Par Louise Fessard
Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, a-t-il déjà enterré l’idée de remettre des récépissés pour lutter contre les contrôles d’identité au faciès, comme l’affirmait mercredi matin RTL ? Contacté, le ministère répond que Manuel Valls, qui a déjà rencontré les syndicats de police, les associations et reçu l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), attend la remise début septembre d’un rapport du Défenseur des droits, Dominique Baudis, pour arbitrer.
Dans ses mesures prioritaires, François Hollande avait promis, avant fin juin, une circulaire pour lutter « contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité ». Sans donner plus de précisions. Le 1er juin, le premier ministre Jean-Marc Ayrault, rentrant dans les détails, avait évoqué la remise de récépissés à chaque personne contrôlée, provoquant une levée de boucliers des syndicats de policiers.
« Il n’y a pas eu de décision, Manuel Valls veut aller jusqu’au bout de cette consultation », affirme son cabinet, qui indique néanmoins que d’autres moyens, comme l’usage de mini-caméras ou le retour du matricule sur l’uniforme de policiers, permettraient également de respecter l’engagement du président de la République… Deux mesures qui laissent sceptique Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du Snop (le premier syndicat d’officiers) : « Vu l’état de nos finances, je vois mal comment le ministère pourrait doter toutes les patrouilles de caméras boutonnières et l’idée du matricule n’est pas meilleure en soi, il faudrait que les jeunes aient en permanence un crayon sur eux pour le noter ? »
Tout en reconnaissant le problème des contrôles au faciès, Manuel Valls a multiplié depuis son installation les signaux négatifs envers la création d’un récépissé remis à chaque personne contrôlée, répétant à plusieurs reprises qu’il ne voulait rien imposer aux policiers. « Si on voit que techniquement c’est difficile et qu’il n’est pas accepté par les policiers, on choisira ensemble de bonnes solutions », avait-il déclaré le 25 juin devant les commissaires tout juste diplômés de l’École nationale supérieure de la police, à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. « Je ne veux pas imposer un dispositif qui, très vite, tournerait au ridicule et serait inopérant », avait-il ajouté, précisant qu’il ne voyait « pas, à ce stade, comment ça marche ».
Le ministère de l’intérieur met notamment en avant « l’avis négatif » rendu par la Cnil qui met en garde contre la constitution d’un fichier. « Une même personne pourrait être tracée de manière extrêmement efficace dans le temps et dans l’espace, a expliqué le 11 juillet Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la commission, au micro de RTL. Le récépissé pourrait également être utilisé à des fins d’enquête, de police judiciaire. Nous avons eu un peu peur de cela. » Mais sur la base de quel modèle de récépissé la Cnil s’est-elle prononcée ?
En Espagne, l’expérimentation à Fuenlabrada, banlieue madrilène, de la remise d’un ticket à chaque contrôle avait effectivement abouti à la création d’un impressionnant fichier de données, potentiellement utilisable lors d’investigations criminelles. « Les formulaires permettent de savoir qui était avec qui à quel endroit, à quel moment, et de faire ensuite ces recoupements dans le fichier », expliquait en novembre 2011, David Martin Abanades, un sergent de police espagnol.
Conscientes de cet écueil, les associations en pointe sur le sujet, ainsi que le mouvement des jeunes socialistes, proposaient eux que seul le formulaire donné à la personne contrôlée comporte ses nom et adresse. Le double conservé par le policier serait lui anonymisé. Les données pourraient ainsi être exploitées statistiquement (pour mieux cibler l’usage que les policiers font des contrôles d’identité), tout en empêchant toute constitution d’un nouveau fichier nominatif. « Il est bizarre que la Cnil s’exprime au sujet du récépissé, dont elle n’a pas encore le modèle », s’étonne Lanna Hollo, représentante d’Open Society Justice Initiative à Paris.
Et le Parlement ?
