Alors que Bundestag vient d’approuver une loi visant à mettre un terme à l’abattage des canetons et poussins en 2022, le gouvernement français, qui s’y était engagé par la voix du ministre de l’agriculture, tarde à tenir promesse, estime dans une tribune au « Monde » un collectif transpartisan de députés et de sénateurs. Or, cet atermoiement ralentit le développement de technologies de sexage.
Tribune. En octobre 2019, le ministre de l’agriculture Didier Guillaume annonçait conjointement à son homologue allemande Julia Klöckner l’interdiction à la fin 2021 de l’élimination des poussins mâles, notamment par broyage. Depuis, le Bundestag vient de valider un projet de loi, déjà approuvé par le gouvernement allemand, pour interdire l’abattage des poussins mâles dès 2022. Mais en France, le gouvernement n’a encore donné aucune suite législative à ses annonces et aucune réaction n’émerge.
Dans les élevages bio comme ailleurs, l’industrie de l’œuf n’utilise que des poules femelles. A force de sélections génétiques, la production est passée d’une douzaine d’œufs par an à l’état sauvage à 150 œufs dans les années 1940. Depuis, alors que la production annuelle d’œufs par poule pondeuse doublait, la vitesse de croissance des races à viande a été multipliée par quatre. Les coqs des races de pondeuses grandissant trop lentement, l’élevage des mâles n’était plus assez rentable pour les filières viandes.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Emmanuel Macron en quête d’une doctrine et d’une stratégie en matière d’écologie
La ponte intensive épuisant leurs capacités physiques, les femelles pondeuses sont tuées à l’âge d’un an-et-demi (soit un cinquième de leur espérance de vie) lorsque leur fréquence de ponte diminue trop. 47 millions de poules pondeusessont donc remplacées chaque année dans les élevages et autant de poussins mâles sont éliminés par broyage ou gazage. De la même manière, bon nombre de canetons femelles sont tués juste après leur naissance, leur foie étant trop petit et innervé pour les producteurs de foie gras.
Des capacités cognitives étonnantes
Cet enjeu est loin d’être anecdotique pour l’éthique animale : le nombre de poussins et canetons tués chaque année en France est quatorze fois supérieur au nombre de vaches abattues. Actuellement, l’identification du sexe des poussins est réalisée dans les 72 heures après l’éclosion.
Or, à cet âge, ils sont déjà dotés de capacités cognitives étonnantes. A trois jours, ils comprennent par exemple qu’un objet continue d’exister même lorsqu’il leur est invisible, concept qu’un nourrisson ne commence à appréhender qu’après quatorze semaines. Avant même de sortir de l’œuf, à la fin de la troisième semaine de développement, les poussins communiquent avec leur mère (quand ils ont la chance qu’elle soit encore à leurs côtés) pour lui demander de les couver ou de les retourner.Pour l’essayiste David Chauvet : « C’est la seule manière de mettre un terme à l’élevage industriel »
Cependant, la capacité la plus pertinente en éthique, celle de ressentir consciemment des expériences agréables et désagréables, viendrait encore plus tôt. D’après les tests d’imagerie cérébrale et les études neurobiologiques, les embryons commenceraient à éprouver de la douleur entre quatre et quatorze jours avant l’éclosion. Pour leur éviter des souffrances, de nouvelles technologies visent à détecter les embryons mâles au plus tôt.
Des progrès considérables
Alors qu’il y a vingt ans le sexage dans l’œuf n’était qu’une utopie, des progrès considérables ont été réalisés, principalement portés par l’intérêt du public allemand pour cette question éthique.
Deux technologies sont déjà disponibles et appliquées pour des œufs que l’on trouve actuellement en France. La première détermine le sexe par méthode optique lors de la deuxième semaine d’incubation. Reposant sur le scan des œufs par une caméra spéciale qui observe la lumière traversant l’œuf et sur un algorithme complexe, elle est expérimentée à un niveau industriel depuis 2019dans l’un des couvoirs de Carrefour France en partenariat avec Les Fermiers de Loué.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Une base de données destinée aux professionnels de l’alimentation accusée de pénaliser les systèmes agricoles extensifs
La seconde technologie est basée sur le prélèvement d’une goutte de blanc d’œuf à travers un trou microscopique et sur l’analyse des hormones qu’il contient. Cette technique allemande a déjà fait ses preuves : en 2020, plus de 6 000 supermarchés ont vendu des œufs ainsi sélectionnés.
Le doute du gouvernement français
Si de nombreux couvoirs et éleveurs n’ont pas encore choisi d’appliquer le sexage in ovo, c’est souvent par préoccupation des enjeux commerciaux et du coût de production qu’impliqueraient ces méthodes. Le prix d’une poulette standard est actuellement de 80 centimes en sortie de couvoir. Les divers procédés de sexage dans l’œuf pourraient faire monter les coûts à 1 euro, voire à 4,50 euros par poule pour les technologies les plus chères.
Comme chacune de ces poules pond environ 320 œufs en treize mois avant de partir à l’abattoir, au final le surcoût par œuf serait de 0,3 à 1,5 centime. Un prix que beaucoup de consommateurs seraient prêts à payer tant le broyage des poussins est une pratique révoltante.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La question animale nous force à ouvrir les yeux sur ce que nous sommes devenus »
Le doute que laisse planer le gouvernement français sur de futures mesures ralentit l’implantation de nouvelles techniques de sexage. Plusieurs grands distributeurs comme Aldi et Carrefour ainsi que l’interprofession de l’œuf sont pourtant prêts à avancer sur ce sujet. Mais un choix technologique qui s’avérerait finalement non conforme aux normes représenterait un gaspillage d’investissement pour les précurseurs trop enthousiastes.
La France, premier pays producteur d’œufs en Europe
La France est le premier pays producteur d’œufs en Europe et son exemple pourrait très vite être suivi par les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie, qui se sont déjà orientés vers la fin de l’élimination des poussins mâles. Afin de bien jouer ce rôle déclencheur, il est essentiel que le gouvernement français tienne son engagement tout en protégeant la filière contre l’importation d’œufs et de poules qui ne respecterait pas les nouvelles normes françaises en matière d’éthique animale.
En janvier 2020, le gouvernement avait déçu la population en promettant des mesures fortes pour « la protection et le bien-être animal » sans finalement remettre en question l’élevage intensif alors que 85 % des Français souhaitent son interdiction. Il serait maintenant navrant qu’il ne concrétise pas l’une des rares concessions qu’il a accepté de faire en faveur des animaux.
Premiers signataires : Guy Benarroche, sénateur des Bouches-du-Rhône, groupe Ecologiste-Solidarité et Territoires ; Esther Benbassa,sénatrice de Paris, groupe Ecologiste-Solidarité et Territoires et porteuse d’une proposition de loi contre le broyage des poussins ; Manuel Bompard, député européen, groupe de la gauche au Parlement européen – GUE/NGL ; David Cormand, député européen, groupe des Verts/Alliance libre européenne ; Monique de Marco,sénatrice de la Gironde, groupe Ecologiste-Solidarité et Territoires ; Eric Diard, député des Bouches-du-Rhône, groupe Les Républicains ; M’Jid El Guerrab, député de la 9e circonscription des Français établis hors de France, groupe Agir ensemble ; Meyer Habib, député de la 8ecirconscription des Français établis hors de France, Groupe UDI et Indépendants ; Dimitri Houbron, député du Nord, Groupe Agir ensemble
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