A quoi sert un sénateur ou une sénatrice ? Je croyais que c’était à faire des lois. Mais non, mais non. Je me suis trompée. Mais pas les autres… Beaucoup se demandent si un sénateur travaille ? Mais si, mais si. Il lui arrive, si on totalise l’ensemble de ses activités, de travailler certaines semaines sept jours sur sept, voire un peu plus…
Il y a certes les lois, c’est l’essentiel, c’est énorme, souvent passionnant. Mais le reste remplit de longues journées d’étrange agitation. Un cabinet de sénateur ressemble à une ruche. Le téléphone n’arrête jamais de sonner. Il y a toujours quelqu’un qui appelle pour solliciter un service.
Les plus malins se débrouillent le mieux. Par le standard du Sénat, ils vous attrapent au bon moment pour vous demander qui un appartement, qui une régularisation, qui un déjeuner avec la sénatrice, qui une salle au Sénat pour un colloque.
Bienvenue aux faux amis
Il y a aussi ceux qui deviennent vos amis. Tout simplement de nouveaux amis, tout miel. Ceux-ci essayent par tous les moyens de prendre un café avec vous pour vous soumettre leurs requêtes, pas intéressées du tout… Ce n’est que de la pure amitié, bien sûr circonstanciée.
Ils vous courent derrière, dans les dizaines de réceptions, discours, inaugurations auxquels assiste ou participe le malheureux serviteur de la Nation que vous êtes. Si vous êtes absente de ces fêtes et sauteries, certains pourraient en conclure hâtivement que vous ne travaillez pas…
Dans le brouhaha qui règne, et sous les assauts auxquels on vous soumet, vous n’arrivez pas toujours à en placer une. Si vous dites non, on insiste, et on insiste. On vous arrache votre carte de visite. Et vous cédez, parfois, faute de pouvoir vous en sortir autrement.
Ce ne sont hélas pas les plus nécessiteux, les plus précaires, les plus victimes de coups du sort ou d’injustices qui arrivent à ces manifestations. Et ce ne sont pas eux, en général, qui demandent avec le plus d’insistance et le plus d’aplomb un rendez-vous. D’ailleurs, la plupart du temps, ceux-là n’arrivent jusqu’à vous qu’après de longs détours, presque par hasard, ou grâce au relais de militants de terrain dévoués, attentifs et actifs. Les autres, c’est une autre histoire, et à les considérer j’ai fini par me demander s’il n’existe pas tout simplement des professionnels de ce genre de harcèlement.
Il y a ceux qui vous demandent des subventions pour leur association, vous appellent un nombre de fois incalculable pour solliciter votre réserve parlementaire, et qui, au final, vous reprocheront de ne leur avoir rien donné… « Et pourquoi je n’ai pas eu de subvention ? – Madame, mais parce que vous n’avez pas transmis à temps votre dossier ! – Comment ? Ce n’est pas possible ! »
Nos collaborateurs aussi sont régulièrement harcelés par téléphone. Et parfois à des heures indues de la nuit par ce fameux moyen de « communication » qu’est le SMS, les plus culottés allant jusqu’à les joindre sur leur portable. Rien n’arrête les mouches du coche de la République. Pour elles, votre travail, votre rôle, l’ultime justification de votre existence consiste à les aider à atteindre leur objectif. Quel qu’il soit. Sans oublier ceux et celles qui cherchent simplement à élargir leurs réseaux et à alimenter leur carnet d’adresses, ça peut toujours servir.
Pour ceux-là, nous ne sommes plus des élus, mais des pistons. A actionner coûte que coûte. La dégradation de l’image des élus les a transformés, aux yeux de beaucoup, en simples prestataires de bons tuyaux. Impossible d’y échapper. Et dans le cas des sénateurs, il y a une circonstance aggravante : ce n’est pas le peuple qui nous a élus directement, mais de grands électeurs… Alors à nous de faire nos preuves !
Bonne année à tous
Les cérémonies de vœux du mois de janvier – un mois littéralement harassant – ouvrent le ballet des requêtes. Un sénateur se doit de les fréquenter assidûment. C’est un moyen de faire honneur aux maires, élus locaux et régionaux, institutionnels et autres serviteurs de l’Etat. De maintenir le contact, d’échanger dans un contexte détendu en apparence, sans enjeu politicien immédiat. Vous rencontrez toutes les huiles de votre circonscription, les responsables d’associations aussi, vous souhaitez la bonne année aux mêmes personnes plusieurs fois en des lieux différents.
