En marge du Salon de l’agriculture, Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, note que « la protection des animaux reste largement perfectible ». Et souhaite une réflexion profonde sur un élevage éthique, que l’élue défend au travers d’une pétition et d’une proposition de loi.
Voici la tribune d’Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris : « L’animal n’est pas un miroir reflétant les forces et les faiblesses des humains. Il n’incarne pas non plus, à l’inverse, une altérité totale : on peut déceler chez lui certains états mentaux et émotionnels proches des nôtres. L’animal est un vivant avec sa propre identité et, comme tel, il nous impose de penser sa condition et de légiférer sur elle. Alors que les animaux sont des acteurs à part entière de notre vie sociale, notre législation les a longtemps traités comme des choses, au même titre que les objets inanimés, ou comme de simples ‘biens meubles’, réduits à leur utilité économique, notamment à travers l’élevage industriel. Cette législation a évolué.
Depuis 1976, notre Code rural considère l’animal comme un être sensible. Et la loi adoptée par le Parlement français en 2015 constitue une avancée indéniable, l’article 515‑14 de notre Code civil stipulant désormais ceci : ‘Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens.’ Cette avancée en appelle bien d’autres.
En effet, si elle fait aujourd’hui partie intégrante des régimes juridiques européens, la protection des animaux reste largement perfectible. La condition animale n’évoluera pourtant pas seulement par la production de nouvelles normes juridiques, mais aussi grâce à un travail continu sur l’imaginaire autour de l’animal, qui seul, dans la durée, influera sur les mentalités et les comportements.
Ainsi devrions-nous réformer l’élevage intensif pour prendre en compte la sensibilité reconnue des animaux, et leur garantir une vie plus saine, un espace en plein air, en un mot des conditions d’existence concordant avec leurs impératifs biologiques, ainsi qu’une mort plus douce par un abattage plus éthique.
Le 20 février dernier, la vidéo publiée par l’association L214 sur l’abattoir industriel de la Sobeval, en Dordogne, montre une fois de plus des veaux mis à mort dans des conditions insupportables, nombre d’entre eux donnant des signes évidents de reprise de conscience sur la chaîne d’abattage sans être étourdis d’urgence. Dans l’Union européenne l’abattage des animaux est pourtant encadré par une réglementation visant à limiter leur souffrance. Lorsqu’elle est respectée, ils sont étourdis puis rapidement égorgés.
Il est par ailleurs temps de reconnaître la souffrance animale pour ce qu’elle est et de refuser de fermer les yeux sur toutes sortes de maltraitances qui ne sont souvent pas interdites : gavage des oies, spectacles avec des animaux dans les cirques et delphinariums, corrida, élevage pour fourrure, expérimentation animale, chasse à courre, chasse à la glu, chasse des animaux sauvages, maltraitances domestiques, etc.
En France, chaque année, plus d’un milliard d’animaux sont abattus. 80% proviennent d’élevages industriels. Cette industrie ne respecte ni les animaux, ni les consommateurs, ni les agriculteurs. Ces derniers pâtissent grandement de la concurrence déloyale que leur imposent les abattoirs de masse.
En cette semaine où se tient à Paris le Salon de l’Agriculture, il convient de rappeler le sort intolérable des animaux dans les ‘fermes-usines’, qui les confinent dans des bâtiments fermés et sans lumière, dans des cages, les forçant à une promiscuité extrême. Le modèle industriel de l’élevage, devenu hégémonique, engendre des troubles comportementaux extrêmes chez les animaux, et produit une viande de qualité moindre.
Il importe désormais d’accompagner les agriculteurs dans la transition vers un élevage et un abattage éthiques, particulièrement ceux qui dépendent aujourd’hui de l’élevage intensif, afin de leur faciliter une reconversion professionnelle. Un élevage intensif contre lequel, en 2016, dans un sondage YouGov pour CIWF, en France, se prononçaient 87% des sondés.
Le modèle que nous, écologistes, souhaitons promouvoir est un modèle d’agriculture paysanne, proche du local et respectueux de la nature. Soucieux du bien-être de l’animal mais aussi de son paysan. Favorisant les circuits courts, subventionnant l’abattage de proximité et limitant les recours aux énergies fossiles et aux pesticides. Garantissant enfin la qualité par une meilleure transparence pour les consommateurs et une meilleure prise en compte du respect des cycles naturels de l’animal.
C’est dans cette perspective que j’ai déposé il y a un mois, au Sénat, une proposition de loi transpartisane, qui a pour objet la mise en place d’un élevage éthique, socialement juste et soucieux du bien-être animal. Nous demandons de légiférer contre les pratiques cruelles ou pénibles que peuvent subir les animaux d’élevage dans les abattoirs telles que l’abattage sans étourdissement, contre le broyage des poussins, la caudectomie, la castration à vif des porcs, la mise à mort des animaux en gestation. Nous demandons aussi – par exemple par une généralisation des abattoirs mobiles – d’améliorer les conditions de vie de petits éleveurs – qui subissent de plein fouet la concurrence des grands groupes agro-alimentaires.
La défense des droits des animaux, comme la défense des droits humains, reste l’un des grands défis de ce XXIe siècle, qui croit pourtant encore souvent, à tort, avoir déjà tout gagné. »
Esther Benbassa est à l’initiative d’une pétition qui a déjà recueilli environ 5.000 signataires.