10 novembre 2020 | Mediapart
Mercredi 11 novembre, Maurice Genevoix sera panthéonisé par Emmanuel Macron. Un large collectif de citoyens, militants et personnalités politiques rappellent dans une lettre ouverte ce que fut le dernier combat du poète : la lutte contre la construction d’un pont routier, « monstre de béton armé » sur la Loire, toujours d’actualité dans le cadre du contournement est d’Orléans. Ils demandent une autre panthéonisation, sur cette terre qu’il a aimée, et poursuivent la résistance contre cette infrastructure inutile.
Monsieur le Président,
Ce mercredi 11 Novembre, vous allez conduire au Panthéon Maurice Genevoix, et avec lui un funèbre cortège d’ombres réduites au silence : les femmes, les hommes, les enfants et toutes les vies anéanties dont il avait voulu protéger la mémoire.
Célèbre d’abord pour le témoignage puissant qu’il rendit de la Première Guerre Mondiale, Maurice Genevoix était une sensibilité profonde. Né pour souffrir avec ceux qu’il frôlait, il décida d’interdire, par la grâce de sa plume, qu’ils finissent ensevelis dans le creux de l’oubli du monde. Cette bataille, il la mena d’abord pour ses compagnons d’armes, puis pour son bout de Loiret. Cette bataille il la mena, enfin, pour défendre tout le vivant de la violente amnésie des hommes de son temps.
Natif de Decize, au bord de la Loire, c’est à Châteauneuf-sur-Loire, toujours auprès de ce grand fleuve à la beauté changeante, qu’il passa son enfance, et c’est dans son bruissement argenté qu’il apprit à contempler, à chérir – et à perdre, et à se souvenir.
Quand il revint terriblement meurtri de la guerre, et se dévoua au métier d’écrivain, c’est là, aux Vernelles, sur la commune de Saint-Denis-de-l’Hôtel, à deux pas des flots bleu-vert, qu’il décida de fonder son foyer. C’est face à la Loire, dans sa lumière ondoyante qu’il posa son bureau pour accomplir son travail acharné. C’est aussi autour de la Loire, vivante et farouche, que se déroule la trame de nombre de ses œuvres.
Cette Loire et les contrées où elle ruisselle lui infusèrent un amour inconditionnel de la vie, jaillissant victorieux à travers les épreuves. Et c’est cet amour qui lui inspira le refus d’une industrialisation désolante, sculptée dans les charniers de la Grande Guerre. Laissons parler son personnage d’Aubel :
«Il semble que le système se soit embrayé d’un seul coup, le temps d’une génération ou de deux : une mécanique énorme qui se serait constituée sournoisement, comme une tumeur, par une espèce de prolifération monstrueuse et continue, une fantastique machine infernale à produire et à décerveler.»
C’est toujours là, au bord de la Loire, qu’arrivé au bout de ce qu’il avait qualifié de sursis, il se fit inhumer pour la première fois.
Et c’est là, enfin, à quelques centaines de mètres des Vernelles, qu’un pont routier, monstre de béton armé surgi de l’imagination des aménageurs du siècle dernier, veut planter ses mâchoires aveugles pour contourner l’est d’Orléans et faciliter les flux de marchandises. Au cœur des rives que M. Genevoix chérissait, celles dont il décrivait, avec une tendre complicité, le calme envoûtant, les ombres moirées, le charme délicat des grèves bleues, des arbres séculaires et du petit peuple joueur d’animaux sauvages – là exactement où il flânait, songeait, vivait et rêvait de mourir !
Malgré la résistance passée de sa fille Sylvie Genevoix – aidée par son mari le regretté Bernard Maris – et celle toujours active d’habitantes et d’habitants des villages alentours !
Malgré la renommée mondiale de cette Loire – surnommée parfois dernier fleuve sauvage d’Europe – chantée par les plus grands poètes, peinte par les plus grands peintres – et aujourd’hui menacée par la sécheresse et les multiples exploitations qu’elle subit depuis trop longtemps !
Malgré le cri nouveau d’un pays qui veut changer de paradigme – à l’unisson des nombreuses alertes lancées à la fin de sa vie par M. Genevoix – surnommé parfois premier écologiste de France !
