L’examen de l’article 22 de la proposition de loi Sécurité globale relatif, notamment, à l’utilisation de drones de surveillance par les forces de l’ordre, a été le théâtre d’échanges tendus entre la gauche du Sénat et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
C’est la discussion d’un amendement de Guillaume Gontard supprimant la possibilité d’utiliser des drones pour la surveillance des frontières qui a servi de pomme de discorde entre les sénateurs de gauche et le ministre de l’Intérieur. Le sénateur écologiste a d’abord développé un argumentaire technique et budgétaire sur le coût de telles politiques de surveillance des frontières : «Le retour d’expérience de la surveillance de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique nous montre que la surveillance par drone est une gabegie financière inefficace. En Europe l’explosion du budget de l’agence Frontex avec l’automatisation de la surveillance est toujours plus grande. »
Mais c’est ensuite la conclusion politique de Guillaume Gontard qui a fait basculer le débat dans une autre dimension : « C’est une nouvelle façon d’accentuer le drame qui continue de se jouer en Méditerranée, qui ne sert que l’industrie de la surveillance. La surveillance des frontières par drone semble aussi inhumaine que coûteuse. »
Les forces de l’ordre travaillent « dans des conditions extrêmement difficiles, parfois avec des parlementaires qui viennent [les] embêter, pour ne pas dire plus. »
Face à la fin de non-recevoir de Marc-Philippe Daubresse, rapporteur LR du texte, le sénateur écologiste de l’Isère remet en cause l’ensemble de la politique migratoire française, notamment en ce qui concerne la gestion de la frontière franco-italienne : « Je vous invite à y aller réellement : les cas d’inhumanité et l’utilisation de drones dans les conditions de montagne, ça ne fonctionne pas. Le doublement des effectifs ne fonctionne pas. Il faut ouvrir les yeux, regarder et voir que d’autres politiques seraient peut-être utiles pour mettre en place un accueil digne ou en tout cas que la politique mise en place se fasse dans les règles des droits de l’homme et des droits tout court. Ce n’est pas ce qu’il se passe à Montgenèvre, où l’on renvoie les demandeurs d’asile en Italie. Il est temps que la France respecte les droits. »
Face à cette critique, c’est le ministre de l’Intérieur qui prend cette fois la parole, en se montrant pour le moins offensif : « Je ne peux pas laisser dire des choses ainsi dans l’hémicycle. Frontières et souveraineté ne sont pas des gros mots. Les conditions dans lesquelles les étrangers viennent sur le territoire sont on ne peut plus dignes et conformes aux droits de l’Homme. La France est le pays qui accueille le plus de demandeurs d’Asile en Europe proportionnellement à sa population [142 000]. On peut dire que les policiers, les gendarmes et les agents de la préfecture, travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, parfois avec des militants politiques et parfois y compris avec des parlementaires qui viennent embêter, pour ne pas dire plus, les policiers et les gendarmes. On peut souligner le grand calme et l’efficacité de la police et la gendarmerie de la République. »
« On ne peut pas laisser dire n’importe quoi dans l’hémicycle sur les services de l’Etat. »
C’est cette mise en cause directe des parlementaires qui entraveraient le travail des forces de l’ordre à la frontière italienne qui a mis le feu aux poudres, d’autant plus que Gérald Darmanin enfonce le clou : « On ne peut pas laisser dire ce que vous avez dit sur la police de la République qui fait son travail dans de grandes conditions de dignité. On ne peut pas laisser dire n’importe quoi dans l’hémicycle sur les services de l’Etat. C’est insultant pour les policiers et les gendarmes qui travaillent tous les jours dans l’humanité et des conditions difficiles. »
« J’ai le sentiment que le ministre a un problème avec le Parlement. »
Tollé sur les bancs de la gauche du Sénat. Patrick Kanner, président du groupe socialiste, demande un rappel au règlement : « Ce n’est pas la première fois que vous utilisez cette phrase à l’égard d’un sénateur ou sénatrice : « Vous dites n’importe quoi ». « Un peu de respect, je le dis très simplement. » Esther Benbassa, sénatrice écologiste embraye : « Nous sommes des parlementaires et c’est notre travail de visiter les centres pour les réfugiés. Nous allons à la frontière franco-italienne. Arrêtez de garder cette sorte de suspicion sur les parlementaires qui iraient à l’encontre des lois. Souvenez-vous de l’histoire qu’il y a eu dans le passé quelques parlementaires à aider ceux qui fuyaient la guerre et les camps. Nous, nous faisons notre travail, mais vous au niveau de l’accueil des