Dans une France profondément engluée dans la crise, immigrés et religions ne cessent d’occuper le terrain médiatique, essentiellement pour le pire.
Manuel Valls ne semble pas avoir changé d’angle d’attaque. Ou plutôt de recul, si l’on peut dire. Recul sur le droit de vote des étrangers. Recul, aussi, sur le contrôle d’identité avec récépissé. Si Jean-Marc Ayrault a apparemment décidé de ne pas renoncer au premier, le second, lui, a totalement disparu des radars.
Droit de vote des étrangers, à la trappe, ou presque
En mettant le droit de vote des étrangers au cœur de sa 50e proposition, le candidat Hollande s’était inscrit dans les pas du François Mitterrand de 1981. Mais comme quelques-unes des promesses de notre nouveau président, celle-ci a failli passer à la trappe.
Et pourtant, une proposition de loi avait bien été votée, sous la gauche, en 2000, à l’Assemblée nationale. Elle était hélas restée lettre morte, étant donné la composition du Sénat, majoritairement de droite à l’époque. En 2011, ranimant la flamme avec la nouvelle majorité sénatoriale, j’ai été moi-même rapporteure de ce texte au Sénat. Lequel a été à nouveau voté, dans un grand moment de communion de toutes les gauches.
Un grand moment, aussi et avant tout, pour ceux qui attendent cela depuis des décennies. Je songe à tous ces travailleurs, à toutes ces travailleuses qui ont dévoué leur force et leur intelligence à la construction de notre pays. Leurs enfants, français, n’ont jamais eu la chance de les voir voter ne fût-ce qu’aux élections locales, comme d’autres étrangers, parfois présents depuis moins longtemps sur notre sol, mais eux ressortissants de l’Union européenne.
Pourquoi les uns et pas les autres ? Pourquoi nous obstiner à nous montrer incapables de nous mettre au diapason de nombreux pays en Europe qui eux n’ont pas hésité à sauter le pas ?
Un petit air de déjà vu
Le climat délétère des temps du sarkozysme, après un bref répit, serait-il de retour ? Quel dommage ! Nous avons à peine eu le temps de respirer à pleins poumons le bon air d’une démocratie rénovée que M. Valls reprenait le bâton du pèlerin.
Notre ministre de l’Intérieur n’est pas raciste, il n’est pas islamophobe, et je ne doute pas qu’il soit humaniste. Encore faudrait-il qu’il manifeste avec plus de netteté tout ce qui le distingue de ses prédécesseurs. Démantèlements de camps de Roms, expulsions, déclarations hostiles au droit de vote des étrangers, mépris des attentes de tant et tant de nos concitoyens jour après jour contrôlés au motif de soupçons inavouables…
Tout cela serait fait de bonne foi, sans stigmatisation, dans un esprit d’apaisement et de juste équilibre ? Voire…
Signe de plus que le climat n’est plus à la sérénité : il y a quelques mois, plus de 60% des Français étaient pour le vote des étrangers, et voilà un sondage de la semaine dernière qui semble montrer que le rapport s’est inversé. Maintenant, 6 Français sur 10 seraient hostiles à l’octroi de ce droit. Et l’on ne peut pas tout imputer à l’impact des discours anti-immigrés de l’extrême droite.
Dieu merci, celle-ci n’est pas encore au pouvoir. Mais à l’allure où se succèdent les couacs du gouvernement actuel, on peut vraiment craindre qu’elle connaisse un nouveau regain aux prochaines échéances électorales. Soucieuse de montrer au peuple de France qu’elle n’est pas laxiste sur les questions de sécurité et d’immigration, la gauche au pouvoir serait-elle incapable s’assumer l’ouverture qui, en principe, la distingue de la droite et de l’extrême droite ? Pourquoi tant d’indécision ?
La droite elle-même – M. Sarkozy compris – a été, un moment, favorable au droit de vote des étrangers, puis elle a reculé. M. Hollande l’a été, lui aussi, puis il a failli reculer, lui aussi. Il a fallu pour l’éviter que 75 députés socialistes signent un texte dans Le Monde pour lui rappeler sa promesse.
