Mon ami Mouloud Aounit est mort

Mon ami Mouloud Aounit est mort. L’antiracisme est en deuil. Nous avons perdu une grande voix. Il nous sera difficile d’être à la hauteur de ses convictions. Je serai demain, jeudi 16 août, à ses obsèques, au Cimetière d’Aubervilliers, à 15h.

 

 

 

L’article paru dans Le Monde daté du 15 août 2012:

Figure de l’antiracisme, ancien président du MRAP

Mouloud Aounit

Mouloud Aounit, une des figures de l’antiracisme français, s’est éteint, vendredi 10 août, à Paris, à l’âge de 59 ans d’une tumeur au cerveau. Celui qui a longtemps été l’un des piliers du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), était marié et père de deux enfants. Avec sa mort, c’est tout une page de la lutte antiraciste qui se tourne.

Né le 23 février 1953 à Timezrit, à l’époque de l’Algérie française, Mouloud Aounit était arrivé très jeune avec sa famille à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) où son père, menuisier et analphabète, était venu chercher du travail. Il avait ensuite fait toute sa carrière dans cette commune populaire de la région parisienne, où il  » avait appris à marcher « , disait-il.

Après des études d’économie et une maîtrise sur & » le coût de l’immigration « &, Mouloud Aounit avait commencé à travailler en donnant des cours du soir à des travailleurs immigrés. C’est là qu’il avait rencontré une militante du MRAP. Dans ses pas, il va adhérer à l’association en 1979. Il deviendra ensuite président de la fédération de Seine-Saint-Denis, puis secrétaire général du mouvement en 1989, et, enfin président de 2004 à 2008.

Son action va contribuer à affirmer le mouvement comme l’une des quatre grandes associations antiracistes des années 1980-1990. Mais alors que SOS-Racisme est plutôt considérée comme une émanation du PS, que la Licra est marquée à droite et que la Ligue des droits de l’homme (LDH) est perçue comme un repère de grands avocats, le MRAP, lui, s’affichera aux côtés du Parti communiste. Mouloud Aounit va ainsi participer à l’un des événements fondateurs du mouvement antiraciste : la Marche des beurs, en 1983.  » C’est simple, à cette époque, on avait deux challenges, se souvient Fodé Sylla, président de SOS-Racisme de 1992 à 1999. Il fallait réussir à réunir un cortège plus important que celui du MRAP, et ensuite, il fallait être aussi bon orateur que Mouloud Aounit. « 

Inquiet tout au long de sa carrière de la montée du Front national, il déclarait, ainsi, en 2002 :  » J’ai une maison de campagne dans un village de 6 000 habitants à 200 kilomètres de Paris. Là-bas, la seule chose qui est noire et blanche, c’est le cul des vaches, et pourtant, Jean-Marie Le Pen est arrivé en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle. Les gens ont été intoxiqués par le tube cathodique. « 

Dans les années 2000, Mouloud Aounit va toutefois prendre plusieurs positions controversées. A partir de 2003 notamment, il va pousser le MRAP à se positionner sur la question de l’islamophobie. Il considère en effet que le racisme n’est plus seulement  » anti-arabe «  mais qu’il vise plus largement  » les musulmans « . En 2003, il accepte de débattre avec l’intellectuel controversé suisso-égyptien Tariq Ramadan, proche de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), elle-même liée aux Frères musulmans. En 2004, il prend aussi position contre la loi interdisant le voile à l’école. Et en 2006, il va jusqu’à déposer plainte contre France Soir à cause de la publication des caricatures de Mahomet.

Ces prises de position vont brouiller l’image du MRAP et provoquer des déchirements en interne. Les détracteurs de Mouloud Aounit jugent qu’il se fourvoie dans des dérives  » communautaristes «  et qu’il minimise l’antisémitisme. Ils estiment qu’il n’est pas du ressort d’une association antiraciste de redonner  » confiance en l’islam « . Il lui est aussi reproché de  » s’allier avec des mouvements religieux radicaux « . Mais M. Aounit se perçoit comme  » le dernier rempart avant les intégristes « .

A partir de 2004, Mouloud Aounit suscite aussi de plus en plus de critiques du fait de son engagement politique, ses adversaires lui reprochant de mélanger les genres. Cette année-là, il se présente aux élections régionales comme tête de liste du Parti communiste en Ile-de-France et sera élu avec des scores record pour le PCF dans plusieurs quartiers paupérisés. Son décès n’en a pas moins engendré de nombreuses réactions de sympathie. Le chef de l’Etat, François Hollande, a notamment salué un homme qui a  » fortement contribué au dialogue entre les cultures « .

Elise Vincent