(Par Louise Fessard)
François Hollande avait promis une circulaire avant fin juin 2012 pour lutter contre les contrôles au faciès. Mais l’annonce, le 1er juin, par le premier ministre Jean-Marc Ayrault qu’il était envisagé de demander aux policiers de remettre un récépissé à chaque contrôle d’identité a provoqué la bronca des syndicats de policiers. La sénatrice Europe Ecologie-Les Verts, Esther Benbassa, qui a déposé, le 16 novembre 2011, une proposition de loi allant en ce sens a rencontré le 14 juin Renaud Vedel, directeur de cabinet adjoint de Manuel Valls, ainsi que sa conseillère parlementaire, Magali Alexandre.
La sénatrice plaide pour un véritable débat parlementaire sur le sujet, plutôt que pour une simple circulaire ministérielle. A l’issue de son entretien avec des membres du cabinet du ministre de l’intérieur, la sénatrice souligne « le rôle important de résistance » des syndicats de police.
Où en est le ministère de l’intérieur dans sa réflexion sur la lutte contre les contrôles au faciès ?
Esther Benbassa.Ce que j’ai ressenti dans nos discussions est que nous sommes très loin encore de la circulaire et de la loi. Et que les syndicats de policiers jouent un rôle important dans ce processus. Un rôle important de rétention et de résistance, dois-je préciser.
Je me suis rendue au rendez-vous jeudi dernier, avec tout un dossier, et j’ai bien fait car les membres du cabinet de Manuel Valls ne connaissaient pas tous les travaux parus sur le sujet, par exemple le rapport d’Open Society Justice Initiative (la fondation du milliardaire George Soros – ndlr) sur la question du profilage ethnique en Europe. Ils n’ont pas, non plus, rencontré toutes les personnes auditionnées pour notre proposition de loi.
Je leur ai également apporté un modèle de récépissé, rédigé de façon à éviter, si la loi passe, qu’il y ait la formation de fichiers nominatifs. Sur ce modèle, artisanal bien sûr, celui qui serait contrôlé aurait tous les éléments (numéro de souche, la date, le lieu, l’heure, le numéro de matricule du policier, le motif de contrôle, son résultat, le nom de la personne contrôlée, son âge, etc.), tandis que le policier garderait tous ces éléments, sauf le nom et l’adresse de la personne contrôlée.
Ce serait, à vos yeux, une mesure importante, de la part du nouveau gouvernement ?
C’est une mesure qui ne coûte pas beaucoup d’argent, mais qui est hautement symbolique, et peut donner un signal pour une société où le vivre ensemble serait possible. Il serait intéressant que ce signal soit envoyé par le gouvernement, qu’un ministre de l’intérieur montre qu’il n’est pas seulement le premier policier de France, mais que c’est un ministre qui ne discrimine pas et est à l’écoute de la société.
D’autant qu’une action en justice est en cours, avec quinze personnes contrôlées qui accusent l’Etat de discrimination. Ce serait mieux que la décision vienne du gouvernement, et non à la suite d’une décision de justice. Ce contrôle au faciès est humiliant, il stigmatise. Aujourd’hui la gauche est au pouvoir, c’est le moment. Il faudrait une collaboration entre le gouvernement, les parlementaires et la police pour assurer aux citoyens que nous sommes égaux, quels que soient notre couleur, notre ethnie, notre sexe, ou notre âge.
Cette mesure, selon vous, doit passer par une loi ?
C’est très important de faire une loi, car une circulaire peut être abrogée à tout moment, comme cela a été le cas avec la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers. Ce serait plus démocratique de passer par les élus de la nation pour faire ce geste symbolique, car cela permettra d’avoir un vrai débat exposant les argumentations de tous bords. Et comme notre proposition de loi a été déposée le 16 novembre 2011, elle pourrait être débattue dès septembre, s’il y a une niche au Sénat.
Les syndicats de policiers, dont le principal, Unité SGP Police FO, y voient une mesure de défiance contre le travail des policiers et un surplus de travail administratif.