Sympathiques et souvent utiles cérémonies, à condition de ne pas en abuser. A la fin, vous ne saurez plus qui vous avez salué et qui pas. Vous porterez un grand sourire en bandoulière, écouterez avec le plus grand sérieux de parfois longs discours, qui se termineront avec un buffet plus ou moins copieux selon les moyens de la puissance invitante.
Moi, au fond, j’aime assez. D’autant que d’une année sur l’autre le programme ne change pas. Pas de surprises ! Je sais que je vais retrouver mes potes, comme autrefois dans la cour de l’école à la rentrée. Ca serait même parfait s’il n’y avait pas surdose. Tourner pendant un mois d’une ville à l’autre sur tout le département (et même au-delà), ça n’est tout de même pas une mince affaire !
Bureau de doléances
Mais le plus compliqué à gérer, j’y reviens, ce sont les solliciteurs. Je me demande parfois si je ne devrais pas ouvrir un bureau de doléances où je recevrais à tour de rôle les professionnels du piston. Puisque, selon eux, je ne sers pas à grand-chose, au moins ils verraient que je travaille…
Cela dit, parmi les demandeurs de service, tous ne sont pas des importuns. On trouve parmi eux des sans-papiers, simplement mieux introduits que d’autres, qui souhaitent obtenir le sésame, la carte de séjour. Chaque demande exige à peu près une semaine de travail pour monter un dossier solide. Je n’y rechigne jamais, mes collaborateurs non plus. Au contraire, une ancienne immigrée comme moi sait ce que ces gens-là vivent, et ne peut pas y rester insensible. Question de simple empathie, ou de simple humanité. Mais en même temps je culpabilise, en me disant : pourquoi celui-ci et pas l’autre ? En général, je refuse de rencontrer ces personnes, pour éviter que se crée entre elles et moi, du seul fait du contexte, un rapport hiérarchique qui pourrait être humiliant pour elles. Un petit mot de remerciement de leur part, un bouquet de fleurs déposé discrètement, un simple coup de fil à une collaboratrice, voilà qui suffira à nous donner du courage pour continuer.
Les journées passent ainsi avec ces dizaines et dizaines de petits et grands services demandés. C’est tard dans la nuit ou le week-end qu’un sénateur sérieux arrive à travailler ses dossiers. Lorsqu’on voit avec quelle lenteur les choses avancent dans les Chambres et dans le pays, il doit arriver à d’autres qu’à moi de se demander à quoi on sert. Tant d’investissement, tant de travail, avec ces résultats ? Sans oublier les obligations de parti, la liberté de pensée et d’expression circonscrite, les bienséances à respecter avec les sénateurs et sénatrices de son groupe et les autres. Oui, la politique n’est pas un métier fait pour les tendres.
Tiens, j’ai oublié les louvoiements pour décrocher légions d’honneur et autres décorations. Ca flattera les egos de vos connaissances, qui retrouvent le nord sans peine quand il faut s’adresser à vous. Il y a même ceux qui voudraient se faire placer dans un Ministère (sic), vous croyant omnipotent. Ne négligeons pas enfin les invitations à présider telle ou manifestation culturelle, politique ou autre. Parfois, je me compare à la cerise sur le gâteau. Comme si le gâteau allait être meilleur du seul fait de ma présence. Mais j’arrête là la liste…
Vous me rétorquerez avec raison que les enquiquineurs sont précisément là pour mettre un peu de poivre dans la vie d’un sénateur, qui n’est pas payé pour s’amuser. Ce lundi-ci n’échappera pas à la règle. De nouvelles aventures m’attendent. Une cérémonie au monument aux morts pour l’investiture d’un nouveau préfet, suivie d’une réception. Je vous l’avais bien dit… Comme je ne bois ni ne mange dans ces cérémonies pour éviter l’embonpoint qui guette tous les politiques dignes de ce nom, je vais encore serrer des mains et faire la causette. Vivement le retour en commission, les auditions, le travail de fond, les débats – houleux ou non – en hémicycle ! Ce sera dès mardi ! Quant aux accros du piston, je sais bien qu’ils n’auront pas de répit. Je les attends de pied ferme au téléphone.