Malgré son coût faramineux, ses graves périls inhérents, son inutilité patentée, son absurdité dévastatrice !
Il semblerait aujourd’hui que ce violent projet de pont va l’emporter sur la Loire. Déjà, un morceau de la forêt, où montait jadis le serein, gît dans la boue des engins. Vendue, livrée, condamnée, abattue : comme celle que M. Genevoix pleurait dans Un Jour.
Or pour arrêter le carnage, il suffit de passer un autre pont : celui qui traverse le fleuve du temps depuis la rive triste et dévastée du souvenir figé, vers celle, joyeuse et habitée, de la mémoire vive.
Monsieur le Président, au moment d’accompagner ce grand disparu vers sa dernière retraite, et de refermer sur l’écrivain et le soldat qu’il fut la dalle lourde et le silence glacial du Panthéon, qui portera l’alerte parole de Maurice Genevoix, si justement sensible aux égarements du progrès ?
« La vie se brade. Pis, elle s’oublie. On a motorisé tout le monde, et tout le monde passe à côté. […] L’âme est partie, c’est le monde à l’envers.»
Que celles et ceux qui veulent rendre hommage à M. Genevoix et aux êtres dont il a parlé, qui veulent défendre ce fleuve, sa flore et sa faune, ses berges, son val et ses ripisylves, n’hésitent pas à nous rejoindre pour emporter avec M. Genevoix sa dernière victoire, aux côtés de la Loire.
Le long de cette grève où l’osier verdoie encore, là où son âme à lui est certainement restée, nous ferons entendre sa voix. Une autre panthéonisation : sur cette terre, près de l’eau qui frissonne, au milieu des effluves qu’il a aimées, parmi les êtres variés qui peuplent cette petite partie du monde encore à l’endroit. Là, comme ses Bestiaires, nous serons enchantés, nous serons sans oubli. Là, en cœur avec Rémi des Rauches nous dirons :
« Lorsqu’une libellule passe devant ma porte et vole à la pointe des rauches, je l’écoute grésiller comme une verte étincelle et je lui dis seulement : « Sois libellule. » Et mes yeux qui la suivent s’en vont vers la Loire ; et la Loire prend mes yeux ; et je lui dis seulement, tout au fond de mon cœur : « Sois la Loire. » »
Monsieur le Président, vous ferez-vous l’écho de cette parole d’espoir ?
Signataires :
Collectifs
Coordination La Loire Vivra – collectif d’associations en lutte contre de pont de Mardié et le contournement est d’Orléans
Attac45
Association Le Coquelicot
Association pour une Qualité de Vie à Donnery (AQVD)
Association pour la Protection du Site de Darvoy et de l’Environnement (APSIDE) Collectif de Sauvegarde de la Grande-Pièce
Eau Secours 45
Mardiacus à Mardié
Mardiéval
La Tribune de Bou
SOS Durance Vivante
SOS Loire Vivante
SOS Martinets Amboise Association Team river clean
Personnes
Claude ARENALES, président de l’AQVD
Silvia AUBERT LACOMBE, citoyenne
Julien BAYOU, secrétaire national EELV
Esther BENBASSA, sénatrice EELV
Loïc BERLAND, citoyen
Sabine BONNEVILLE, citoyenne
Michel BOTTON, citoyen
Nicole BOUILLY, citoyenne
Dominique BOUTIN, pédologue
Jean Claude BRAGOULET, citoyen
Hélène BUREAU, citoyenne
Bruno CABANES, historien, professeur d’histoire de la guerre Valérie CABANES, juriste
Emilie CHAMOUX, professeure, conseillère municipale de Nevers Martine CHAVOT, citoyenne
Estelle COCHARD conseillère régionale Centre Val de Loire Bruno COEUR, maire de Bou
Maxime COMBES, porte parole ATTAC France
Guy COURSIMAULT conseiller municipal de Bou
Odile CHIROIX, citoyenne
