INTERVENTION AU MALI – Une semaine bien chargée. D’abord, cette guerre au Mali, dont je crains fort l’enlisement, plus encore en ces temps de crise économique. La tragique affaire des otages en Algérie n’annonce rien de très encourageant. Comme historienne, je connais certes l’effet pernicieux que put avoir le pacifisme de l’entre-deux-guerres. Je ne sous-estime pas non plus les dangers du terrorisme. Néanmoins, difficile d’ignorer les désastres auxquels ont mené tant de conflits armés. De même, comment ne pas garder à l’esprit qu’aucune intervention occidentale récente ne s’est terminée comme prévu?
Intervention au Mali : courage ou témérité?
Cela explique en partie l’isolement actuel de la France dans le concert de nations qui ont pour la plus grande partie préféré tenir le rôle d’observateurs, jusqu’ici bienveillants. Les dirigeants de ces pays préfèrent ne pas prendre de risques inconsidérés et ne pas accumuler les mauvais points dans le contexte critique actuel. Saluons donc, en l’occurrence, le courage de notre président qui lui a résolument choisi d’intervenir au Mali, pour y combattre le terrorisme et tenter de restaurer l’intégrité territoriale et la souveraineté d’un Etat ami ayant appartenu autrefois à l’Empire colonial français.
Va-t-il s’en sortir la tête haute ? Ceci est une autre question. Vu ses résultats dans les sondages, il a tout intérêt à ne pas s’engager dans une intervention de longue haleine qui hypothèquerait ses chances à la prochaine élection présidentielle, dans une France en pleine dépression économique et morale. Les effets négatifs d’un échec ou d’un enlisement pourraient même se faire sentir plus tôt, dès les élections municipales. L’opinion publique est en effet volatile. Aujourd’hui favorable à l’intervention au Mali, elle peut facilement demain, face à des suites incontrôlables, se retourner contre l’exécutif.
Le risque de divertissement
Il importe par ailleurs que cet événement ne serve pas de divertissement au sens pascalien. Il n’est pas là, il ne doit pas être là pour détourner l’attention des difficultés de toute nature auxquelles, sous les yeux de l’opinion, se heurte l’actuel exécutif. Il s’agit encore moins de mettre inconsidérément en avant les répercussions possibles du conflit sur le territoire métropolitain, de faire peur en un mot, et de troubler ainsi le jugement de nos concitoyens.
Enfin, on peut craindre que l’information quotidiennement bombardée par les médias renforce dans les esprits l’amalgame « terrorisme=musulmans » et donne de nouveaux arguments spécieux à ceux qui s’ingénient à étayer leur rejet de l’Autre, immigré ou Français de confession musulmane. De l’Arabe de trop à l’épisode du pain au chocolat, le gouvernement précédent et ses héritiers actuels de l’opposition n’ont jamais fait dans la dentelle, ni hésité à miser sur la diabolisation de l’islam et des immigrés pour pallier l’absence d’un projet politique cohérent. Ils ont été rattrapés par leurs propres erreurs, qui ont plutôt servi l’extrême droite et contribué à leurs récentes déroutes électorales. La gauche ferait bien d’en prendre de la graine.
Ne pas sacrifier la complexité des enjeux
Les implications de l’intervention au Mali, de toute façon, dépassent largement les appréhensions que suscite légitimement le développement du terrorisme au Sahel, où vivent 60.000 expatriés français et où sont implantées un certain nombre d’entreprises tricolores. Ne sacrifions pas la complexité du réel à des considérations un peu faciles. L’histoire coloniale de la France, celle des relations France-Afrique, les matières premières exploitées ou exploitables dans la région sont partie intégrante de ce réel.
La France s’est certes engagée au Mali à la suite du déploiement des forces islamistes vers Bamako. Personne ne peut non plus nier la férocité avec laquelle ces derniers agissent au nom d’un islam qui déshonore l’islam lui-même et qui jette injustement l’opprobre sur tous les musulmans. Mais on sait aussi combien nos gouvernements successifs ont soutenu les régimes corrompus du Mali, provoquant un total délitement de l’Etat, lequel a lui-même facilité l’avancée de ces groupes islamistes vers la capitale.
Nul n’oublie non plus, sans parler des otages enlevés au Niger en 2010, que l’instabilité du Sahel dans son ensemble nuit aux activités économiques de la France dans la région, y compris l’exploitation des mines d’uranium par Areva, d’abord au Niger, mais aussi au Mali où Areva conduit des explorations dans la région proche des frontières sénégalaise et guinéenne, à 350 km à l’ouest de Bamako.
De toute façon, cette intervention est maintenant lancée. Il n’est plus vraiment temps de l’approuver ou de la condamner. Notre vœu, s’il fallait en former un, serait qu’on en sorte en ayant obtenu un minimum d’acquis et avant de s’embourber. Ne comptons pas trop sur cet engagement militaire pour rétablir la démocratie au Mali. Les guerres d’intervention pour la démocratie atteignent rarement leur objectif. Peut-être en raison d’une incompatibilité entre la fin et les moyens. Et aussi parce que la démocratie elle-même n’en constitue jamais l’objectif exclusif ni principal, mais que derrière se cachent d’autres intérêts.
Batailles de boules de neige et guerre des sexes
Si la guerre au Mali nous distrait des difficultés de la France, la neige, elle, vient à point nous distraire de la guerre au Mali. Transports bloqués, routes obstruées, paysages blanchis, froid perçant, paralysie qui menace, mais aussi batailles de boules de neige dans les rues et dans les parcs, voilà du pain béni pour les médias, au cas où ils voudraient nous changer un peu les idées. Une bataille -bien pacifique- qui repousse aux marges de notre conscience une autre, tragiquement sanglante, dont on n’a hélas pas fini de compter les victimes.
