Pendant deux heures, ce mardi 1er février, les sénateurs ont débattu sur « les menaces que les théories du wokisme font peser sur l’Université ». Alors que la droite se préoccupe des risques de censure, la gauche y voit un faux débat démagogique.
Woke. Le terme agite la sphère politique et médiatique depuis quelques années. Signifiant « éveillé » en anglais, la notion de wokisme désigne ceux qui se disent alertes face aux questions de discrimination dans sa définition la plus large. Le terme s’est particulièrement imposé dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, aux États-Unis comme en France. Ce mardi 1er février, à la demande du groupe Les Républicains, les sénateurs ont débattu pendant deux heures « sur les menaces que les théories du wokisme font peser sur l’Université, l’enseignement supérieur et les libertés académiques ». Une discussion qui découle de plusieurs polémiques ces dernières années, de l’opposition à la représentation d’une pièce de théâtre pour racisme à la dénonciation d’un enseignant de l’IEP de Grenoble pour « islamophobie ».
DÉFINITION FLOUE
« La principale difficulté dans ce débat est celle de la définition du terme », estime Esther Benbassa, sénatrice désormais sans étiquette. « Nous ne connaissons que celle de ses détracteurs qui y voient un agrégat d’idées défendues par une certaine gauche qui veut démanteler la culture et la société », dénonce l’ancienne élue EELV, voyant dans cette définition une vision « caricaturale qui ne permet pas de saisir les enjeux ».
Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, qui représente le gouvernement lors de ce débat, voit dans le wokisme « un comportement prescriptif qui impose une pensée unique et dominante ». Pour elle, « le projet d’Emmanuel Macron se veut émancipateur et garantit le pluralisme de la recherche » face aux risques d’« autocensure ».
UNE DROITE INCISIVE
Du côté des Républicains, la notion est bien définie. Le wokisme « perçoit le monde dans une vision manichéenne entre oppresseur et oppressés », dénonce Max Brisson, à l’initiative du débat sénatorial. « L’écriture inclusive, le relativisme culturel et la victimisation relayée par cette idéologie tentent de fracturer l’universalité républicaine. » En prenant l’exemple de Klaus Kinzler, ce professeur d’allemand accusé d’islamophobie, le sénateur LR craint une « censure des professeurs qui ne souscrivent pas à cette idéologie nauséabonde », alors que l’université est l’endroit où « doivent se cultiver l’ouverture d’esprit et la démocratie qui vit par le débat et la confrontation d’idée ».
Jean-Pierre Decool, membre du Mouvement Démocrate, fustige une « exégèse moralisatrice qui réprime toute forme d’expression ». Il évoque la censure de la pièce de théâtre des Suppliantes, en 2019, empêchée par des militants antiracistes qui accusaient le metteur en scène de mettre en scène des blackfaces. « Il faut mener la bataille sur le plan des idées, expliquer que l’on ne combat pas le racisme en empêchant une représentation, que l’on dégrade le débat lorsque l’on empêche de s’exprimer ceux qui ne pensent pas comme nous », martèle le sénateur de droite.
« Les tenants du wokisme, de la cancel culture et de la pensée décoloniale sont eux-mêmes colonisés par une pensée venue d’Amérique du Nord », rappelle Pierre-Antoine Levi de l’Union Centriste. Il fustige une « extrême gauche qui a quitté le champ républicain ».
UNE GAUCHE QUI REGARDE AILLEURS
Si les sénateurs de droite sont unanimes sur le sujet, ceux de gauche le sont tout autant dans la dénonciation de cet ordre du jour. « Nous ne sommes pas dupes de la manœuvre des Républicains d’utiliser le Sénat pour son agenda démagogique », assène Yan Chantrel, membre du Parti Socialiste. « Nous avons eu l’islamogauchisme hier, aujourd’hui le wokisme. La droite et le gouvernement sont passés maîtres dans l’art d’inventer de faux débats pour ne pas parler du vrai danger qui guette l’université. »
Pour lui, le sujet du wokisme est un « écran de fumée bien pratique pour défendre le statu quo et les privilèges ». Une diversion qui éviterait de parler « des injustices, de la violence verbale que constituent le racisme, le sexisme et la haine des musulmans en France ». Le danger venu d’Amérique du Nord ne serait pas le wokisme mais « le néomanagement dans la gouvernance des universités qui rompt avec la collégialité et le dialogue social ». Il considère que le débat du jour relève « de l’ingérence politique alors que nous sommes garants de la liberté académique ».
« La droite française importe la panique morale des conservateurs américains », dénonce l’écologiste Thomas Dossus. À l’instar de Yan Chantrel, il évoque un « débat au ras des pâquerettes et inutile alors que la précarisation menace les universités ». En dénonçant le wokisme à l’université, « il y a une volonté de régenter la pensée ».
En conclusion, Sarah El Haïry estime que « ce débat permet de poser des mots sur la réalité dans le pays. Il ne faut pas laisser passer l’autocensure s’installer dans les universités ». La secrétaire d’État s’inquiète d’un « mal qui s’installe », à rebours de la « vision universaliste républicaine portée par le gouvernement et posée comme sujet essentiel à l’unité du pays ».