par Esther Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne, directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne)
Les résultats des élections de dimanche soir sont inquiétants pour la démocratie. Et affligeants pour l’exécutif. Celui-ci a récolté ce qu’il a semé. A force d’orienter sa politique en se demandant ce que pourraient en penser la droite et le FN, comment pouvait-il ne pas s’attendre à ce que le peuple de gauche se détourne de lui? Le peuple de droite a voté pour la droite et pour l’extrême droite, autant par dépit que par conviction. Beaucoup d’électeurs de gauche sont restés chez eux. Ou pire. Même les affaires de la droite n’ont pas fait reculer ses électeurs.
Limites de la méthode Coué
L’exécutif pratique la méthode Coué. Depuis longtemps, et encore aujourd’hui. Allons, tout ne va pas si mal, on a une réserve de voix, on va se ressaisir, il y a un second tour… C’est pourtant clair. Les Français attendaient beaucoup de la gauche, lorsqu’ils ont voté pour elle à la présidentielle puis aux législatives. Leur déception a été à la hauteur de cette espérance.
On ne va pas tirer sur l’ambulance, mais comment nier que l’exécutif, à quelques exceptions près, ait reculé quasiment sur toutes les promesses de Hollande ? Du droit de vote des étrangers jusqu’à la PMA. Sans compter ces populations des quartiers vite oubliées. Le contrôle d’identité avec récépissé enterré pour ne pas déplaire aux policiers. Les minorités sacrifiées, les rapports sur l’intégration mis sous le tapis, et j’en passe. Si, encore, la situation économique s’était améliorée visiblement, et si la transition écologique avait été engagée sans délai!
Foin des symboles !
Il restait les symboles. Eh bien, même là… Les électeurs de gauche, en particulier ceux qui votent pour les socialistes, sont très attachés aux symboles. De ces symboles, l’exécutif n’a eu que faire. Et quand il s’y est attaqué – ainsi avec le mariage pour tous -, il l’a fait trop tard, et en déclenchant une tempête qui aurait pu être évitée. Les questions sociétales, mais aussi les questions sociales, ont plutôt semblé irriter l’exécutif. Sa cohorte de technocrates de cabinets, il est vrai, connaît-elle le peuple, et en a-t-elle vraiment le souci?
Le peuple n’est pas contre la gauche, mais contre certains des socialistes qui nous dirigent. S’il était contre la gauche, on n’aurait pas assisté à un frémissement vers le haut du score national d’Europe Ecologie les Verts, à 11,60 %. Maigre consolation, peut-être, mais consolation tout de même. Preuve que la déception ne touche pas tout le monde, et que les Français sont bel et bien sensibles aux thèmes portés par l’écologie politique.
Gueule de bois
La gueule de bois, pour nous, la gauche, ce matin. Hollande et Ayrault devraient sortir de leurs palais, et nos ministres communiquer mieux, à savoir plus vrai, plus proche. Même chose pour les parlementaires, qui passent beaucoup trop de temps à faire leur autopromotion, et à se perdre en propos futiles, quand les gens exigent de l’action, du réel, et pas des mystifications. La sincérité, l’engagement, la conviction assumée, c’est pour quand ?
On aurait dit que l’exécutif souhaitait d’abord ne pas froisser le peuple de droite. Il allait donc voter PS, le peuple de droite ? Pourquoi avoir tardé à appliquer les fondamentaux de la gauche, je n’ose dire du socialisme: plus de justice sociale, plus d’égalité, le souci des plus démunis, le combat pour les classes laborieuses? Vous avez voulu amadouer les nantis ? Vous ne les avez pas gagnés, et vous avez perdu tous les autres. Tant de manœuvres, tant de renoncements, pour arriver à cela?
Et nous, la gauche, toute la gauche, nous avons payé le tribut. Le tribut de la trahison de certains des clercs de la gauche. Qu’ont-ils donc fait, ces maires de gauche, pour se retrouver battus ou en difficulté? Je les connais, je les côtoie. Ils travaillent, ils y croient, ils donnent sans compter. Non, ils ne méritaient pas ça.
A gauche, et plus vite, SVP !
Alors rassemblons -enfin- toute la gauche, sur un programme de gauche, authentiquement de gauche. Si notre président pense à se faire réélire en 2017 grâce à la peur du FN, il joue gros. Ce jeu est dangereux. Faisons plutôt ce que nous avions à faire. Et jouons l’audace. Ayons le courage de nos idées, combattons sans faiblir l’inquiétante droitisation d’une société en crise économique et d’identité. Réunis pour ce combat qui vaut la peine d’être mené, revendiquons de nouveaux comportements, ceux d’une politique de l’authenticité, et de la proximité avec le peuple.
Le peuple en a assez des promesses non tenues, des discours vains, des blablas technocratiques, de l’affairisme. Soyons à la hauteur de ses attentes. Il n’a que faire de nos lois cache-misère pour la transparence de la vie politique, de la publication de nos revenus, que sais-je encore ! Le peuple veut que nous soyons à ses côtés, avec lui. Le peuple veut que nous soyons du peuple.
Pendant cette semaine d’entre les deux tours, je serai dans ma circonscription, sur le terrain, avec la gauche, pour soutenir les maires. Sans dogmatisme aucun. Tout en étant convaincue qu’on peut dire oui à une nouvelle politique de l’exécutif, dans un proche avenir, avec toutes les forces de gauche.
Allons voter, voter pour une société meilleure, pour une économie meilleure, pour un exécutif inventif, écologique et social. Pas pour le parti de la haine, bien sûr. Pas pour une droite qui, malgré les apparences, est à bout de souffle. Ce que j’attends, ce que nous attendons? Un coup de volant à gauche. Et une petite pression sur l’accélérateur…