Quant à M. Valls, lui, il ne bouge pas d’un iota. Il n’y a pas urgence, paraît-il. A croire que comme Rama Yade il ne voit là que pure « fumisterie »… C’est vrai, les sujets « sociétaux », comme l’on dit, sont d’une urgence technique relative. Ils ne sont une urgence que parce qu’ils nous ramènent à nos principes. Que parce qu’ils peuvent apporter un peu d’espoir. De cet espoir dont on a tant besoin en ces jours de crise où les cœurs sont en berne. La gauche est là pour ça aussi.
Récépissé, à la trappe, vraiment
De même, notre Président avait promis de mettre fin aux contrôles au faciès. Comme on peut le deviner, ce ne sont ni les Blancs, ni les seniors, ni les femmes qui sont le plus contrôlés. Mais les jeunes hommes plus ou moins basanés. Contrôles humiliants, arbitraires, répétitifs, qui révoltent ceux qui en sont les cibles.
J’ai déposé une proposition de loi pour l’instauration du récépissé, au nom du groupe écologiste du Sénat, dès novembre 2011. Le Défenseur des droits est en train de préparer un rapport sur la question pour la deuxième quinzaine d’octobre. Il organise un colloque le 8 octobre. Depuis des années, des associations se battent sans répit pour que cette réforme soit lancée. Des expériences ont déjà eu lieu dans d’autres pays, et elles montrent que la mise en place du récépissé restaure la confiance entre la police et les citoyens, et rend plus efficace encore la pratique du contrôle. Le récépissé peut parfaitement être conçu et fabriqué de sorte à empêcher la constitution de quelque fichier que ce soit. J’ai moi-même apporté au cabinet de M. Valls un modèle de récépissé rendant le fichage impossible.
Peu importe. Sans attendre les résultats du rapport du Défenseur des droits, sans vouloir nous entendre, M. Valls a choisi de son propre chef, pour ne pas mécontenter la police, de renoncer à tenter ne serait-ce qu’une expérimentation dans une ville pilote. La police décide (à supposer qu’elle soit unanime), M. Valls exécute.
Ne pas désespérer la gauche
Si certains, au gouvernement, pensent ainsi donner des gages aux Français pour les prochaines élections, j’ai bien l’impression qu’ils se trompent. Les Français ont voté pour Hollande parce qu’ils en avaient assez de Sarkozy, la vague rose a fait le reste. Reste que pour tenir, pour agir dans la durée, pour susciter une forte adhésion, cette gouvernance doit se distinguer nettement de la précédente. Sauf à perdre sans recours les hésitants, mais aussi les jeunes, les quartiers populaires et le peuple de gauche qui ont tant espéré.
Certes, l’écho médiatique des manifestations suscitées dans le monde par un film islamophobe qui n’en méritait pas tant, dont une, parfaitement minuscule, à Paris, les réactions plus ou moins outrées aux dessins satiriques sur Mahomet publiés dans Charlie Hebdo la semaine dernière au nom d’une liberté d’expression qui sert surtout à relancer les ventes, tout ce tintouin a grandement facilité la tâche à notre ministre de l’Intérieur. Dans une telle atmosphère, il pouvait plus facilement faire passer la petite pilule de ses grands renoncements.
Cela étant, à l’extrême droite, rien ne change. Au contraire. Ce n’est pas la sagesse de la gauche, son goût de l’équilibre qui la feront dévier de sa route. A l’université d’été du Front national des 22 et 23 septembre, les Le Pen père et fille n’ont pas été spécialement tendres avec l’immigration et l’islam. La fille, au nom de la laïcité, s’est même déclarée contre le port du voile… et de la kippa !
Pendant que tant de jeunes rejoignent allègrement les rangs de ce parti qui reste essentiellement fidèle à ses thèmes historiques de haine, nous, la gauche, tâchons au moins de gagner les Français grâce à notre audace, à notre courage, à nos principes républicains et humanistes, à notre goût du progrès, et en affirmant clairement nos convictions. Ni le conservatisme, ni le tout-sécuritaire, ni les demi-mesures, et encore moins la tiédeur, ne donneront des ailes aux Français pour nous suivre.
Pour consulter cet article sur le site du Huffington Post, cliquer ici.