Bien que le non-consentement soit au cœur du crime de viol, la notion n’est pas explicitement mentionnée par le Code pénal. Pour les associations féministes, cette absence complexifie le travail de la justice. Dans une proposition de loi, la sénatrice Esther Benbassa propose d’y remédier.
« Seul un oui est un oui ». La libération de la parole des victimes de harcèlement et de violences sexuelles, initiée par le mouvement #MeToo en 2018, s’est également accompagnée d’une large réflexion autour de la notion de consentement. Soit l’acceptation libre et réfléchie, mais aussi réversible, de prendre part à une relation sexuelle. Et pourtant, le terme de consentement ne figure pas dans le Code pénal. Les débats qui ont récemment agité la société française ont néanmoins permis de mettre en place de nouvelles infractions et de combler certains vides juridiques, notamment avec la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.
La définition du viol n’a pas échappé à ces évolutions. L’article 222-23 du Code pénal prévoit que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». La loi Schiappa de 2018 en a élargi le champ d’application, afin que puissent être pris en considération d’autres cas de figure. Par exemple, les situations où la victime se verrait contrainte par son agresseur de lui faire une fellation – « commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur ». Mais l’élément intentionnel, lui, demeure le même : « violence, contrainte, menace ou surprise ». À la justice de déterminer si l’un de ces quatre facteurs entre en jeu, pour savoir s’il s’agit d’un rapport non consenti.
Déposée le 22 juin sur le bureau du Sénat, une proposition de loi présentée par la sénatrice Esther Benbassa entend ajouter à cette liste l’absence de consentement « libre et éclairé ». « Dès lors, à défaut de ne pouvoir inverser la charge de la preuve, on pourrait créer un balancier où le poids de la preuve ne pèsera pas uniquement sur la victime mais aussi sur le présumé agresseur. Il faudrait d’abord établir qu’il y ait bien eu acte sexuel puis consentement clairement exprimé de la part de la victime », lit-on dans l’avant-propos de ce texte. « La présomption d’innocence reste le fondement de l’Etat de droit, en aucun cas il ne s’agit de revenir dessus », insiste Esther Benbassa. « Mon objectif est d’exclure la présomption de consentement en vigueur dans les textes », nuance-t-elle. « Il est temps d’enlever un peu du poids à la charge de la victime et d’inscrire dans la loi que seul un oui est un oui ! »
« Il ne s’agit pas d’un renversement de la charge de la preuve mais d’élargir les possibilités de poursuites »
En l’état actuel du droit, la présomption d’innocence impose la charge de la preuve à la seule victime : c’est à elle qu’il revient de prouver qu’elle n’était pas consentante. Avec la modification proposée, l’agresseur présumé pourrait être amené, pour se défendre, à démontrer qu’il a reçu le consentement explicite de sa/son partenaire. Pour Charlotte Hoareau, avocate au barreau de Paris, qui représente l’association « Libres Terres des Femmes » qui lutte contre les violences faites aux femmes, « il ne s’agit pas d’un renversement de la charge de la preuve mais d’élargir les possibilités de poursuites ». L’équilibre paraît ténu, ce qui risque de compliquer les discussions parlementaires : « Il s’agit d’un texte très court, mais très compliqué », admet Esther Benbassa.
Pour les associations féministes, cette disposition permettrait d’outiller le ministère public contre certains casse-tête juridiques, notamment les situations de sidération psychologique où la stupeur de la victime permet à l’agresseur d’agir sans contrainte ni violence. « On pense aux victimes sous emprise, dans un état de faiblesse ou qui ne sont pas en mesure de donner un consentement libre : les personnes endormies, ou dont le jugement est altéré par la prise d’alcool », poursuit Charlotte Hoareau.
La France en retard par rapport à ses engagements
Adoptée en 2011 par 35 pays dont la France, la Convention d’Istanbul, sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dispose dans son article 36 sur le viol que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ». Le même article invite les signataires à prendre « les mesures législatives nécessaires » pour placer la pénétration et les autres actes sexuels « non consentis » au rang d’infractions pénales. Pour l’heure, seuls une douzaine de pays européens ont inscrit la notion de consentement dans leur législation, rappellent les associations. Notamment la Suède, la Belgique, Malte ou encore le Royaume-Uni. En Espagne, après la Chambre des députés, c’est au tour du Sénat de se pencher sur un projet de loi en ce sens, baptisé « solo si es si » : « Seul un oui est un oui ».