Alors que l’Elysée s’engage dans la commémoration officielle du bicentenaire de la disparition de l’empereur Napoléon Bonaparte, plusieurs sénateurs appellent à ne pas faire l’impasse sur ce moment de l’histoire française, qu’il s’agisse des bons ou des mauvais aspects.
« Si la mort ne me surprend pas au milieu de mes travaux, j’espère laisser à la postérité un souvenir qui serve à jamais d’exemple ou de reproche à mes successeurs. » Le 27 décembre 1804, à l’ouverture de la session du Corps législatif, Napoléon Bonaparte s’interrogeait sur la trace il laisserait. Alors que l’Etat s’apprête à rendre hommage à celui qui a été l’empereur des Français, en ce 5 mai, jour du bicentenaire de sa mort, la question de son souvenir fait autant l’objet d’admiration que de controverses. Ce personnage, qui compte parmi les plus célèbre de l’histoire de France, est passé à la postérité grâce à son génie miliaire ou ses réformes civiles, mais le règne napoléonien a aussi été marqué par le rétablissement de l’esclavage en 1804, quelques années après son abolition.
Emmanuel Macron doit prononcer un discours ce 5 mai à l’Institut de France, aux côtés de l’historien Jean Tulard. Il est également attendu sous le dôme des Invalides, où il doit déposer une gerbe au pied du tombeau de Napoléon. « Commémorer n’est pas célébrer », a insisté la présidence de la République, soulignant au passage que le président « Emmanuel Macron ne se dérobe pas ». Par contraste, ses prédécesseurs ont réussi à éviter le sujet, même si aucune date aussi forte n’était à l’agenda. En 2005, l’absence remarquée de Jacques Chirac autour du bicentenaire de la bataille d’Austerlitz avait défrayé la chronique.
« L’histoire de France ne doit pas être déconstruite », insiste Gérard Larcher
Au Sénat, ce matin, beaucoup de membres de la droite étaient nombreux à évoquer la mémoire de Napoléon, à commencer par le président Gérard Larcher, sur France Info. « Sur Napoléon, je n’ai pas la mémoire sélective. L’histoire de France ne doit pas être déconstruite. Elle doit être assumée et transmise avec ses parts de lumière et ses parts d’ombre, comme l’esclavage », a-t-il expliqué. Le choix de ses mots peut faire écho aux propos polémiques du président de la République sur la chaîne américaine CBS, où il avait évoqué l’idée de « déconstruire notre propre histoire ». « L’hommage de la République vaut reconnaissance de cette empreinte. Elle ne vaut pas canonisation », a également mis au point le sénateur LR Philippe Bas, qui considère que Bonaparte a eu une « place fondamentale » dans l’histoire.
Joint par Public Sénat, le sénateur (apparenté LR) Olivier Paccaud rappelle à son tour que « commémorer ne veut pas dire idolâtrer ». « Rares sont les règnes ou les mandats présidentiels exempts de zones d’ombre. L’épopée napoléonienne a eu ses soleils, mais aussi ses ténèbres », résume-t-il. Cet agrégé en histoire voit néanmoins du « bon » dans les polémiques entourant la commémoration. « Elles permettent de rappeler beaucoup de choses, de mieux connaître Napoléon. »
Emmanuel Macron « a raison », appuie à son tour le sénateur Jean-Claude Requier, président du groupe du Rassemblement démocratique, social et européen (RDSE), composé en majorité de membres du Mouvement radical. Cet ancien professeur d’histoire-géographie, qui considère qu’il est « difficile de juger avec des yeux de 2021 » les actes du passé, se dit plus sensible aux « masses de granit » napoléoniennes – les réformes institutionnelles, administratives et civiles – plutôt qu’aux conquêtes militaires. « Ça ne me pose pas problème qu’on le commémore avec une certaine retenue et modestie. Pas de défilé sur les Champs-Elysées. » Lors du premier centenaire de la disparition de Napoléon, en 1921, la cérémonie avait été beaucoup plus fastueuse, moins de trois ans après la fin de la Grande guerre. L’Arc de Triomphe faisait partie du tracé de l’hommage national. Le recueillement s’était poursuivi aux Invalides où le maréchal Foch, ceint de l’épée d’Austerlitz, avait prononcé un éloge vibrant. Les temps ont depuis changé.
« Commémorer Napoléon ? Oui, bien sûr. Mais en n’oubliant rien »
A gauche, l’initiative présidentielle est tantôt acceptée, tantôt jugée avec interrogations. Sur Twitter, l’ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes Laurence Rossignol a exhumé une citation napoléonienne, rappelant la position d’infériorité de la femme qui avait été consacrée dans le Code civil à l’époque. « La femme est notre propriété, nous ne sommes pas la sienne ; car elle nous donne des enfants, et l’homme ne lui en donne pas. Elle est donc sa propriété comme l’arbre à fruit est celle du jardinier. » « La commémoration de Napoléon organisée par l’Élysée aujourd’hui, c’est dans le cadre de la grande cause égalité femmes-hommes », a ironisé la sénatrice de l’Oise. « Une façon de commémorer Napoléon serait de saisir l’occasion pour mesurer le chemin parcouru par la France depuis deux siècles : démocratie, droits et libertés, égalité hommes-femmes, paix européenne etc. » a suggéré son collègue André Vallini.
« Commémorer Napoléon ? Oui, bien sûr. Mais en n’oubliant rien, en disant tout », avait également appelé en mars la sénatrice écologiste Esther Benbassa, insistant sur le rétablissement de l’esclavage ou encore le « retour en arrière » pour les juifs durant le Premier empire.
« Je pense qu’il y a toujours besoin de commémorer. Commémorer ce n’est pas faire de la récupération politique ni politicienne. Commémorer, ce n’est pas commémorer seulement en partie, c’est prendre un ensemble et voir en quoi cela a un héritage dans la construction de notre nation », a soutenu la sénatrice communiste Cécile Cukierman, invitée de la matinale de Public Sénat. Cette professeure d’histoire-géographie appelle à ne pas sélectionner l’histoire. A ce titre, elle « regrette » que le président de la République ait « balayé d’un revers de main les 150 ans de la Commune de Paris ».
« Je me demande s’il n’y a pas une fascination du président de la République pour le personnage »
Son collègue Pierre Ouzoulias, archéologue et historien de profession, se montre plus réservé sur l’opportunité commémorer Napoléon au sommet de l’Etat. « Sur le fond, je trouve qu’il est toujours essentiel de parler d’histoire, à condition que ce soir une histoire objective et qu’il ait une distanciation […] On pourrait trouver un autre moyen d’en parler, sans nécessairement passer par une commémoration officielle, mais plutôt par l’organisation de colloques par exemple. » Le sénateur des Hauts-de-Seine y voit « peut-être une référence idéologique plutôt importante qu’on ne veut l’imaginer ». « Je me demande s’il n’y a pas une fascination du président de la République pour le personnage : le prince éclairé qui arrive après une période de trouble. »
Le sénateur LR Olivier Paccaud n’a d’ailleurs pas oublié qu’Emmanuel Macron s’était déplacé en 2016 à Orléans pour rendre hommage à Jeanne d’Arc. « Il y a une certaine constance dans son action. Le fait de continuer à mettre en valeur les grands moments et personnages du pays », constate-t-il. Ce soutien de Xavier Bertrand pense que cette carte fera partie du jeu en 2022. « Ce qu’on appelle le roman national aura sa place dans la prochaine présidentielle. »
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