Diversité et égalité, ensemble (Le Monde, 13 octobre 2011)

par Louis-Georges Tin

Décidément, Esther Benbassa a le chic pour mettre les pieds dans le plat. Dans l’introduction du livre qu’elle vient de diriger, Minorités visibles en politique, elle n’hésite pas à mettre en cause l’idéal républicain, tel qu’il s’exprime ordinairement dans ce pays : « En devenant français, écrit-elle, il faudrait oublier d’où l’on vient, ses langues d’origine, ses coutumes, la culture de ses pères. Comme le requiert la paranoïa nationaliste, c’est vierge qu’on entre en francité. » Ce faisant, Esther Benbassa éclaire le débat en permettant de mieux distinguer deux notions bien souvent confondues, quoiqu’elles soient opposées : l’intégration (qui accepte l’autre et l’accueille en effet) et l’assimilation (qui constitue au contraire une négation de l’autre, puisqu’on l’accueille à condition qu’il cesse d’être lui-même).

C’est donc la reconnaissance des minorités visibles qui est ici posée. Evidemment, le contexte européen d’aujourd’hui est plutôt au repli sur soi, et à la défiance à l’égard de ces problématiques. Ainsi, en octobre 2010, dans un discours demeuré célèbre, Angela Merkel affirmait que le multiculturalisme « a échoué, totalement échoué ». En février 2011, David Cameron critiquait à son tour « la doctrine du multiculturalisme d’Etat » qui, selon lui, a « encouragé différentes cultures à vivre séparées les unes des autres ». Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy rejoignait lui aussi la position de ses deux collègues, en déclarant à ce sujet : « Oui, c’est un échec. » Mais la question se pose : échec, ou refus du multiculturalisme ?

Politiques, attention !

De nombreuses contributions de cet ouvrage collectif indiquent que les politiques d’aujourd’hui auraient tort de se détourner des minorités visibles. Comme le précise John A. Garcia, en 2008, aux Etats-Unis, lors de l’élection présidentielle de 2008, ont voté pour Obama 43 % des électeurs blancs, 62 % des électeurs asiatiques, 67 % des hispaniques et 95 % des noirs. En d’autres termes, Obama a été élu grâce aux voix des minorités visibles. Evidemment, la question se pose en France en des termes différents. Mais comme le rappelle Vincent Tiberj dans un autre article, en 2007, 80 % des électeurs originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne ont voté pour Ségolène Royal au second tour. Bref, la gauche comme la droite devraient être attentives à ces éléments de sociologie politique…

Cependant, au-delà de ces considérations électorales, reste à élaborer une philosophie politique nouvelle, qui garantisse le « Pari(s) du vivre ensemble », puisque c’est le nom de l’association qui a organisé le colloque à l’origine de cet ouvrage. Il conviendrait en France que l’on accepte de penser ensemble l’égalité et la diversité. En effet, bien que certains auteurs cherchent à les opposer systématiquement, il convient d’affirmer la nécessité des deux : la diversité sans l’égalité, c’est une jungle magnifique et féroce, où règne la loi du plus fort. Mais l’égalité sans la diversité, c’est la dictature du conformisme universel, l’hégémonie d’un modèle dominant, qui aboutit aussi, finalement, au règne du plus fort. C’est pourquoi une vraie politique équitable se doit d’articuler « reconnaissance et redistribution », pour reprendre les concepts de Nancy Fraser, seul moyen d’aboutir à une véritable justice sociale.


MINORITÉS VISIBLES EN POLITIQUE sous la direction d’Esther Benbassa. CNRS Editions, 368 p., 24 €.