TRIBUNE JDD. Polémique sur le voile : « N’avons-nous pas mieux à faire? »

Le Sénat examinera mardi une proposition de loi, issue des Républicains, visant à « assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation », « y compris lors des sorties scolaires ». La sénatrice EELV Esther Benbassa critique l’attitude de la droite « qui mord sur les plates-bandes de l’extrême droite ».

La sénatrice écologiste Esther Benbassa.
La sénatrice écologiste Esther Benbassa. (Sipa)

La question du voile n’a pas fini de faire parler. Le Sénat examinera mardi une proposition de loi, déposée en juillet par des élus Républicains, visant à « assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation ». Et ce, « y compris lors des sorties scolaires », peut-on lire. Un sujet qui a divisé au sein même de la majorité ces derniers jours. « Je pense que nous voterons contre à l’unanimité », indique au JDD le président du groupe LREM, François Patriat. « Il y aura certainement beaucoup d’abstentions », complète son homologue de l’Union centriste, Hervé Marseille, qui critique avant tout la forme : « Ça n’est qu’un morceau d’un vrai problème de laïcité à prendre dans sa globalité. On ne va pas à chaque fois rajouter un morceau de texte… »

Générations, le PS, le PCF et les écologistes appellent, eux, à « faire barrage » à cette proposition de loi. « N’avons-nous pas mieux à faire? », s’interroge la sénatrice EELV Ester Benbassa dans une tribune publiée sur le site du JDD.

Lire aussi – Gérard Larcher : « Porter un voile dans l’espace public, c’est une liberté que je veux défendre »

La tribune d’Esther Benbassa : 

« La proposition de loi qui sera débattue mardi 29 octobre au Sénat, déposée par le groupe Les Républicains, tend à assurer la neutralité religieuse des personnes accompagnant les élèves en sortie scolaire et des personnes concourant au service public de l’éducation. En fait, elle n’est qu’un énième texte pour interdire le port du voile. Pour rappel, la loi de 2004 interdisait déjà le port du voile (et de tout signe religieux ostensible) aux élèves de la maternelle au lycée, scolarisés dans des établissements publics, et à leurs professeurs. Puis est venue celle d’octobre 2010 interdisant toute tenue destinée à dissimuler son visage dans l’espace public – visant en fait le voile intégral.

En 2012, enfin, Luc Chatel, ministre de l’Education de l’époque, demande aux accompagnatrices des sorties scolaires de ne pas porter de signes religieux ostentatoires. En 2013, le Conseil d’Etat estime cependant que les mères voilées accompagnant les sorties scolaires ne sont pas soumises aux ‘exigences de neutralité religieuse’. Et donc, en 2019, rebelote.

La droite cherche à mordre sur les plates-bandes de l’extrême droite, dans l’espoir de grappiller quelques voix

C’est que la droite va mal, son mauvais score aux européennes le confirme. En cette veille de municipales, elle cherche à mordre sur les plates-bandes de l’extrême droite, dans l’espoir de grappiller quelques voix.

En France, 35% des musulmanes porteraient le voile. Un chiffre modeste au regard la réprobation qu’il suscite chez certains. Pas de quoi alarmer la population. Voilà pourtant une droite faisant mine de lutter contre l’islamisme en enlevant leur voile aux mères, quand d’autres, dignes héritiers de la vision paternaliste des colonisateurs d’antan, prétendent les émanciper des chaînes de l’oppression masculine musulmane. N’avons-nous pas mieux à faire? Ainsi nous occuper d’éradiquer ces violences conjugales à l’origine tous les ans du décès de dizaines et de dizaines de femmes – et d’assurer enfin l’égalité des salaires hommes-femmes en France.

Marqueur identitaire pour beaucoup de femmes dans une France peinant à les intégrer, le voile est certes aussi utilisé par certaines intégristes comme un signe de ralliement. Mais le libre arbitre reste la règle : 70% des musulmanes sont favorables, et 30% y sont hostiles.

Nos concitoyens ne sont pas sur la ligne d’une guerre lancée au nom de la laïcité

Si les façons de porter le voile sont multiples, les significations de cette pratique ne le sont pas moins. Il est certes tentant de n’y voir que l’expression du prosélytisme musulman, ne serait-ce que pour donner un minimum de sens à la mobilisation des forces de la nation autour de cette question… Or l’on sait, par un sondage récemment publié dans Le Journal du dimanche, que la priorité, pour 82% des Français est la santé ; pour 67%, la lutte contre le chômage ; ensuite le relèvement des salaires et du pouvoir d’achat, et que seulement 56% placent en tête la lutte contre l’islamisme et 39% la défense de la laïcité…

Finalement, nos concitoyens ne sont pas sur la ligne d’une guerre lancée au nom de la laïcité, mais seuls ceux, fort bruyants et au fond pas si nombreux, qui, depuis des années, espèrent son déclenchement.

Si le gouvernement tient à ne pas attiser le feu ni sur cette question ni sur celle du voile, et s’il déclare vouloir s’en tenir à la lutte contre le ‘communautarisme’ et la ‘radicalisation’, il le fait d’abord au nom de la paix sociale, redoutant, peut-être exagérément, une ‘guerre civile’. Les fronts de la discorde sont assez nombreux pour qu’il ne veuille pas y ajouter un autre.

S’agrégeant à la droite et à l’extrême droite, les défenseurs d’une laïcité rigoriste qui se réclament de la gauche, proches de la ligne du petit père Combes, oublient que la République s’était ralliée à la définition de la laïcité d’Aristide Briand, plus libérale et inclusive. Une laïcité qui prône la liberté du culte tant qu’elle n’empiète pas sur le domaine de l’Etat. Cette laïcité est la nôtre. La seule qui soit capable de nous rassembler.

Parlons de cette classe moyenne de confession musulmane qui vit sa vie tranquillement et contribue à la richesse de notre pays

La pluralité de la France est une réalité, directement issue de la décolonisation. Mais pluriel ne signifie pas encore malheureusement pluraliste. L’abcès de la décolonisation n’est pas tout à fait vidé, et il se cristallise autour du voile, un voile qui cache la forêt. On ne ripostera pas à la radicalisation par la stigmatisation des descendants des colonisés. Au contraire.

L’islamisme produit de la radicalisation, pas l’islam en tant que tel. Au lieu de pointer du doigt nos quartiers populaires, leurs populations déshéritées, leur retour au religieux – présent aussi chez les juifs – parlons de cette classe moyenne de confession musulmane qui vit sa vie tranquillement et contribue à la richesse de notre pays. Mettons l’accent sur l’énergie et les forces inventives, pas assez exploitées, dans ces mêmes quartiers. Sans oublier que pour lutter contre la radicalisation, face obscure du fanatisme religieux, il faudrait se donner les moyens de construire un programme multifacettes efficace et de long terme.

L’islam stigmatisé en ces temps de tension, ce sera encore un nouveau coup porté à la France qui n’aura pas su relever le défi d’un 21e siècle polyphonique sur le plan culturel et confessionnel. Et qui aura sacrifié l’insertion au nom de principes hérités du passé, qu’elle n’aura pas su actualiser. L’échec pour toutes les parties. Et surtout échec pour la démocratie.

Les autres pays occidentaux regardent avec étonnement nos polémiques sur le voile, une passion qui ne passe pas! Ils ont raison. Et si nous pensions plutôt à nos 9 millions de pauvres? »