TRIBUNE – Esther Benbassa, la sénatrice Europe Écologie-Les Verts du Val-de-Marne, déplore que « le ‘manifeste des 343 salauds’ sape les bases d’un débat qui méritait mieux que cet étalage de sexisme ordinaire »
Notre pays connaît une nouvelle fièvre prohibitionniste. La proposition de loi sur l’abrogation du délit de racolage dont je suis l’auteur, votée au Sénat en mars dernier, ne préconisait ni l’abolition de la prostitution ni la pénalisation des clients. La ministre des Droits des femmes, elle, a réussi à faire élaborer à ses braves soldat(e)s socialistes une proposition de loi abolitionniste qui prévoit de sanctionner les clients par des amendes allant de 1.500 à 3.000 euros. Débattue avant la fin de ce mois, elle sera très probablement votée.
Pour ma part, ce n’est certes pas le sort des clients qui me préoccupe. Et je déplore que le « manifeste des 343 salauds » prétendant défendre leur « droit » à acheter des services sexuels sape les bases d’un débat qui méritait mieux que cet étalage de sexisme ordinaire. Car la seule question qui compte est celle-ci : quel sera pour les prostituées l’effet d’une pénalisation des clients? Que deviendront ces femmes qui n’ont pas d’autres moyens de subvenir à leurs besoins?
«Hier, c’étaient les prostituées qui devaient fuir la police. Demain, ce seront leurs clients.»
La pénalisation des clients aura les mêmes effets que l’instauration, par Nicolas Sarkozy, en 2003, du délit de racolage. Hier, c’étaient les prostituées qui devaient fuir la police. Demain, ce seront leurs clients. Auxquels elles seront donc confrontées dans un isolement qui les laissera à leur merci, et d’autant plus qu’ils se seront raréfiés, avec très peu de marge de manœuvre pour négocier les conditions de l’acte, dont le port du préservatif. Elles seront ainsi plus que jamais exposées aux maladies sexuellement transmissibles, notamment au VIH-sida. Ainsi qu’aux violences.
Au nom d’une hypothétique moralisation du pays et de l’émancipation des femmes, les prohibitionnistes vont sacrifier la santé, la sécurité et les maigres revenus de personnes qui sont parmi les plus précarisées de notre société. Et dans le contexte actuel de crise, des moyens seront-ils réellement dégagés pour rendre effectif l’arsenal de mesures d’accompagnement des personnes prostituées? ou en resterons-nous aux bonnes intentions? Or la vertu ne nourrit pas. Et elle ne suffira pas à « sauver » ces femmes de la prostitution et de la misère.
Le seul combat qui vaille est le combat contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Une croisade contre les clients n’y contribuera en rien. Certes, la prostitution n’est pas un « métier » comme les autres. Mais si elles le font librement, laissons ces femmes décider de ce qu’elles font de leur corps. Et n’étouffons pas le débat sous une chape idéologique.
Mercredi 6 novembre, à partir de 15 heures au Sénat, des sociologues, des historiens, des associatifs, des médecins, des personnes prostituées débattront librement des enjeux de la pénalisation des clients. Les clients, eux, ne sont pas invités. Parce que la question de la prostitution est d’abord celle des personnes prostituées. C’est bien d’elles qu’il s’agit, et elles qui doivent être entendues.
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