Appel international sur la Tunisie

Contre la violence politique et pour la poursuite du processus démocratique.

Le lâche assassinat du démocrate Chokri Belaïd constitue pour nous, acteurs solidaires de la « cause tunisienne », un coup terrible porté au processus démocratique. Toutefois, c’est parce que nous croyons profondément en la capacité des citoyens, des militants politiques et des acteurs de la société civile tunisienne à retrouver les chemins du dialogue national que nous publions cet appel. Appel signé par de nombreux parlementaires, chercheurs, écrivains, artistes (liste en fin d’appel).

Citoyennes tunisiennes,
citoyens tunisiens,

Depuis de très nombreuses années, nous soutenons votre lutte contre la dictature. Nombreux parmi nous se sont engagés à vos côtés dans votre combat pour la défense des libertés fondamentales et des Droits de l’homme, en exprimant publiquement notre appui aux démocrates tunisiens, quelles que soient leurs affiliations politiques et philosophiques. Mus par un devoir de solidarité internationale à l’égard d’un peuple qui nous est cher, nous avons apporté un soutien moral, politique, parfois matériel, à la résistance démocratique tunisienne, au-delà de tout sectarisme et de toute vision manichéenne islamistes versus laïques. Parce que nous avons toujours pensé que l’essentiel n’est pas d’opposer les Tunisiens entre eux mais bien de faire reculer la culture de la dictature et, corrélativement, de faire progresser celle de la démocratie.

C’est avec satisfaction mais aussi une certaine appréhension, du fait de la brutalité de la répression policière, que nous avons accueilli, en 2008, la « révolte du bassin minier de Gafsa qui représentait une étape décisive de la protestation populaire contre le régime dictatorial de Ben Ali. Presque invisible sur le plan médiatique international, suscitant peu de réactions de la part des gouvernements étrangers, notamment européens, nous avions décidé de relayer l’information et d’exprimer notre soutien aux manifestants du bassin minier et aux nombreuses victimes des exactions policières.

Lorsqu’en décembre 2010 ont éclaté les protestations populaires dans les régions de Sidi-Bouzid et de Kasserine, qui se sont étendues rapidement à l’ensemble du pays, nous avons tout de suite compris l’importance de l’enjeu (la chute de la dictature) et organisé un peu partout en France et en Europe des actions de solidarité avec les citoyens tunisiens. Nous avons fait ce choix en dépit d’une attitude souvent timorée de nos propres gouvernements, préoccupés davantage par la survie du régime de Ben Ali que par celle du peuple tunisien.

C’est avec joie que nous avons appris, le 14 janvier 2011, la fuite du dictateur et l’amorce du processus de transition démocratique, ouvrant une espérance non seulement pour les citoyens tunisiens mais aussi pour les peuples de la région. Plus qu’un « modèle », la Tunisie est devenue une source d’inspiration démocratique pour l’ensemble des sociétés arabes vivant encore, en ce début de XXIe siècle, sous le joug de régimes tyranniques.

Conscients que le passage de la dictature à la démocratie constitue un processus long et sinueux, nous continuons à appuyer l’ensemble des initiatives visant à rétablir les libertés publiques, à assainir le système judiciaire, à demander une meilleure redistribution de la rente économique en faveur des régions marginalisées, à obtenir droits et réparations pour les victimes de la dictature et de la terrible répression de décembre 2010 et janvier 2011. En deux mots : instaurer un véritable régime républicain, social et civil. Si elles ne se font pas sans difficulté, et si l’acheminement vers une seconde République tunisienne s’avère parfois chaotique, deux étapes de la transition démocratique ont déjà été prometteuses : l’abolition du régime du parti unique, et un processus électoral exemplaire qui a permis la désignation au suffrage universel direct d’une Assemblée constituante représentant l’ensemble des familles politiques et philosophiques du pays.

Or, aujourd’hui, le processus démocratique paraît en panne, sinon en crise profonde. Une véritable justice indépendante tarde à se mettre en place ; la réforme des médias est inachevée ; les mouvements sociaux des régions intérieures ont été souvent traités, par les différents gouvernements de transition, sous le seul jour du registre sécuritaire ; le pays se divise jour après jour selon une ligne de clivage opposant les islamistes à leurs adversaires laïques. L’assassinat de Chokri Belaïd, militant de la gauche démocratique, le 6 février 2013, marque ainsi un tournant tragique. L’usage de la violence politique pour régler les différends, le retour à la vision binaire et manichéenne islamistes/laïques, l’absence de dialogue national mais, plus encore, la tentation de revenir à des solutions autoritaires, nous paraissent inquiétantes. La culture de la peur, caractéristique de la période Ben Ali, reprend progressivement ses marques.

C’est parce que nous avons toujours exprimé notre soutien inconditionnel aux citoyens tunisiens dans leurs luttes pour la démocratie et contre l’autoritarisme, y compris dans les heures les plus noires, que nous tirons aujourd’hui ce signal d’alarme : le peuple tunisien n’a pas chassé un dictateur pour en mettre un autre à sa place. Les solutions autoritaires, le recours à l’Homme providentiel, la tentation de la violence politique ne peuvent conduire le pays qu’au chaos, mettant à bas l’expérience démocratique. Ainsi, nous espérons que les Tunisiens retrouveront le chemin du dialogue national, poursuivront le processus constitutionnel en cours, et feront mentir les paroles de ceux qui pensent que la révolution tunisienne n’a été qu’une « récréation démocratique » d’un peuple immature et rétif à la culture des droits de l’Homme. La Tunisie démocratique n’est pas simplement une illusion ou une simple parenthèse de l’Histoire du monde arabe. La révolution tunisienne a ouvert une espérance démocratique pour l’ensemble des peuples de la région. Nous ne la laisserons pas tomber.

Pour signer cet appel, cliquez ici

Premiers signataires :

. Bariza Khiari, vice-présidente du Sénat, sénatrice de Paris

. Sergio Coronado, député des Français de l’étranger, Assemblée nationale

. Esther Benbassa, sénatrice du Val-de-Marne, Directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne)

. Malika Benarab-Attou, députée européenne

. Pouria Amirshahi député des Français de l’étranger, Assemblée nationale

. Yannick Jadot, député européen

. Nilüfer Göle, directrice d’études à l’EHESS

. Saadallah Khiari, cinéaste

. Marc Cheb Sun, auteur et éditorialiste

. Gilbert Meynier, ancien maître de conférences à l’université de Constantine, professeur émérite de l’université de Nancy II

. Wajdi Limam, président de l’association Uni*T (Union Pour la Tunisie)

. Vincent Geisser, président du CIEMI (Centre d’Information et d’Etudes sur les Migrations Internationales)

. Nicolas Dot-Pouillard, chercheur à l’Institut Français du Proche-Orient

. Florence Mardirossian, présidente de Carrefour de la République

. Razzy Hammadi député de Seine-Saint-Denis

. Mathieu Hanotin, deputé de Seine-Saint-Denis

. Alain Lipietz, économiste, membre du conseil fédéral de EELV

. Françoise Vergès

. Zouina Hammi, élue municipale à Bègles

. Abdelkrim Branine, Rédacteur en chef du 18h-20h de Beur FM

. Akli Mellouli, maire-adjoint à Bonneuil-sur-Marne

. Amel Arfaoui, journaliste

. Abdelaziz Chaambi

. Roberto ROMERO AGUILA, vice-président de la Région Île de France

. Sihem Souid, journaliste

. Pascal Terrasse, député de l’Ariège

 

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