Prostitution: l’abrogation du racolage passif attendra
07 novembre 2012 | Par Mathieu Magnaudeix
C’est l’un des emblèmes de la politique de la droite. François Hollande s’était engagé pendant la campagne à le supprimer. Mais le délit de racolage passif, instauré en 2003 et qui punit de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le fait pour les prostitué(e)s de se livrer au racolage des clients sur la voie publique, ne sera pas abrogé dans l’immédiat.Les sénateurs écologistes avaient déposé début octobre une proposition de loipour faire disparaître le « racolage public » du Code pénal. « Cette disposition n’a pas rempli ses objectifs en matière de lutte contre les réseaux et a eu pour principal effet d’aggraver la situation de précarité et de stigmatisation des travailleuses et travailleurs du sexe, écrivent-ils dans l’exposé des motifs. (Elle) a été utilisée en grande partie pour arrêter des ressortissant(e)s étranger(e)s en situation irrégulière en vue de les reconduire à la frontière. Enfin, l’absence de définition précise du racolage passif permettant l’arrestation de toute personne sur la seule base de la tenue vestimentaire ou de la représentation que les forces de l’ordre peuvent se faire des travailleuses et travailleurs du sexe, favorise la stigmatisation et aboutit à des arrestations basées sur le faciès, n’importe quelle femme pouvant, dans l’absolu, être arrêtée sur ce motif. »
La proposition de loi aurait dû être discutée le 21 novembre au Sénat, avant de continuer son parcours à l’Assemblée nationale. Mais la navette parlementaire a été stoppée net. Les sénateurs écologistes ont décidé de la retirer.
« La loi devait être discutée, un rapporteur socialiste avait même été désigné, mais le gouvernement veut faire un travail plus large sur la prostitution », justifie la sénatrice EELV Esther Benbassa, à l’origine de la proposition de loi. En réalité, le report de la PPL écologiste a été négocié avec le gouvernement.
« Il faut se donner encore un peu de temps », estime l’entourage de la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem.
« C’est difficile d’aborder le racolage passif sans traiter d’autres sujets liés à la prostitution. »Or pour l’heure, le gouvernement et la majorité sont très divisés sur ce dossier. Tous les ministres ne partagent pas la position de Najat Vallaud-Belkacem, qui plaide pour une abolition de la prostitution. Quant à l’éventuelle pénalisation des clients, elle fait largement débat au sein de la gauche.Du coup, l’exécutif juge urgent d’attendre.
« On se donne quelques mois encore », justifie le ministère des droits des femmes. Qui précise que le gouvernement souhaite toujours supprimer le racolage passif.
« Il n’y a aucun doute sur le fait qu’on doive adopter cette mesure. » Il y aura donc bien un texte sur la prostitution. Mais sa date et son contenu restent à définir.Dans l’immédiat, le gouvernement dit attendre un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui sera rendu en décembre. Il renvoie aussi aux préconisations de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée qui vient de créer un groupe de travail piloté par la députée socialiste Maud Olivier.
« Nous entendons travailler sur le système prostitueur dans son ensemble, les proxénètes, le client et les prostituées ». « Le PS est abolitionnste, rappelle-t-elle,
et pas pour la régulation de ce système, c’est ce qui nous différencie des écologistes». La députée espère une proposition de loi
« d’ici quelques mois ».
Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait pourtant fait de la suppression du délit de racolage une priorité. Le 19 mars 2012, un mois et demi avant la présidentielle, le président de la République avait promis de « supprimer » ce délit instauré dans le cadre de la loi de sécurité intérieure du 18 mars 2003, un texte signé Nicolas Sarkozy. « Ce qui nuit le plus à l’accès aux soins des personnes prostituées, aujourd’hui, c’est le délit de racolage passif instauré par Nicolas Sarkozy, disait alors Hollande au site seronet.info. Il faut supprimer ce délit, qui conduit à repousser la prostitution dans des zones peu accessibles pour les associations et, in fine, se traduit par un moindre accès aux soins et aux services sociaux pour les personnes prostituées. »
« La suppression du délit de racolage est une urgence, rappelle Esther Benbassa. Mais on veut aussi donner sa chance au ministère, qui veut faire une loi plus globale. » Les écologistes ont déjà prévenu : si le dossier n’avance pas, ils redéposeront une proposition de loi au premier semestre 2013. D’ici là, ils envisagent de saisir le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).