Doit-on abroger la loi sur le racolage passif ? Selon Esther Benbassa, universitaire et sénatrice EELV (Europe-Ecologie-Les-Verts) le bilan de ce texte législatif, encourageant la pénalisation de la prostitution, aurait eu des effets négatifs et contraires à ceux escomptés lors de sa mise en œuvre. Elle en demande donc la suppression. Adoptée à l’unanimité à la commission des lois hier, l’abrogation du racolage est aujourd’hui débattue par les sénateurs.
Le délit du racolage passif, institué dans le cadre de la loi de sécurité intérieure en 2003 par le ministre de l’Intérieur de l’époque Nicolas Sarkozy, pénalise « le fait par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ».
Avant cette loi, le racolage passif était puni d’une simple contravention dans le droit. Mais, dans les faits, pas toujours. Le racolage actif lui, faisait l’objet d’une plus grande fermeté. Le délit de racolage passif est depuis puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Cette loi avait originellement pour motif de « démanteler » les réseaux de prostitution. « Elle a bien plutôt aggravé la relégation et l’isolement des personnes prostituées en raison de la clandestinité qu’elle a induite », assène la sénatrice écologiste Esther Benbassa.
La loi de 2003 pénalisant le racolage passif : « inefficace et inutile »
5.000 procédures ont été engagées pour racolage passif en 2004, pour moins de 2.500 en 2011. Les prostituées se rendent dorénavant invisibles aux yeux des autorités de crainte de se faire arrêter. Elles se sont éloignées des centres urbains et ont aggravé leur situation sanitaire et sociale. Ce qui les a exposées à un risque accru de violences.
« L’institution du délit de racolage n’a fait que fragiliser davantage des prostituées déjà vivement stigmatisées », regrette Esther Benbassa. Le racolage passif est devenu un délit de moins en moins usité. La pénalisation n’a pas conduit à un démantèlement renforcé des réseaux de proxénètes, comme prévu. La justice rechigne même à condamner le racolage passif. Et de moins en moins d’affaires judiciaires seraient déférées devant les tribunaux concernant ce délit.
En dix ans, le bilan de la loi sur le racolage passif serait plutôt négatif et la situation s’est désagrégée pour beaucoup d’abolitionnistes (partisans de la dépénalisation de la prostitution et de la pénalisation des clients). Le contrat n’a pas été rempli pour la sénatrice EELV. Un tableau de la situation qui n’est pas brillant pour les abolitionnistes.
Pour Esther Benbassa « cette loi a rendu les prostituées plus vulnérables face aux violences. Sans compter l’exposition aux risques de contamination (VIH, hépatite, maladies sexuellement transmissibles) et le développement de pathologies de la précarité. Sans compter, enfin, la stigmatisation aggravée des personnes concernées dont cette loi fait, en réalité, des hors-la-loi. »
L’abrogation du racolage passif : un pavé dans la mare du gouvernement et du Parti socialiste ?
La suppression du racolage passif risque d’embarrasser la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, ministre du Droit des femmes, qui a fait de l’éradication de la prostitution son cheval de bataille politique. Ce qui est contradictoire à l’abrogation du délit de « racolage passif » qui est une promesse de campagne du président François Hollande.
La proposition d’abrogation du texte a été chaotique avant son examen en séance. Un malaise a émergé au sein du Parti socialiste sur la prostitution, entre les abolitionnistes et les pessimistes qui considèrent que la lutte contre la prostitution est vaine, et encouragent plutôt la protection juridique des prostituées.
En automne prochain, une loi globale concernant la prostitution sera discutée par les parlementaires.Une pénalisation des clients : solution contre la prostitution ?
Najat Vallaud-Belkacemn perçoit la prostitution comme « une violence faite aux femmes ». Elle a même envisagé de pénaliser les clients de prostituées. Elle s’est rendue en Suède, récemment, parce que ce pays est précurseur en la matière. C’est le premier pays à interdire la prostitution dans la loi Kvinnofrid. Ils ont instauré en 1998 une loi qui criminalise les clients de prostituées.
Elle interdit « l’achat de services sexuels » et criminalise les clients des prostituées. Ces dernières ont acquis le statut de victime, et le client celui de délinquant. Il encourt une amende et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement.