Les sénateurs se penchent ce jeudi sur une proposition de loi visant à abroger le délit de racolage passif. Mais au sein de la majorité, de nombreuses voix auraient souhaité que cette mesure s’inscrive dans un projet global d’encadrement de la prostitution.
Vers la fin d’une mesure emblématique de la droite? Ce jeudi, les sénateurs se penchent sur une proposition de loi visant à abroger le délit de racolage passif puni de deux mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende. Un combat qu’Esther Benbassa (EELV), à l’origine du projet, porte depuis de nombreux mois. Elle souhaite que la prostitution soit reconnue comme un « métier » comme les autres. En décembre 2012, déjà, elle dépose un texte en ce sens. Convoquée par la ministre du Droit des femmes, Najat Vallaud-Belkacem qui lui promet qu’une loi globale sur cette question est en cours de préparation, elle consent alors à le retirer.
Une commission parlementaire est mise en place en janvier. Elle devrait rendre son rapport en septembre qui sera suivi à « l’automne » d’un projet de loi. Le gouvernement voulait prendre son temps. Esther Benbassa en a décidé autrement. Condamnant la lenteur du processus, elle a redéposé sa proposition de loi… qui a failli une nouvelle fois capoter. Lundi, le sénateur PS Philippe Kaltenbach a rédigé au nom de son groupe une motion de renvoi en commission. Une manière de gagner du temps pour que cette mesure s’inscrive dans un projet de loi global sur la prostitution. Le lendemain, lors de leur réunion de groupe, les sénateurs ont finalement décidé de faire machine arrière et de soutenir la motion écologiste.
La suppression du racolage passif fait l’unanimité
Sur le fond, la suppression du racolage passif fait pourtant globalement l’unanimité dans la majorité. François Hollande en a d’ailleurs fait la promesse lors de sa campagne. La loi, qui vient de fêter ses dix ans, était censée diminuer les troubles à la tranquillité publique, tout en permettant, à l’occasion de la garde à vue des prostituées interpellées, de permettre à la police de recueillir des informations sur les réseaux. Or, seulement 10 à 15% des affaires de proxénétisme commencent par ce biais, indique le ministère de l’Intérieur. « En 2012, à Paris, sur 1600 interpellations, environ 800 personnes seulement sont déférées et seules 320 ont été vues par la brigade de répression du proxénétisme » a estimé la rapporteuse, la sénatrice PS Virginie Klès, lors de l’examen du texte en commission.
Pire, selon un rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), la loi de 2003 a contribué à marginaliser les prostituées. « Pour échapper aux amendes, on est obligé de se cacher, confirme Morgane Merteuil, porte-parole du Strass, le syndicat des travailleuses du sexe. Non seulement cela nous rend plus vulnérable aux viols, aux agressions et aux violences mais cela nous éloigne également des associations d’aide. » Un rapport de Médecins du Monde, paru fin 2012, souligne également l’accroissement des maladies sexuellement transmissibles chez cette population: le temps de négociation avec les clients étant réduit, elles sont souvent contraintes d’accepter des pratiques à risques.
La pénalisation des clients fait débat
En réalité, la question est beaucoup moins consensuelle qu’elle n’y paraît. Dans les rangs du PS, une partie des élus est en faveur d’une politique « abolitionniste », visant à pénaliser les clients. La ministre du Droit des femmes en tête. « A titre personnel, tout le monde l’a compris, j’ai des convictions fortes: mon objectif est bien de lutter contre la prostitution, qui est une violence faite aux femmes, déclarait Najat Vallaud-Belkacem dans Le Parisien, 16 mars dernier. (…) La pénalisation du client est donc une piste de réflexion parmi d’autres. »
La ministre cite régulièrement l’exemple de la Suède, qui affirme que la prostitution a baissé de moitié depuis l’adoption de cette loi en 1999. Faux, rétorque la sénatrice écologiste. Selon elle, la prostitution est passée de la rue à Internet. Des « bordels flottants », sur des bateaux au large des côtes scandinaves, ont également vu le jour.
« Qu’on se mette à l’écart pour fuir la police ou pour aider nos clients à la fuir, le résultat est le même », confirme Morgane Merteuil, qui exerce ce « métier » depuis quatre ans. Après avoir commencé dans les bars, elle a d’ailleurs choisi de passer par Internet. « Pénaliser les clients a les mêmes effets que la loi sur le racolage », assure Esther Benbassa. Plutôt que d’interdire la prostitution, la sénatrice écologiste propose de mettre en place des solutions d’insertions pour les travailleuses victimes des réseaux de proxénétisme. « Il faut leur donner leurs donner les moyens d’avoir un emploi, des papiers, proposer des formations… »
« Ce n’est pas à nous de gérer la sexualité d’une nation »
La gestion de la prostitution est avant tout une question de philosophie: peut-on le considérer comme un « métier » comme un autre? Pour les abolitionnistes, le travail sexuel est obligatoirement une forme d’aliénation. Même lorsque les prostituées n’appartiennent pas à un réseau, vendre son corps est une forme de violence et d’assujettissement. A cette vision de « non-patrimonialité » (le corps n’est pas une marchandise), s’oppose « le droit à disposer de son corps ». « Ce n’est pas à nous de gérer la sexualité d’une nation, s’insurge Esther Benbassa. Il faut arrêter de penser que les clients sont tous des exploiteurs de femmes et les prostituées toutes des victimes ». ‘Moi j’aime ce que je fais, confirme la porte-parole du Strass. Je considère la prostitution comme un vrai travail ».