Après la loi Taubira, la PMA et la GPA sont-elles inéluctables ? (Le Figaro, 7 mai 2014)

FIGAROVOX/ ANALYSE- Alors qu’une proposition de loi pour la légalisation de la PMA a été adoptée par le groupe EELV emmené par Sergio Coronado et Esther Benbassa, le spécialiste de bioéthique Jean-René Binet analyse l‘éventualité d’une telle loi et ses conséquences sur la filiation


Jean-René Binet est professeur de droit privé à l’université de Franche-Comté dont il dirige le Centre de recherches juridiques (CRJFC, EA 3225). Spécialiste des questions de bioéthique, il a été associé aux réflexions conduites dans le cadre de l’adoption de la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011. Il enseigne à l’Université de Franche-Comté, à Sciences-Po Paris, et à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université de Paris I). Auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles relatifs au droit des personnes et de la famille, à la bioéthique et au droit médical, il a publié, aux éditions Lextenso Montchrestien un cours de Droit médical en octobre 2010, La réforme de la loi bioéthique, aux éditions LexisNexis (préface J. Leonetti) en mars 2012 ainsi que, tout récemment, aux éditions Lextenso Montchrestien, un manuel de Droit des personnes et de la famille, à jour de l’importante réforme du mariage opérée par la loi du 17 mai 2013.


Le 29 avril dernier, le tribunal de Versailles a, pour la première fois depuis l’adoption de la loi Taubira, refusé l’adoption à un couple de lesbiennes d’un enfant né de PMA. Pourquoi cette décision qui contredit les précédentes?

L’article 6-1 du Code civil, introduit par la loi du 17 mai 2013, prévoit que «Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe». Il en résulte que l’adoption de l’enfant du conjoint, prévue à l’article 345-1 du même code est possible tant dans les couples de même sexe que dans les couples de sexe différent. Cette adoption est soumise à des conditions qui sont les mêmes pour tous les couples (intérêt de l’enfant, différence d’âge entre l’adoptant et l’adopté, âge maximum de l’adoptant etc…). L’adoption, qui suppose une requête présentée à cette fin devant le tribunal de grande instance, nécessite un jugement prononcé par le tribunal de grande instance. A cette occasion, le juge vérifie que les conditions prévues par la loi sont réunies. Il doit également contrôler l’éventuelle existence d’une fraude à la loi, c’est-à-dire le détournement délibéré de certaines règles dans le but de faire produire un effet juridique à une situation créée de manière illicite. C’est sur ce fondement que le tribunal de grande instance a refusé de prononcer l’adoption sollicitée. En effet, l’enfant avait été conçu, à l’étranger, par insémination avec tiers donneur, qui est une technique de procréation médicalement assistée (PMA), interdite en France pour les couples de même sexe. La solution est similaire à celle qui est constamment retenue en matière de gestation pour autrui (GPA), réalisée à l’étranger par des couples français, qu’ils soient de même sexe ou de sexe différent. Dès lors qu’une pratique est interdite, il n’est pas possible de lui faire produire des effets en droit français. Ce contrôle et les effets qui en résultent sont obligatoires pour le juge. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue au sujet de la loi du 17 mai 2013, a en effet affirmé qu’il appartient aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques.

Sur quels motifs la PMA est-elle interdite en France pour les couples de même sexe alors qu’elle est autorisée pour les couples stériles? A partir du moment où la loi Taubira reconnait l’homoparentalité, c’est-ce pas contradictoire?

