Alors qu’un nouveau traitement de substitution est disponible, le gouvernement doit soutenir les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) pour leur permettre de financer de ces innovations thérapeutiques, soulignent Caroline Abadie, députée de l’Isère, et Cyrille Isaac-Sibille, médecin et député du Rhône, dans une tribune au « Monde » cosignée par trente-neuf élus ou médecins.
Tribune. Chaque semaine, quatre Français meurent d’une consommation excessive d’opiacés. En 2021, deux enfants ont perdu la vie à la suite de l’ingestion accidentelle de méthadone. En l’espace de dix ans, le nombre d’hospitalisations et de décès par surdose d’opiacés, licites ou illicites, a été multiplié par trois en Europe.
Il existe deux portes d’entrée dans cette dépendance : la consommation d’opiacés illicites et la consommation à la suite d’une prescription médicale. Les antalgiques, prescrits contre la douleur, peuvent entraîner une forte dépendance. Aux Etats-Unis sévit une crise sanitaire provoquée par un usage excessif de ces médicaments : 650 000 prescriptions d’opioïdes sont délivrées chaque jour, et la moitié des décès par overdose d’antalgiques résulte de ces prescriptions médicales, tout à fait légales.
En France, près de dix millions de personnes ont reçu une prescription de ces médicaments en 2015, obligeant l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à s’inscrire dans une démarche de surveillance globale de l’utilisation des produits utilisés dans la prise en charge de la douleur.
Quant à la consommation d’opioïdes illicites, nous constatons une prévalence de la dépendance en milieu carcéral, où 80 % des détenus sont concernés par une addiction (tabac compris). Dans certains établissements, jusqu’à 30 % d’entre eux souffrent d’une addiction à une substance illicite lors de leur entrée en détention et 9 % sont sous traitement de substitution aux opioïdes (TSO).
Une maladie grave, chronique et récurrente
La dépendance aux opioïdes est une maladie grave, chronique et récurrente. La guérison est un chemin sinueux, qui demande souvent, et sur un très long terme, un traitement pharmacologique efficace de l’addiction à base de méthadone ou de buprénorphine. Cette dépendance, notamment médicamenteuse, ne cesse de croître, dans le contexte de l’élargissement de leur prescription (rachialgies, douleurs chroniques articulaires, etc.).
Les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), qui assurent la prise en charge médicale, psychologique, sociale et éducative des personnes dépendantes, sont de plus en plus sollicités, sans que leurs budgets ne soient augmentés en conséquence. Nous n’en sommes qu’aux prémices d’une crise.
Pourtant, la situation n’est pas à négliger : « Les courbes, à une échelle différente, suivent la même tendance qu’aux Etats-Unis », d’après le docteur Michaël Bisch, responsable du département d’addictologie du pôle hospitalo-universitaire du Grand Nancy. La crise liée au Covid-19 a renforcé ce phénomène, isolant encore davantage les patients et les personnes à risque, accentuant le stress et les souffrances dont se nourrissent les addictions.
En outre, la proximité avec les Pays-Bas favorise, sur certains territoires, la présence croissante d’héroïne, qui génère criminalité et dégâts sociaux sans précédent, allant de problèmes graves de santé publique à des taux hors norme de placements d’enfants. Sans actions fortes pour prévenir et soigner l’addiction aux opioïdes, et sans soutien financier à la prise en charge des traitements de sevrage des personnes dépendantes, nous ferons face à une crise majeure de santé publique dans les années à venir.
Usage professionnel
Depuis l’été 2021, nous disposons d’un nouveau traitement de substitution, sous forme injectable, permettant une libération prolongée sur une semaine ou sur un mois, s’adaptant aux besoins des patients. Ce traitement innovant accroît l’accès et la continuité des soins en permettant de lutter contre les oublis de prise, les mésusages et la stigmatisation que peut entraîner une prise journalière de comprimés, particulièrement en détention. Cette continuité des soins est au cœur des préoccupations. Pour l’heure, ce traitement est réservé à un usage professionnel et ne peut être prescrit qu’à l’hôpital, dans les prisons et dans les Csapa.
Ce statut, justifié par un objectif de bon usage, les exclut cependant de tout remboursement par l’Assurance-maladie, malgré le service médical rendu. Cela affecte notamment les personnes détenues, qui bénéficient de tels traitements durant leur incarcération, afin que la prise en charge puisse se poursuivre sans interruption après leur libération. C’est le cas des personnes en ayant bénéficié depuis juillet 2021 à Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), selon le docteur Fadi Meroueh, responsable de l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP).
Si les hôpitaux semblent, pour l’instant, en mesure d’absorber le coût de cette innovation, ce n’est pas le cas des Csapa, dont les budgets sont dimensionnés pour des produits anciens et peu onéreux. Non remboursés, ces traitements pèsent en intégralité sur leur budget. Cela constitue à la fois un frein financier pour ces centres, en limitant le nombre de patients éligibles, mais aussi une inégalité entre les personnes prises en charge, selon la structure où elles sont suivies.
Cette situation ubuesque contrarie la continuité des soins pour les patients dont le traitement a démarré, avec succès, en milieu carcéral et qui ne peuvent le poursuivre à leur sortie, renforçant le risque de rechute, voire d’overdoses malheureusement fréquentes.
De plus, ces rechutes n’aident pas la personne à sortir de son environnement social propice à la récidive. Au regard de leur rôle dans la politique globale de santé publique et face aux pratiques addictives ainsi que pour prévenir une crise en devenir, nous appelons le gouvernement à prévoir un financement fléché à destination des Csapa, permettant le financement de ces innovations thérapeutiques. Il s’agit non seulement d’un enjeu majeur de santé publique, mais aussi d’un levier essentiel de réinsertion sociale pour une population particulièrement exposée et vulnérable aux addictions.