Genevieve CRIBIER citoyenne
Catherine et Alain DALAIGRE, ligérien.nes
Mélissa DAVID, citoyenne
Sylvie DAVID-ROUSSEAU, ligérienne
Gilles DEGUET secrétaire régional EELV Centre Val de Loire
Hervé DE LA MARTINIERE, éditeur
Laurence DE LA MARTINIERE, ligérienne
Céline et Dorothée DE LANNOY, citoyennes
Aurélien DELAUNAY, citoyen
Caroline DELBAERE, artiste
Farid DEMIK, citoyen
Anna DESRAUX, artiste
Camille DE TOLEDO, écrivain
Aloïs, Cerise, Patrick, Robert et Roberte DREY, ligérien.nes
Marc DUFUMIER, agronome
Marie-Dominique DUPONT-MOUTON, présidente ATTAC 45
Roberto EPPLE, président de SOS Loire Vivante
Sarah FARMER, historienne, professeure d’histoire à l’Université de Californie
Irvine Benoit FAUCHEUX conseiller régional Centre Val de Loire
Marie Bridget FOUCHER, présidente ACIRAD centre
Charles FOURNIER, vice-président du conseil régional Centre Val de Loire
Franck FRADIN, adjoint a la mairie de Saint Jean de Braye
Catherine FUME, responsable associative
Hubert GASNIER, militant écologiste
Philippe GASNIER, conseiller municipal de Bou
Ségolène GARNIER, artiste
Marc GIRAUD, journaliste, porte parole de l’ASPAS
Jean Philippe GRAND, conseiller métropolitain métropole d’Orléans
Betsabée HASS, adjointe à la mairie de Tours
Isabelle Houg, ligérienne
Michel ISAMBERT, citoyen
Noëlle JAMET, artiste
Arnaud JEAN, premier adjoint à la mairie d’Ingré
Philippe JUMEAU, ligérien
Djamila KAOUES, conseillère municipale de Vierzon
Bernard LAFFITE, militant associatif
Claire LEJEUNE, militante des jeunes écologistes
Camille LE GOUIL, éthologue, vice présidente de la fédération des clubs CPN Evelyne LESTRADE, citoyenne
Marie Christine LEVALET, citoyenne
Isabelle LOODTS, journaliste
Henrike LUGAN, musicienne
Sofian MAHBAZ, militant écologiste
Alex MAIGNAUT, ancien ligérien
Frédérique MARMET, ligérienne
Bruno MARMIROLI, architecte paysagiste
Flore MASSICARD, citoyenne
Jany MAUFRAIS, citoyenne
Cyril MAURER, citoyen
Annie MAVIEL, présidente de Mardiacus à Mardié
Nicolas MECHEREKI, peintre
Ekke MEKKES, citoyenne
Catherine MENGUY, maire adjointe à la mairie de Bourges
Hélène MENOU, citoyenne
Michèle MONICO, herboriste membre du syndicat des SIMPLES
Pierre MOREAU, citoyen
Corinne MOREL-DARLEUX, autrice, conseillère régionale Auvergne-Rhône Alpes Sophie et Thierry NIOT
Danièle OBONO, députée
Mathilde PANOT, députée
Philippe PIQUET, militant écologiste
Isabelle PENFRAT, citoyenne
Vincent PENSUET, comédien
Paul POULAIN, expert en risques industriels
Françoise POUZET, responsable associative
Loïc PRUDHOMME, député
Annabelle ROYER, citoyenne
Paul Albert RUDELLE, écrivain
Samuel SENAVE, FNE Centre Val de Loire
Cécile SENE, citoyenne
Virginie SERNA, archéologue, conservateur en chef du patrimoine à la mission de l’Inventaire du patrimoine culturel
Thierry SOLER, conseiller départemental du Loiret
Alix TERY VERBE, conseillère régionale Centre Val de Loire
Benoit THEVARD, ingénieur
Marie TOUSSAINT, député européenne
François THOMAS, ligérien
Isabelle THOMAS, ligérienne
Boris TROUPLIN, musicien
Luisa VALLVERDU, citoyenne
Françoise VALTRID, citoyenne
Eric VIDAL, militant associatif
Lolita VOISIN, directrice de l’école de la nature et du paysage de l’Insa Blois
Jean-Luc et Lucile WITTERSHEIM citoyen.nes
… et une bonne centaine d’autres !
Lien de l’article : https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/101120/la-derniere-bataille-de-maurice-genevoix