danger, en quoi ses idées sont inapplicables. Comme nous n’avons su expliquer pourquoi l’Europe est une chance pour les générations présente et à venir. Nous ne savons même plus parler au peuple, tant nous sommes esclaves des « éléments de langage », des impératifs de la langue de bois et de notre goût de ces discours ennuyeux qui nous séparent chaque jour un peu plus de nos électeurs.
Nombre de politiciens, par excès de vanité, se contentent, pour survivre, de l’existence de leur propre ego. D’un ego surdimensionné qu’ils ont malheureusement arrêté depuis longtemps de nourrir. Ils lisent quand ? Ils se retirent quand du bruit médiatique pour se donner le temps de penser ? Ils ont coupé les ponts avec les intellectuels, qu’ils trouvent inutiles. Et pourtant, longtemps, ce sont ces intellectuels qui leur ont fourni des idées. Ne parlons pas des artistes, des écrivains, qui ne servent que de bibelots dans les cérémonies people…
Nous avons oublié aussi le débat politique, les échanges, le brain storming. On est dans l’immédiat à gérer. A quoi, finalement, servirait l’intelligence partagée? Le but est de gagner des élections, et celles-ci se suivent à un rythme qui ne laisse aucun espace à la moindre respiration. La priorité ? Approvisionner en continu médias et réseaux sociaux (si jamais on venait à nous oublier trente secondes !). Nous ressemblons de plus en plus à des starlettes dont la pensée finira par se réduire aux 140 signes d’un tweet.
Le politicien se transforme ainsi en un être hybride, souvent vide, et, ce qui est le plus grave, dénué de l’envie d’apprendre, de nourrir son cerveau d’autre chose que des manigances au quotidien et des infos déversées par les smart phones. Même le regard, qui est le premier vecteur d’une transmission de l’expérience et du savoir, même le regard s’est perdu. Il n’est tourné que vers ce diable de téléphone, vers ce message, ce SMS ou ce tweet que, par inattention, on pourrait bien rater. Pourquoi donc regarder son interlocuteur qui lui n’apporte rien dans l’immédiat? Sauf, bien sûr, dans les périodes électorales où l’on part à la chasse aux voix, on fait alors au moins semblant. Et puis oubli jusqu’au prochain scrutin.
Renaître de nos cendres ?
Les citoyennes et citoyens ne sont pas dupes, ils nous retournent la politesse en s’abstenant ou en votant FN. Ils ne nous supportent plus. Et ils ne nous respectent plus, peut-être parce que nous ne sommes plus dignes de leur respect. Une enquête récente montre que les Français souhaitent que leur avis pèse davantage dans le débat public et ils jugent avec sévérité le fonctionnement actuel de la démocratie. Ils veulent plus de débats, de chats, des sites internet consacrés aux projets, plus de réunions publiques, des ateliers participatifs. Pour cela, encore faudrait-il que nous ayons nous-mêmes des projets et des initiatives crédibles à soumettre à la « base », et que nous nous rendions capables d’écouter ce que la « base » elle-même propose et demande.
Les partis de gauche, s’ils veulent perdurer, doivent régénérer en leur sein ce qui fait la substantifique moelle de la gauche : la réflexion, la circulation de la pensée, les initiatives novatrices, les projets. Ce ne sont pas les postures de congrès, avec leurs motions vieillies sitôt que votées et leurs « stratégies » à la petite semaine, ce ne sont pas les universités d’été qui ressemblent plus à des lieux de socialisation qu’à des lieux de concertation et d’émulation, qui nous guériront du mal qui nous ronge et qui nous donneront l’énergie d’aller vers nos concitoyens là où ils vivent pour leur insuffler du courage, leur faire des propositions et entendre les leurs.
Nous avons besoin de nous régénérer nous-mêmes, en petits groupes, à l’intérieur de nos partis, pas par « affinités de courants », mais par convergence d’idées et d’ambitions pour nos concitoyens. C’est le seul moyen que nous ayons de regagner leur estime. Et pour cela, il nous faut nous ressourcer, accepter à côté de nous la diversité des partenaires, et en notre propre sein la diversité des militants. Et donc la diversité des points de vue. L’endogamie dessèche, les médias formatent, la course au pouvoir tue. Vite, de l’oxygène, l’asphyxie menace !
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