Renaud Vedel (le directeur de cabinet adjoint du ministre de l’intérieur – ndlr) m’a envoyé les deux textes les plus argumentés, venant de syndicats de police (note de Synergie officiers et celle du Syndicat indépendant des commissaires de police). Il me semble que leurs arguments ne tiennent pas. Ce n’est pas une question de défiance à leur égard. Au contraire, on sait d’après les expériences espagnole et anglaise que la confiance s’établit entre la population et les policiers, une fois que le nombre de contrôles baisse et que les policiers sont formés à l’antiracisme et à la lutte contre les discriminations.
Cela rétablirait donc la confiance que beaucoup de jeunes, d’immigrés, de descendants d’immigrés, ont perdue. Ils voient la police comme un ennemi. A moyen terme, la police devrait revenir à sa tâche qui est d’assurer la sécurité et de protéger tous les citoyens. La police ne peut pas protéger uniquement certains citoyens, en poursuivant de son zèle d’autres dont elle considère qu’ils ne rentrent pas dans le cadre à cause de leur habillement ou de leur couleur de peau. Ce sont les mêmes citoyens, avec les mêmes droits et les mêmes obligations.
Quand on regarde les statistiques du CNRS, on voit très bien, par exemple, que ni les femmes ni les personnes âgées ne sont contrôlées. Cela veut dire que c’est d’abord un acte anti-jeunes, et plus particulièrement anti-jeunes venant des quartiers.
Deuxièmement, vu le modèle de récépissé que nous avons réalisé, le surplus de travail ne serait pas énorme. S’il y a une police de proximité créée, les policiers effectueront, au bout de quelques mois, beaucoup moins de contrôles, car ils connaîtront les personnes et les quartiers, et n’auront plus aucune raison de contrôler la même personne trois fois par jour. Si on rend les contrôles d’identité plus rationnels, les policiers vont devoir trouver des raisons légales au contrôle. Qui dit contrôle plus rationnel, dit moins de contrôles, donc au contraire, cela allégerait la tâche de la police.
Je pense que la crainte de la police d’être contrôlée joue un rôle important : ils craignent que leur pouvoir diminue.
Pour certains policiers, ces contrôles au faciès sont surtout liés à la politique du chiffre et aux quotas d’expulsion d’étrangers en situation irrégulière mis en place par Nicolas Sarkozy.
C’est vrai que c’est lié, cette politique a donné des ailes aux contrôles au faciès, mais le problème est plus profond que cela. C’est un vrai problème de société, lié aux préjugés.
Suffit-il de mettre en place un récépissé pour changer les relations entre police et population ?
Le plus important est de former la police et d’effectuer un suivi, sinon ils continueront comme avant. On peut toujours trouver des motifs invérifiables pour contrôler l’identité de quelqu’un, dire qu’il mettait en danger l’ordre public par exemple.
Nous avons tous des préjugés, mais un corps comme la police peut être formé à lutter contre ces représentations-là. Je l’ai souvent fait en tant qu’enseignante, en collège et lycée. Pourquoi pas dans les écoles de police ? Lorsque j’ai évoqué l’étude du CNRS qui prouve que, sur cinq sites parisiens étudiés, les Arabes et les Noirs ont respectivement et en moyenne 7,8 et 6 sept fois plus de chance d’être contrôlés que les Blancs, les membres du cabinet de Manuel Valls m’ont répondu : « Oui, mais l’étude a été menée dans des gares très ciblées. » Donc je crois que, même si le dialogue fut très aimable et courtois, nous n’avons pas beaucoup avancé…
Au Royaume-Uni, cette attestation remise à la personne qui a fait l’objet d’une fouille porte également mention de son appartenance ethnique, est-ce que ce débat sur les statistiques ethniques, aujourd’hui interdites en France, doit être rouvert ?
Ah non, il faut mettre de côté le débat sur les statistiques ethniques pour faire passer cette loi. Essayons d’être réaliste, si on se lance sur les deux sujets en même temps, nous sommes fichus ! Nous avons seulement mis une case « nationalité » sur notre modèle d’attestation. Tout cela doit bien sûr être discuté, nous n’en sommes pas encore là. Il faut déjà convaincre les services de Manuel Valls de tenir leur promesse, de faire une circulaire dans un premier temps, et après de passer à une loi.
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