Le nouveau code pénal des mineurs, qui remplacera l’ordonnance de 1945 sur «l’enfance délinquante» sera examiné par le Sénat dès mardi. Les parlementaires souhaitent que son application soit reportée de six mois.
Ralentir la cadence. Les sénateurs planchent, à compter de ce mardi et pour trois jours, sur la réforme de la justice pénale des mineurs, après son adoption en première lecture (41 voix contre 8) à l’Assemblée nationale en décembre. Avant même l’examen en séance publique de ce texte se donnant pour ambition une justice des mineurs «plus efficace, plus lisible, plus rapide», selon les mots du garde des Sceaux, la commission des lois de la Chambre haute a retoqué sa date d’entrée en vigueur, initialement prévue au 31 mars. Et adopté un report au 30 septembre : «En l’état, les premières périodes de mise à l’épreuve éducative devraient être mises en place effectivement par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) au 15 avril 2021. Cet objectif paraît irréaliste au regard de la situation des tribunaux et des services de la PJJ», fait valoir la rapporteure Agnès Canayer (LR) dans son amendement. Le cœur de cette réforme repose en effet sur la «césure» du procès pénal, soit une procédure en deux temps. Avec une première audience, dans les trois mois suivants les faits, consacrée à l’examen de la culpabilité. Puis une seconde, six à neuf mois plus tard, consacrée au prononcé de la sanction. Entre-temps, le mineur est soumis à une «mise à l’épreuve éducative».
Depuis le début, juges pour enfants comme éducateurs considèrent les délais trop courts pour une bonne mise en route de ce nouveau «code de la justice pénale des mineurs» (CJPM), qui entend clarifier l’ordonnance du 2 février 1945, devenue illisible à force de modifications successives (pas moins de 39). Même la présidente de la conférence des procureurs généraux, la haute magistrate Marie-Suzanne Le Quéau, avait qualifié cette date de «non-sens», lors d’une réunion avec le Premier ministre Jean Castex, ainsi que l’avait rapporté Le Monde. Si la commission des lois partage dans son rapport «le constat du garde des Sceaux selon lequel des moyens supplémentaires, temporaires, ont été alloués aux juridictions afin de résorber les stocks de dossiers», beaucoup de juridictions pour enfants demeurent en grande difficulté (tant au pénal qu’au civil, c’est-à-dire sur la protection des mineurs). Une dizaine d’entre elles souffrant «d’une certaine fragilité» ont d’ailleurs été identifiées par la chancellerie, a reconnu Eric Dupond-Moretti.
«Vraie révolution dans la façon de travailler»
Surtout, la question de la formation et de la préparation des personnels se pose avec autant d’acuité que le CJPM est, de l’avis de tous, «très technique». «Des groupes de travail ont été lancés, mais les juridictions déjà débordées n’auront pas le temps de s’approprier le texte alors même que celui-ci va susciter une vraie révolution dans leur façon de travailler», explique à Libération la juge des enfants Sophie Legrand. La secrétaire générale du syndicat de la magistrature (classé à gauche) soulève également l’état des outils numériques censés accompagner cette réforme : «Le logiciel Cassiopée, déjà mal adapté aux mineurs, n’est pas encore à jour.» Président de l’Association des magistrats de la jeunesse et de la famille (AMJF), Laurent Gebler appuie : «Dès lors que le principe de la réforme est acquis, quelques mois supplémentaires seraient bienvenus pour les magistrats.»
Mais Dupond-Moretti veut tenir le calendrier. Devant la commission des lois mi-janvier, le ministre a assuré que les services judiciaires et ceux de la PJJ seront «prêts». Pour anticiper les nombreux bouleversements à venir, le garde des Sceaux avait adressé une lettre aux juridictions, le 18 décembre. Sans attendre le débat au Sénat… De quoi susciter la crispation des parlementaires, déjà échaudés par le choix de sa prédécesseur Nicole Belloubet de recourir à cette ambitieuse réforme par voie d’ordonnance. Cette missive aux airs de circulaire avait «pour unique vocation de prévenir les professionnels de l’arrivée du texte», s’est défendu le ministre avant de garantir aux sénateurs : «Vous ferez le travail législatif que vous avez à faire !»
«On ne se donne plus le temps de l’éducatif»
Sur le fond, le texte en lui-même suscite le débat. «Je regrette vivement qu’on insiste sur l’aspect répressif plutôt que sur l’éducation», a pointé la sénatrice Esther Benbassa (EE-LV), en visite la semaine dernière au centre éducatif fermé de Savigny-sur-Orge, où des ateliers de zoopédagogie sont développés auprès des jeunes pensionnaires pour travailler sur leur passage à l’acte. «Quel est le sens de la peine pour un enfant ? Avec ce texte, on a un rapprochement du traitement procédural des mineurs avec celui des majeurs. Or, il ne faut pas oublier qu’on est face à des êtres en devenir», estime Elisabeth Audouard, avocate au barreau de Marseille. Pour la coprésidente de la commission mineurs du Syndicat des avocats de France (SAF), «le risque majeur» d’une entrée en vigueur trop rapide, est celui «d’une justice expéditive» : «Comme le CJPM prévoit des dates fixes, on abandonnerait un peu le civil et les anciens dossiers pour respecter le cadencement des audiences prévues.»
L’avocate, comme certains autres professionnels du droit, craint particulièrement que l’on recoure alors à l’audience unique, sur la culpabilité et la sanction, créée par cette réforme : «Pour les mineurs déjà connus par le juge des enfants, les parquets dont la réforme renforce le pouvoir risquent d’utiliser directement le circuit court.» Laurent Gebler, vice-président du tribunal pour enfants de Bordeaux et président de l’AMJF abonde : «Nous demandons que cette procédure soit beaucoup plus encadrée dans la loi et réservée à des jeunes déjà condamnés, qui sont allés au bout du processus éducatif. Ce sont des procédures rapides, qui s’apparentent à des comparutions immédiates, et ne sont pas du tout dans cet esprit du CJPM de se donner toujours la possibilité du jugement en deux temps des mineurs. Clairement, on ne se donne alors plus le temps de l’éducatif.»
Contactée par Libération, la chancellerie rappelle que cette mesure est prévue «à titre exceptionnel, pour des faits d’une certaine gravité, et seulement si certaines conditions sont réunies». Le mineur doit notamment avoir «déjà fait l’objet d’une procédure et d’un rapport de personnalité datant de moins d’un an». Auditionnée par la rapporteure du texte, la directrice de la PJJ Charlotte Caubel avait néanmoins indiqué que la proportion d’affaires concernées était évaluée «autour de 20 %», d’après une étude d’impact du ministère de la justice. Et la sénatrice Agnès Canayer de noter : «Si cette proportion se trouve confirmée, l’audience unique n’aurait pas le caractère exceptionnel que lui réserve en principe le code de justice pénale des mineurs.»
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