Cela dit, un troisième front s’est ouvert. Au Sénat, jeudi dernier, 17 janvier. Là, c’est la guerre des sexes qui a fait rage. L’occasion de cet affrontement? La réforme du mode de scrutin pour les élections cantonales (par ailleurs rejetée par 164 voix contre 144), qui propose d’élire un binôme composé d’une femme et d’un homme. Cette perspective d’une avancée de la parité en politique a provoqué un virulent dérapage sexiste peu en harmonie avec l’atmosphère feutrée et ordinairement courtoise de la vénérable institution.
Reconnaissons-le, la courtoisie de nos amis les hommes est une chose. Elle ne traduit pas forcément leur volonté de partager leur pouvoir -et leurs postes- avec nous, les femmes, qui elle en est une autre. Bien au contraire. On n’a découvert là rien de vraiment inédit, ni de vraiment surprenant. Mais la façon dont s’est déroulé le débat a fait mouche.
Pratiquer la parité d’une manière banale n’est pas le fort des politiciens, ni, en général, de tous les hommes de pouvoir. Pourquoi donc se priver d’une place pour la laisser à une autre ? Même la loi sur la parité n’a pas réussi à sensibiliser les esprits, ni au fond à bouleverser les pratiques. Ce qu’ils acceptent de partager de bon cœur, c’est leur lit. Et ce qu’ils veulent bien nous abandonner, la gestation et l’enfantement, faute d’autre choix.
La parité à 25/75
Que n’a-t-on pas entendu dans les travées de la Haute Assemblée ! Pour un sénateur UDI, la parité est « un gadget totalement baroque », pour un autre, UMP, « il faut laisser ce binôme juste pour une mandature. Ainsi, les femmes auront eu le temps de faire leurs preuves ». Bravo! Ils ont donc fait leurs preuves, eux? Qui donc a vérifié? Nos preuves, hélas, nous les faisons tous les jours, et à tous les échelons des métiers que nous pratiquons. Nous devons travailler bien plus et bien mieux que les hommes pour gagner estime et promotion. Ou ne serait-ce que pour faire admettre à ces messieurs que nous existons!
Un autre sénateur, de droite toujours, un jeune, qui plus est, digne hériter des anciens, aura cette phrase sublime: « Est-ce que la parité doit se mesurer au 50/50? ». La parité à moins de 25/75, comme au Sénat, par exemple, c’est donc de la parité? Pas matheux pour un sou, notre jeune collègue. Quand la puissance du préjugé vous rend même incapable de compter jusqu’à deux… La parité? Une « obsession sexuelle collective ». « Baroque », « loufoque », « invivable ». Ils l’ont mise à toutes les sauces, la parité, certains de mes collègues. Un vrai bal de misogynes, auquel les femmes étaient conviées, non pour danser, mais pour entendre voler les insultes.
Quand le vernis craque
Elles se sont vaillamment défendues, les copines sénatrices. De fait, ces dérapages grotesques sont un signe à prendre très au sérieux. Notre vernis de « civilisation » -au sens mondain- craque vite. Ça ne date pas de jeudi dernier au Sénat. Ça fait des jours, des semaines, des mois, dans la rue, dans les médias. Ça monte sans tabous. Les opposants au mariage pour tous ont ouvert la brèche. La France conservatrice a relevé une fois de plus la tête, elle s’y est engouffrée; elle a montré son vrai visage. Pas très reluisant, ce visage.
« La Palme du misogyne beauf » est attribuée à… par LeHuffPost
Ce même jour de débat sur le binôme des cantonales, n’a-t-on pas entendu le même jeune sénateur de droite faire un significatif amalgame? « La parité, s’est-il interrogé, doit-elle être absolue compte tenu de tout ce qu’on entend sur la théorie du genre, le mariage pour tous? ». Le conservatisme et la misogynie n’ont décidément pas d’âge. La sottise réactionnaire est-elle l’apanage des politiciens de droite? Peut-être. Peut-être aussi que certains, de gauche, ne se taisent que par stratégie politique. Peu importe. En l’occurrence, je préfère toujours les taiseux aux bavards.
La « vraie » France, celle des « us et coutumes », des « contes et légendes », et du « terroir », se rêve immuable, regardant plutôt le passé qu’un avenir qui l’effraie, qu’elle n’arrive pas à contrôler et qui se construit sans elle. Le projet de loi sur le mariage pour tous a donné de l’énergie à cette France-là. Les discours d’opposition fusent, se superposent, se renforcent mutuellement, et tentent de décourager l’autre France, celle qui veut le mariage pour tous, le droit de vote des étrangers, la parité et le changement.
La prochaine guerre sera pour l’égalité
On comprend mieux pourquoi « l’action positive », l’affirmative action des Anglo-Saxons, qu’avec notre pessimisme habituel nous avons préféré appeler « discrimination positive », susceptible de dégripper l’ascenseur social, peine à émerger dans notre pays sous le prétexte fallacieux du soi-disant universalisme républicain. Cet universalisme s’est-il jamais pleinement concrétisé? Les élites en place, elles, en attendant, font de la résistance pour garder qui ses privilèges « républicains », qui les rentes à vie que la République accorde aux bien-nés, qui ont fréquenté les bonnes écoles et habitent les beaux quartiers.
Une autre guerre, celle-ci pour l’égalité, doit être poursuivie sans relâche. Céder, ne serait-ce qu’un instant, serait risquer de perdre et déjà régresser. Voilà une vraie belle bataille démocratique dans laquelle toutes les gauches sont conviées à s’engager. Et là, sans hésiter.