Les conditions d’accès à la PMA sont prévues, notamment, à l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique. Ce texte envisage, dans son second alinéa, «l’homme et la femme formant le couple», interdisant ainsi le recours à l’assistance médicale à la procréation pour les couples formés de deux personnes de même sexe. Lorsque la loi de bioéthique a été révisée, en 2011, la question de l’extension de la PMA a été longuement débattue au parlement. Alors que le Sénat l’avait votée en première lecture, cette extension a été finalement abandonnée au stade de la seconde lecture, conformément à l’avis citoyen exprimé lors des Etats généraux de la bioéthique. Pour eux, l’assistance médicale à la procréation devait être considérée comme «une réponse médicale à l’infertilité naturelle» . Ainsi que l’affirmait ensuite M. Jean Leonetti, «l’AMP est un procédé de réparation d’une infertilité, pas un vecteur juridique de légitimation d’unions ou de modes de vie. Elle n’est pas une solution à tous les désirs d’enfants ni aux infertilités sociales» (J. Leonetti, Rapport AN 3403, p. 97). Il est cependant évident que les promoteurs de la loi du 17 mai 2013 avaient à l’esprit cette extension, les débats l’ont assez démontré. Toutefois, les conditions posées au Code de la santé publique n’ayant pas été modifiées, l’altérité sexuelle est toujours nécessaire pour recourir à la PMA. Il est certes possible d’y voir une contradiction avec la possibilité de l’adoption homoparentale. Toutefois, les dispositions que le Code civil consacre à la PMA figurent dans le titre VII du livre Ier, que l’article 6-1 cité plus haut, exclut expressément du principe d’assimilation. Plus qu’une incohérence, c’est la manifestation de la coexistence de deux mariages distincts, dans le Code civil, depuis la loi du 17 mai 2013: le mariage de droit commun relié à la filiation charnelle et le mariage des couples de même sexe.

Pensez-vous que la «PMA pour tous» constituerait un point de rupture anthropologique sur la filiation et un véritable basculement, plus encore que le «mariage pour tous»?

Il faudrait s’entendre sur le sens de l’expression «PMA pour tous», mais s’il s’agit de l’étendre aux couples de même sexe, cette extension constituerait indubitablement une modification profonde de l’assistance médicale à la procréation. En effet, telle qu’elle a été envisagée depuis les premières lois de bioéthique, en 1994, la PMA est fondée sur une fiction structurante: dans la mesure du possible, faire comme si l’enfant avait été conçu sans assistance médicale et, surtout, lui permettre d’y croire. Ce dispositif permet ainsi le recours aux techniques d’assistance médicale à la procréation, tout en évitant les situations trop complexes. C’est la prise en compte de l’intérêt de l’enfant à naître qui justifie les limites posées par une loi qui, implicitement, refuse de consacrer l’existence d’un prétendu droit à l’enfant. Pour l’essentiel, cette philosophie n’a jamais été remise en cause depuis lors, ni par la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004, ni par l’ordonnance du 4 juillet 2005 relative à la filiation, ni, enfin, par la loi du 7 juillet 2011. Cette fiction disparaitrait pour l’enfant né, par PMA, dans un couple de femmes, ou d’hommes. Comment en effet, pourrait-il s’imaginer être issus des deux personnes que la loi désignerait comme ses parents?

Une légalisation de la PMA telle qu’elle est proposée par certains élus verts emmenés par Sergio Coronado ouvrirait-elle nécessairement la voie à la légalisation de la GPA et à une potentielle marchandisation du vivant?

L’extension de la PMA aux couples de même sexe pourrait entraîner, par effet de système, la légalisation de la gestation pour autrui. Le risque serait, en effet, de considérer que la loi crée alors une discrimination au détriment des couples d’hommes notamment. C’est d’ailleurs la question que se posait M. Claeys, député socialiste, lors des travaux parlementaires ayant conduit à la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique: «si l’on dit – c’est la position de mon groupe – qu’il convient d’accepter l’AMP pour les couples de femmes, n’y a-t-il pas discrimination si, dans le même temps, on refuse la gestation pour autrui?» (JOAN CR, 1ère séance, 25 mai 2011, p. 3474). Cependant, la gestation pour autrui pose d’autres problèmes, principalement en matière de risque d’exploitation des femmes, conduisant à rendre plus difficile encore sa légalisation.