‘Intégration : Matignon reprend (un peu) la main’ (Mediapart, 24 janvier 2014 / Extrait)

Un article de Lénaïg Bredoux et Carine Fouteau

Extrait:

« Rien ne change parce que personne n’a intérêt à ce que ça change », tempête Esther Benbassa. Sénatrice depuis 2011, l’universitaire ne décolère pas. Elle ferraille au Sénat et dans les médias, pour un résultat qu’elle juge insatisfaisant. Deux de ses récentes propositions pour lutter contre les discriminations ont été retoquées. « Syndicats, patronat, magistrats, maires, il ne faut surtout gêner personne », affirme-t-elle, regrettant « l’attentisme et la frilosité de l’exécutif ». La première mesure consistait à introduire dans le droit français un recours collectif, sur le modèle des class actions à l’américaine, permettant à un groupe de personnes ayant subi un même préjudice, éventuellement soutenu par une association, de poursuivre une entreprise ou une administration afin d’obtenir un dédommagement moral ou financier. Sa proposition de loi devait être examinée par la Haute Assemblée le 13 février 2014, mais le gouvernement lui a fait savoir qu’il ne soutiendrait pas son texte au prétexte que ces procédures devraient rester du ressort des syndicats et qu’elles n’auraient pas vocation à obtenir d’indemnisation, selon les recommandations d’un récent rapport. Apprenant, à la suite de ses protestations, que le député PS Razzy Hammadi a déposé une PPL sur le même thème, la sénatrice dénonce « un mauvais coup des socialistes qui veulent garder la maîtrise sur ces sujets pour surtout ne pas aller trop loin ». « Son texte est moins ambitieux que le mien. En outre, il est évident qu’il sera vidé de sa substance lors de son examen », indique-t-elle.

Second sujet de mécontentement : un de ses amendements, défendu par François Lamy, vient d’être rejeté en séance par une majorité d’élus socialistes. Il s’agissait de modifier le droit pénal en prohibant de manière explicite l’exercice abusif du droit de préemption pour des motifs discriminatoires, par exemple dans le cas où l’acheteur du bien a un nom à consonance étrangère. « Les maires n’en veulent pas, ils ne veulent pas voir leurs pouvoirs mis en cause. Je ne dis pas que ces gens sont racistes, mais ce qui compte pour eux ce sont les élections, et les intérêts du parti », lance-t-elle.

La quasi-absence des minorités visibles dans les instances de représentation des citoyens traduit, de fait, un conservatisme politique et social typiquement français. Maires, maires adjoints, députés, sénateurs : les élus de la diversité sont l’exception qui confirme la règle, comme le rappelle fréquemment le Conseil représentatif des associations noires (Cran). « Les rapports publiés sur le site de Matignon ont été rédigés par des personnes ayant une légitimité académique, mais pas médiatique. Ils mettent à mal la doxa en vigueur sur les questions d’intégration selon laquelle les immigrés seraient responsables de leur situation dégradée. Ils pointent les discriminations et soulignent les failles de la politique d’intégration », indique le sociologue Abdellali Hajjat pour expliquer le rejet dont ces analyses font l’objet. « Les représentants politiques, de droite comme de gauche, et les médias dominants n’ont pas intérêt à laisser davantage de place aux immigrés. Pour maintenir leurs positions, ils font tout pour que le rapport de force reste inchangé », poursuit-il.

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