Intervention d’Esther Benbassa lors de la discussion générale sur le projet de loi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (15 mai 2014)

PJL n°528, 527 :

portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales

Discussion générale

Jeudi 15 mai 2014

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

 

Nous examinons aujourd’hui le texte de la Commission mixte paritaire visant à transposer, dans notre droit, la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, ainsi que, partiellement, celle du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales.

Si nous nous réjouissons que ce texte propose un renforcement important des droits de la défense dans l’ensemble des phases de la procédure, (il tend notamment à encadrer le déroulement des « auditions libres » en rendant plus systématique le droit de la personne suspecte à être assistée par un avocat), je veux redire ici l’appel du groupe écologiste à une refonte plus globale des procédures d’enquête et d’instruction qui soit conforme aux principes énoncés par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Cela a été dit par nombre de nos collègues, à cette tribune comme à celle de l’Assemblée Nationale, c’est le droit pénal et la procédure pénale qu’il faut reconsidérer dans son entier. Il faut cesser de réviser notre droit par petits bouts, au rythme des délais de transposition des directives et des condamnations de la CEDH.

Je le rappelle, il aura fallu les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme « Dayanan contre Turquie » du 13 octobre 2009 puis « Brusco contre France » du 14 octobre 2010, suivis de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et des arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre 2010, pour que soit, enfin, élaboré le projet de loi permettant à l’avocat d’être présent lors des auditions des personnes placées en garde à vue. Cette loi, adoptée le 14 avril 2011, était un premier pas nécessaire mais loin d’être suffisant.

Je veux saluer ici le travail de mes collègues écologistes tant ici qu’à l’Assemblée Nationale, qui se sont investis avec conviction pour enrichir ce texte. Ils ont plaidé, avec vigueur, pour que des mesures essentielles aux droits de la défense soient adoptées tout de suite, sans attendre les conclusions d’une énième mission, d’un énième rapport.

Vous l’aurez compris, mes chèrEs collègues, je fais notamment référence à l’amendement écologiste, adopté par la commission des lois de l’Assemblée, prévoyant l’accès de l’avocat au dossier de l’enquête dès le début de la garde à vue et sur lequel le Gouvernement est revenu en séance.

En effet, les pièces de la procédure dont l’avocat peut prendre connaissance depuis la loi de 2011 sont limitativement énumérées par l’article 63-4-1 du code de procédure pénale. Mais ces documents ne concernent en rien les éléments de fond du dossier et ne permettent donc pas à l’avocat « d’assister » effectivement son client lors des auditions au cours desquelles il peut être présent.

Si la directive n’impose pas un tel accès au dossier, il nous semble pourtant que son esprit encourageait l’adoption d’une telle disposition.

De surcroît, il ne fait aucun doute que, dans quelques années si ce n’est quelques mois, les exigences de la jurisprudence de la cour de Strasbourg et des textes européens nous imposeront de revenir sur ce sujet.

Nous aurions pu améliorer de manière bien plus significative l’effectivité des droits de la défense mais le Gouvernement préfère attendre… Une nouvelle condamnation de la Cour Européenne des droits de l’homme ?

Mais faisons preuve d’un peu d’optimisme, si nous avons quelques regrets, le présent projet de loi contient, dans son ensemble, des avancées notables en matière de procédure pénale.

L’article 1er, par exemple, renforce de manière considérable les garanties offertes à la personne entendue dans le cadre de l’audition libre. En effet, le droit au silence, le droit à un interprète, ainsi que les droits à des conseils juridiques et, surtout, à l’assistance d’un avocat seront désormais notifiés au suspect entendu librement.

Nous nous félicitons également que la suppression de l’article 10, qui autorisait le Gouvernement à prendre une ordonnance pour adapter certaines dispositions législatives du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à la refonte du Règlement Dublin II, ait été maintenue.

Cette refonte est nécessaire et les écologistes demandent depuis longtemps l’instauration d’un recours suspensif contre les décisions de transfert prises à l’encontre d’étrangers dont la demande d’asile relève de la compétence d’un autre État membre.

Mais une telle réforme ne doit pas être élaborée à la légère si j’ose dire et hors du contrôle du Parlement.

Le Gouvernement doit s’engager sur cette question et faire des propositions concrètes au législateur. Nous attendons, avec impatience, de pouvoir enfin débattre et améliorer les droits des demandeurs d’asile et plus généralement des étrangers, tellement mis à mal par le précédent exécutif.

Pour conclure et malgré les quelques réserves évoquées plus haut, le groupe écologiste votera ce texte, et d’autant plus résolument qu’il constitue, à quelques jours des élections européennes, une belle occasion de montrer au plus grand nombre que l’Europe et la construction de son droit commun peuvent aussi contribuer à renforcer les droits fondamentaux de tous les citoyens européens.