La dégradation de la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale, ce mardi, suscite une vague d’indignations parmi les sénateurs.
« Négrophobie d’État ». La formule a été inscrite en plein jour, ce mardi, au pied de la statue de Colbert, devant l’Assemblée Nationale. Le buste du ministre de Louis XIV, principal auteur du Code noir en 1685, est maculé d’une peinture rouge sang. Un nouvel acte de vandalisme, après la dégradation de la statue du Général Faidherbe à Lille, qui scandalise la classe politique.
Le sénateur Les Républicains des Pyrénées-Atlantiques, Max Brisson, voit dans cette action, revendiquée par la « Brigade antinégrophobie » dans une vidéo postée sur Twitter, l’œuvre de « minorités agissantes » : « Je ne peux pas accepter que ces personnes décident de notre héritage au fondement même de notre histoire. On ne m’imposera pas une mémoire qui est contraire à notre universalisme républicain. »
« Une réécriture de l’histoire »
Le parlementaire, qui avait interpellé le Premier ministre lors des questions au gouvernement au sujet de cette polémique mémorielle, pointe le risque d’une « réécriture de l’histoire ». « L’anachronisme est le pire péché pour un historien », estime Max Brisson, paraphrasant Marc Bloch. « Porter un regard d’historien sur l’esclavage est nécessaire, mais on ne peut pas le faire avec nos lunettes d’aujourd’hui », conclut-il, saluant la « concordance républicaine » régnant à ce propos dans l’Hémicycle.
« Tout le monde veut voir son ego froissé, se sentir victime », souffle Julien Bargeton. Le porte-parole du groupe La République en Marche et sénateur de Paris dénonce une « dérive » et appelle à « vivre avec notre passé pour vivre ensemble ».
« Cette espèce de fuite avant, l’avènement de cette mémoire victimaire est très dangereuse car on ne sait jamais où cela s’arrête », estime l’élu. « Jules Ferry parlait de « races supérieurs ». Jaurès lui-même a écrit des textes antisémites avant de soutenir Dreyfus . Faut-il les mettre dans le lot eux aussi ? Colbert a certes écrit le Code noir et ce n’est pas à son honneur. Mais il a aussi été un grand homme, à qui l’on se réfère aujourd’hui beaucoup à lui pour parler du rôle de l’État et de la politique industrielle. »
Pour autant, certaines figures plus contestées ne méritent plus, selon lui, les honneurs de la République. Bertrand Delanoë avait par exemple débaptisé en 2002 la rue Antoine Richepanse. Au nom de cet esclavagiste s’est substitué celui du fils d’une esclave, le Chevalier de Saint-Georges. « C’était nécessaire, commente Julien Bargeton. Richepanse a rétabli l’esclavage en Guadeloupe. C’est impossible de l’honorer. »
Mais, pour le sénateur, les « personnalités complexes, telles que Colbert, ou Faidherbe, doivent être pris dans leurs entièretés », défend-il, sans s’opposer la mise en place de pancartes explicatives aux côtés des statues de ces personnages controversés.
Le « meilleur moyen de refermer le débat » sur la mémoire de l’esclavage
Ce premier pas ne contenterait pas Esther Benbassa, rattachée au groupe communiste au Sénat. « Nous avons aussi besoin de nouvelles statues en l’honneur de personnes qui ont lutté contre les fléaux de notre histoire, contre l’esclavage ou la colonisation. Et pas seulement des hommes, des femmes aussi ! », réclame-t-elle.
La parlementaire, élue à Paris, voit dans cette action un « signe de colère », sans pour autant l’excuser. Longtemps professeur d’histoire à la Sorbonne, elle appelle alors à « ajouter les pages sombres de notre histoire à nos manuels ».
Mais cette montée en tension pourrait nuire à ce débat, craint le sénateur de Paris, Rémi Féraud : « C’est lamentable. La place de la mémoire de l’esclavage est un sujet très important. Avec de telles dégradations, de telles atteintes à notre patrimoine, c’est le meilleur moyen de le refermer tout de suite. » La polémique, elle, n’est pas près de s’essouffler.