Le ministère de l’intérieur préférerait en tout cas éviter de passer par le Parlement sur le sujet, évoquant une simple circulaire à la rentrée. Exit donc toute réforme plus globale des contrôles d’identité, incluant une modification du code de procédure pénale. La place Beauvau a d’ailleurs boudé la concertation organisée le 10 juillet par la sénatrice écologiste Esther Benbassa, à l’origine, le 16 novembre 2011, d’une proposition de loi allant dans le sens du récépissé. Alors que le Défenseur des droits, une conseillère de la garde des Sceaux, ainsi que plusieurs associations, chercheurs et magistrats avaient fait le déplacement au Sénat, l’intérieur n’a pas jugé utile d’y envoyer un représentant.
Tout comme les syndicats de police. Alliance Police (second syndicat de gardiens de la paix) et Synergie officiers (le second syndicat d’officiers dont le communiqué vaut le détour) ont refusé, par principe, tout dialogue avec un autre interlocuteur que le ministère de l’intérieur, tandis qu’Unité SGP Police FO (le principal syndicat de gardiens de la paix) et le SICP (second syndicat de commissaires) se sont décommandés au dernier moment. « Les syndicats n’ont pas d’argument pourquoi viendraient-ils ? » soulignait, sourire en coin, un membre du collectif contre le contrôle au faciès (lire leur argumentaire contre « les idées reçues » sur le contrôle d’identité).
« J’ai l’impression de ne pas avoir réussi à faire comprendre au ministère l’importance de ces contrôles abusifs au niveau du ressenti des gens, combien ils souffrent de cela, expliquait mardi la sénatrice, à l’issue de la réunion. Pour l’un de participants, le plus dur, ce n’était pas la discrimination à l’emploi, ni les problèmes d’argent mais bien les contrôles répétés. Renoncer à une loi sur le sujet serait une trahison de la confiance qu’ont donnée la deuxième et troisième génération d’enfants d’immigrés qui ont massivement voté pour la gauche. »
Le ministère de l’intérieur poursuit néanmoins ses consultations, plusieurs associations ayant encore été reçues cette semaine. « Pour l’instant, nous ne sommes pas dans l’optique d’un rapport de force mais dans une confiance totale avec le ministère », explique Sihame Assbague du collectif contre le contrôle au faciès. De son côté, le rappeur Axiom, également membre du collectif, estime que la mesure a été très mal présentée par le premier ministre. « Il ne s’agit pas de donner un blanc-seing à la personne contrôlée pour qu’elle ne puisse plus être recontrôlée dans la journée, mais d’avoir une traçabilité, un outil qui permette de quantifier, de savoir quand, où et comment les contrôles ont lieu, explique-t-il. Du coup, dans l’imaginaire collectif, les policiers ont été opposés aux jeunes et vice-versa, alors qu’il s’agit aussi d’une mesure de protection pour les policiers qui auront désormais un recours s’ils sont accusés de contrôle au faciès ! »
Lui aussi estime que le gouvernement n’a peut-être pas pris la mesure des ressentiments créés par les contrôles au faciès. « C’est un problème d’envergure pour la relation police/population, mais aussi pour la République, car ces contrôles créent un sentiment d’humiliation et de dévaluation, qui, chez certains, peut mener jusqu’à la violence », souligne-t-il.
De son côté, Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature, estime qu’il faudrait surtout restreindre le cadre législatif des contrôles d’identité à ceux effectués dans le cadre de recherche d’infractions (en supprimant les contrôles administratifs). « Utiliser les contrôles d’identité de façon massive, comme en France, n’est pas une évidence, remarque-t-il. Grosso modo, cela permet de trouver des sans-papiers, de mettre la pression et de faire du contrôle de territoire : ce ne sont pas des objectifs acceptables en démocratie. » Et de sourire : « Le débat n’est pas donc pas clos, mais ce serait bien qu’il ait lieu… »
Mais le parlement pourrait aussi avoir son mot à dire. Théoriquement, le groupe Europe Ecologie-Les Verts et le groupe socialiste au Sénat ont la possibilité d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de loi d’Esther Benbassa, lors de leur espace réservé. Contacté mercredi, François Rebsamen, le président du groupe socialiste au Sénat, n’a pas souhaité nous répondre. « Il ne bougera pas sur le sujet, pour l’instant nous laissons faire Manuel Valls », a expliqué son entourage.