migrants, votre politique n’est qu’un échec. » Même son de cloche chez Sophie Taillé-Polian, sénatrice du groupe écologiste : « Vous ne pouvez pas dire que les migrants et les réfugiés sont accueillis dignement dans notre pays, ça n’est pas vrai. Beaucoup de Français peuvent en témoigner quand ils vivent à côté d’installations de fortune. Ce n’est pas parce qu’il y a (et heureusement) des demandes d’asile traitées que l’on peut dire que les choses se passent bien. On demande à des agents des forces de l’ordre de faire des choses pour les décourager. On accepte aussi que des journalistes n’aient pas le droit de venir voir ce qu’elles font. Nous faisons donc notre travail d’aller voir ce qu’il se passe pour contrôler le travail du gouvernement. »
Jérôme Durain y voit une véritable dégradation des rapports de Gérald Darmanin, et du gouvernement, avec le Parlement et au Sénat : « J’ai le sentiment que le ministre a un problème avec le Parlement : nous disons n’importe quoi, « je ne peux pas vous laisser dire ça », les parlementaires qui embêtent les forces de l’ordre… Excusez-nous, nous sommes aussi attachés au bon fonctionnement de nos institutions et nous sommes les premiers dans nos circonscriptions à accompagner et respecter le travail de nos policiers et gendarmes. Le côté ‘on a le monopole de la sécurité’ commence à devenir un peu fatigant. »
Le sénateur socialiste remet ainsi en cause l’ensemble du travail de l’exécutif sur cette proposition de loi Sécurité globale : « On voit tous les amendements de suppression que vous avez déposés sur l’excellent travail de la commission des Lois. La Défenseure des droits, la CNCDH, la CNIL ne disent pas n’importe quoi. Nous faisons notre travail d’amélioration du texte en tant que parlementaires dans une procédure simplifiée, sur un texte bancal. Ce texte bricolé n’est pas le bon véhicule législatif pour traiter de sujets aussi importants. C’est une énième loi de sécurité faite à la va-vite sous la pression d’événements malheureux. »
« Il faut reconnaître l’exigence d’une évolution des moyens de sécurité pour garantir les libertés. »
Jérôme Durain finit par en revenir au fond de l’amendement qui a déclenché cette passe d’armes : « En l’espèce, sur les drones, quand la CNCDH s’inquiète en disant que c’est un nouveau type de rapports entre police et population caractérisé par la distance et la défiance, quand les magistrats, les avocats, les associations de défense des Droits de l’Homme disent cela, je ne pense pas qu’il faille traiter ce travail par le mépris. Nous considérons que ces mesures sont prématurées, inquiétantes, voire dangereuses. »https://www.dailymotion.com/embed/video/x8016qs?ui-start-screen-info=false »Il faut reconnaître l’exigence d’une évolution de la sécurité pour garantir les libertés. » F. Gatel02:28
Du côté de la majorité sénatoriale, on est un peu pris entre les mots assez durs d’un ministre envers les parlementaires et un accord relatif avec le gouvernement sur le fond du texte. En témoigne l’intervention de Françoise Gatel, sénatrice centriste, qui appelle la gauche sénatoriale à « reconnaître » l’utilité de ce genre de dispositifs sur le fond et à ne pas dériver sur un débat concernant la politique migratoire de la France : « Je ne dirai jamais que vous dites n’importe quoi, mais les propos sont extravagants et peuvent être hors sujet. Il y a une instrumentalisation de dispositifs qui doivent veiller à la fois à la sécurité des forces de l’ordre et à nos libertés qui prennent un tournant dangereux. Il faut reconnaître l’exigence d’une évolution des moyens de sécurité pour garantir les libertés. »
La sénatrice d’Ille-et-Vilaine en revient aux débats semblables qui ont agité l’hémicycle hier soir : « J’ai été très touchée par ce que vous avez dit hier Mme Assassi sur votre volonté de citoyenne de pouvoir manifester pour exprimer vos idées. Je salue vos propos et votre engagement. En même temps j’ai entendu d’autres propos, qui m’ont profondément choqués hier. Si nous voulons pouvoir aller manifester dans notre démocratie, nous avons besoin d’une sécurité qui permette à des gens d’aller manifester comme vous l’avez dit hier avec leurs enfants en toute tranquillité. » Ainsi la majorité sénatoriale et la commission des lois auraient réussi à équilibrer la proposition de loi de la majorité présidentielle : « Des manifestations sont instrumentalisées par des gens qui n’ont qu’une envie c’est d’utiliser la cause de ceux qui vont manifester pour aller détruire : je l’ai vécu à Rennes pendant des mois. Sincèrement je pense que notre commission a veillé à sécuriser les choses : il faut que nous soyons réalistes et que nous dépassions toute posture. »
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