Affluence limitée et enfarinage de Jean-Luc Mélenchon : le rassemblement des organisations de gauche contre l’extrême droite n’est qu’un « début »…
C’est un moment classique dans les manifestations : la presse interroge les personnalités dans le carré de tête, avant que le cortège ne s’ébranle. Place de Clichy, les caméras sont agglutinées face à Jean-Luc Mélenchon. Le leader Insoumis explique les raisons de sa présence à cette Marche des libertés, ce rassemblement contre les idées d’extrême droite. Il est grave, dit son inquiétude sur l’ambiance dans le pays, la violence de l’extrême droite. Et soudain, un jeune homme s’approche de lui et lui jette de la farine. Le candidat demande autour de lui s’il « en a sur la tête », se nettoie le visage et glisse à ses voisins « ça va, il ne m’a pas tiré dessus ».
« Tais-toi, facho ! »
Quelques instants pour s’épousseter et l’Insoumis reprend ses interviews. « Je suis vivant. Tout va bien. Ce n’est que de la farine » ou « Il ne faut pas y donner une place plus grande que ça mérite. Ils ne me font pas peur. Ils ne m’empêcheront pas de faire ce que j’ai à faire ». Jean-Luc Mélenchon défile quelques centaines de mètres puis quitte la manifestation. Devant la caméra de la chaîne russe RT, celui qui l’a enfariné se déclare « souverainiste », dénonce «Macron et toute la caste politique ». Des manifestants lui crient « tais toi », « facho » et le sortent du cortège.
Les milliers de personnes descendues dans la rue, cet après-midi, à Paris à l’appel de plus de 80 organisations, syndicats et partis de gauche n’avaient pas besoin de cette nouvelle agression pour crier leur colère contre les idées d’extrême droite et la place de plus en plus importante qu’elles prennent dans le débat public. Dont acte. Benoit Hamon s’inquiète des « digues qui tombent ».« Il était temps que la gauche donne le signal de départ. Ce soir, rien n’aura changé, mais il faut se mobiliser. J’ai toujours lutté contre l’extrême droite depuis que je suis gosse. Je n’ai pas envie que mes filles connaissent l’extrême droite au pouvoir. »
Autour de lui, la foule des grands jours est loin d’être au rendez-vous. « Ça va démarrer. Les gens ont peur de venir manifester », avoue l’ancien candidat à la présidentielle. Certains brandissent des bouts de cartons sur lesquels ils ont écrit à la main « Darmanin dans ta gueule », « ravale ta nausée » ou « le fascisme en marche ». D’autres portent des banderoles « dissolution du Rassemblement national » ou «aujourd’hui comme hier, combattre les idées d’extrême droite » et même les mains jaunes historiques « Touche pas à mon pote ». Certains crient « Zyed, Bouna, Theo, Adama, on n’oublie pas, on pardonne pas», un petit groupe porte un immense drapeau catalan. D’autres crient « Palestine vivra, Palestine vaincra. Libérez George Abdallah », sans qu’on comprenne bien le rapport avec l’extrême droitisation du débat français.
« À quoi ont servi nos combats ? »
Trois jeunes hommes s’apprêtent à défiler. Ils entendent « montrer qu’on n’est pas d’accord avec le climat de xénophobie latente, d’islamophobie latente ». Quand on demande à Pierre-Yves, fonctionnaire de 22 ans, ingénieur des travaux publics syndiqué à la CNT, quelles sont les motivations de sa venue, il répond en souriant : « Au hasard, le fait que Monsieur Darmanin soit au gouvernement. Il se revendique plus dur que Madame Le Pen ». Et il poursuit :
« Toutes les tribunes offertes à l’extrême droite dans la presse. On ne parle que des sujets d’extrême droite. ». Ajoutant : « Le président avait l’opportunité de dénoncer l’extrême droite, mais il ne l’a pas fait. Il s’est quand même pris une gifle d’un militant royaliste. Les royalistes, l’Action Française, c’est historiquement le premier ennemi de la République. »
La sénatrice écologiste Esther Benbassa est une des organisatrices de cette manifestation très unitaire. « Pour moi, c’est un symbole du rassemblement qu’on pourrait construire. On pourrait faire des choses, élaborer un programme. Ça donne un peu d’énergie, confie cette figure de la défense des minorité. Je suis inquiète de voir l’état de la gauche qui hésite à défendre nos fondamentaux, des égos qui s’affrontent. C’est grave. À quoi ont servi nos combats ? »
Face à la montée de l’extrême droite, la démonstration de force de la gauche sociale, culturelle et politique est loin d’être faite. L’avocat Arié Alimi, figure de la Ligue des Droits de l’Homme, le reconnait : « Le climat pour les libertés n’est pas terrible. Il y a une hégémonie profonde des idées d’extrême droite. Le combat commence. Je suis là pour participer à un travail de reconquête des idées des lumières. Ça prendra 5 ou 10 ans ». Il y a belle lurette que, dans les manifs, le peuple de gauche a coutume de crier : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat. »
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