Le mardi 28 juin, la sénatrice de Paris Esther Benbassa a présenté à la presse sa proposition de loi « seul un oui est un oui », visant à inscrire la notion de consentement sexuel « libre et éclairé » dans le droit français.
« C’est un moment émouvant », débute Esther Benbassa, sénatrice de Paris indépendante, face à ses collaborateur·rices et aux journalistes, dans la salle mise à disposition par le Sénat. La femme politique a présenté devant la presse, jeudi 28 juin, sa proposition de loi « seul un oui est un oui » pour instaurer les termes de « consentement libre et éclairé » dans le Code pénal. L’objectif : apporter une réelle définition juridique à ce terme, l’inscrire, pour la première fois, dans la loi, et ainsi lutter contre les difficultés de la justice à condamner les viols. Car en France, seulement « 1,3% des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation par la justice, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes », indique la sénatrice. Si cette loi est adoptée, tout acte sexuel sera considéré comme une infraction dès lors que le consentement n’a pas été clairement manifesté et exprimé.
En effet, jusqu’ici, le Code pénal précise dans les articles 222–22 et 222–23 que tout acte sexuel commis avec « violence, contrainte, menace ou surprise » définit une agression sexuelle ou un viol. Pour qualifier un acte de viol ou d’agression sexuelle, il nécessite donc de prouver un de ces quatre motifs. Comme Esther Benbassa l’écrit dans son exposé de motifs, « actuellement, le défaut de consentement ne constitue pas en lui-même une condition pour qualifier une violence sexuelle ». Mais avec sa proposition de loi déposée le 22 juin, cette obligation pourrait changer. « On pourrait créer un balancier où le poids de la preuve ne pèsera pas uniquement sur la victime mais aussi sur le présumé agresseur », puisqu’il faudrait désormais prouver le consentement de la victime à l’acte sexuel.
Concrètement, la proposition de loi est simple : insérer les mots « consentement libre et éclairé » dans les deux articles cités précédemment, et ajouter l’alinéa suivant : « Il n’y a de consentement libre, au sens du premier alinéa [consentement libre et éclairé, ndlr], que si les actes et le comportement de la personne ou les circonstances dans lesquelles il intervient expriment clairement son accord à un acte de nature sexuelle. »
Mettre la charge de la preuve sur la victime et sur l’agresseur
Tout en respectant la présomption d’innocence, l’instauration du consentement dans le Code pénal permettrait d’ouvrir le cadre juridique pour juger un viol ou une agression sexuelle, et de faciliter la démonstration de leurs caractéristiques. La proposition de loi se base également sur le fait que le viol survient dans des situations très différentes, non pas toujours définies par la « menace » ou la « surprise ». Cela peut être le cas pour des personnes endormies, sous stupéfiants, sous alcool, ou sous l’emprise d’un·e conjoint·e, notamment dans le cadre de viols conjugaux.
« Le silence et la passivité ne sont pas synonymes de consentement », rapporte Charlotte Hoareau, avocate auditionnée pour la préparation de la proposition de loi. Selon elle, « le fait que la définition actuelle du viol ne reprenne pas la notion de consentement est un problème, car beaucoup de victimes n’ont pas forcément manifesté de façon positive leur accord à l’acte sexuel ». Dans des situations de sidération, la victime n’est en effet pas capable de donner son accord ou d’exprimer son consentement. Pour l’avocate, l’éducation, la prévention et la sensibilisation sont indispensables pour parler de consentement et iront main dans la main avec cette loi si elle vient à être adoptée.
Un contexte post-#MeToo
Esther Benbassa a souligné au début de sa présentation l’importance du contexte qui a porté sa proposition de loi. « L’idée d’inscrire le consentement dans la loi est sur la table depuis six mois », nous apprend Essra Siam, collaboratrice de la sénatrice et chargée du travail législatif. Mais l’équipe d’Esther Benbassa s’est sérieusement attelée à la rédaction de son texte après l’acquittement en appel à la mi-avril des deux policiers accusés de viol en réunion, en 2014, par la touriste canadienne Emily Spanton. Un événement qui a allumé la mèche quant à l’urgence de proposer une telle loi.
La sénatrice a aussi rappelé que 80% des victimes d’agressions sexuelles sont des femmes, et que 94 000 femmes subissent des viols et/ou des tentatives de viol chaque année dans le pays. Elle dresse un constat alarmant : seules 12% des victimes portent plainte. Parmi ces plaintes, trois sur quatre sont classées sans suite. Dans un contexte post-#MeToo, où la parole des victimes est enfin un peu plus entendue, « les victimes ont malgré tout toujours du mal à porter plainte ». La sénatrice explique : « Notre devoir premier est d’aider les victimes à porter plainte, et de trouver des moyens de les déculpabiliser. »
Comme elle l’indique dans son exposé des motifs, son travail parlementaire s’inscrit dans la lignée de la loi du 21 avril 2021, visant à protéger les mineur·es des crimes et délits sexuels, qui a déterminé qu’un·e adulte ne peut se prévaloir du consentement d’un·e enfant s’iel a moins de quinze ans, ou dix-huit ans en cas d’inceste. La femme politique pensait justement que le débat autour du consentement des mineur·es mènerait naturellement au débat sur le consentement des adultes, en vain.
Une dynamique européenne autour du consentement
Les exemples provenant d’autres pays européens ont largement inspiré les collaborateur·rices d’Esther Benbassa dans la confection du texte. L’Espagne reste précurseur à ce niveau, puisque le pays a voté en faveur de l’inscription du « consentement sexuel explicite » dans la loi, le 26 mai dernier. L’Allemagne, la Belgique ou encore le Royaume-Uni possèdent déjà tous une référence au consentement mentionnée dans leur loi pénale. La Suède a mis en place en juillet 2018 une nouvelle qualification de « viol par négligence », qui permet de juger les cas où une personne n’aurait pas explicitement exprimé son non-consentement, et où la personne mise en cause n’aurait pas pris les précautions nécessaires pour s’assurer que le ou la partenaire est consentant·e. Les attitudes et les lois évoluent en Europe, et pour Esther Benbassa, il est temps que la France s’empare aussi du sujet.
La sénatrice espère que la mobilisation autour de l’accès à l’IVG, depuis la décision de la Cour suprême américaine de révoquer ce droit vendredi 24 juin, sensibilisera davantage les sénateur·rices et les député·es à sa proposition de loi.
Reste à savoir si la proposition de loi de la sénatrice Benbassa, accusée de harcèlement moral par d’ancien·nes collaborateur·rices et d’ancien·nes étudiant·es en juillet 2021. En septembre, son groupe Écologiste – Solidarité et Territoires prenait la décision de l’exclure de leur groupe parlementaire au Palais du Luxembourg. Trois mois plus tard, la sénatrice a annoncé quitter son parti politique, Europe Ecologie Les Verts.