Ne Nous Fâchons Pas (Bakchich, 03 juin 2014)

Par Sébastien Fontenelle

D’aucun(e)s, parmi toi, s’interrogent, me dit-on (après avoir notamment pris connaissance des tweets où il se plaint des agissements de ce qu’il appelle «le cabinet noir de l’Élysée»), sur la nature exacte des rapports qu’Yves de Kerdrel, directeur général de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, entretient avec la réalité.

Et justement : lui-même vient d’apporter – à l’insu, peut-être, de son plein gré – quelques éléments de réponse à cette préoccupante question.

Pour mieux les appréhender : il faut remonter au 29 mai dernier.

Ce jour-là : Valeurs actuelles publie un articulet dont le titre annonce que la sénatrice Esther Benbassa (EELV) est « fâchée avec l’orthographe », puisqu’elle a «présenté» au Sénat, le 28 janvier 2014, une pétition dont le texte est «bourré de fautes d’orthographe».

Ce que découvrant : l’intéressée répond, dans un communiqué où elle accuse Valeurs actuelles d’alimenter «la flamme antiparlementaire et xénophobe» de blog, qu’elle  «n’est pas à l’origine de cette pétition», qu’elle « ne connaît pas celui qui l’a lancée», qu’elle «n’est évidemment pas l’auteure du texte en cause (non plus d’ailleurs que ses collaborateurs)», qu’il est tout de même un peu dommage que l’auteur(e) de l’articulet du 29 mai n’ait pas pris la peine d’effectuer les vérifications qui lui auraient permis de constater que, dans la vraie vie, elle n’est, quant à elle, pas du tout fâchée avec l’orthographe – et que cette désinvolture est d’autant plus regrettable que «les réseaux sociaux ont immédiatement relayé la “nouvelle“, laissant libre cours à un antiparlementarisme, et, au-delà, à une xénophobie pleinement assumés, se gaussant de cette élue de la République illettrée, et de cette ex-étrangère maltraitant “notre“ langue (et qui n’aurait peut-être obtenu ses diplômes que par fraude)».

Dans le même temps : Esther Benbassa adresse à Yves de Kerdrel un courriel en forme de «droite de réponse», en le priant de bien vouloir l’insérer dans la «prochaine livraison» de Valeurs actuelles

L’excellent homme lui oppose alors cette élégante fin de non-recevoir: «Comme vous le savez sûrement le “droit de réponse“ est strictement encadré par la loi et réservé à des cas très précis, parmi lesquels ne figurent pas “l’articulet“ qui vous a déplu.»

Lui écrit-il.

Puis il ajoute, à la fin, probablement, de mieux marquer que c’est au nom d’un magnifique principe – dont il est l’intransigeant conservateur – qu’il s’oppose à la publication du droit de réponse de la sénatrice : «Il existe en France un bien très précieux, qui s’appelle la liberté d’expression et que la justice protège avec soin.»

Puis encore : «C’est la raison pour laquelle je ne me vois pas autorisé à publier votre texte.»

Puis il conclut : «En revanche, je me réserve le droit de saisir la justice si, par écrit, ou sur internet, vous continuez à laisser croire que le journal que je dirige et qui a été créé il y a près de cinquante ans par le sénateur Raymond Bourgine, serait “xénophobe et antiparlementariste“.»

Ce dernier point est (par-delà l’invocation d’une ancienneté cinquantenaire qui apporte assez peu à la démonstration) tout à fait intéressant – pour ce qu’il révèle, d’abord, des problèmes de vue dont semble souffrir le DG de Valeurs actuelles.

Car en effet, et contrairement à ce qu’il prétend : à aucun moment Esther Benbassa n’a dit que cette publication était «antiparlementariste et xénophobe».

Elle a écrit – et c’est assez différent – que Valeurs actuelles, en publiant un articulet qui avait libéré dans les réseaux sociaux «un antiparlementarisme et une xénophobie pleinement assumés», avait alimenté «la flamme antiparlementaire et xénophobe».

Mais surtout : cette conclusion d’Yves de Kerdrel témoigne de ce que sa conception de la liberté d’expression est d’une géométrie très variable, qui tolère – et, se peut, encourage, par le refus que l’intéressée y réponde – l’affirmation qu’Esther Benbassa serait «fâchée avec l’orthographe»

…Mais qui semble en revanche considérer que l’émission de l’hypothèse selon laquelle Valeurs actuelles alimenterait la flamme de la xénophobie est passible des tribunaux.

Or : il n’est pas douteux, pour qui la lit régulièrement, que la sénatrice entretient avec l’orthographe des rapports d’une exquise cordialité.

Et que la suggestion qu’il y aurait entre elles une fâcherie est par conséquent (très) fantaisiste.

Cependant que, pour ce qui concerne l’éventuelle contribution de Valeurs actuelles à l’entretien, dans l’époque, d’inclinations d’où la xénophobie pourrait parfois n’être pas complètement absente : il est, en vérité, difficile d’être aussi catégorique.

Car en effet : la xénophobie est, dit le dictionnaire, une «hostilité à ce qui est étranger».

Et précisément : certaines couvertures de l’hebdomadaire d’Yves de Kerdrel, lorsqu’elles dénoncent par exemple «ces étrangers qui pillent la France», ou une «invasion» de la France par des «naturalisés», pourraient presque – presque – donner l’impression d’alimenter une telle hostilité.

 

Mais bon, n’allons pas nous égarer dans des suppositions hasardeuses, et restons ici dans les limites de la liberté d’expression – telles qu’elles ont été grillagées par M. Kerdrel.

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